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« Un flou des compétences dans un secteur très éclaté »

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Le sociologue Emmanuel Jovelin plaide pour un inventaire et une clarification des contours du travail social, notamment par l’élaboration d’une discipline transversale entre sciences humaines et sociales.
Les métiers périphériques au travail social ont-ils tendance à se développer ?

Oui, et ce n’est pas nouveau. Après le tournant libéral opéré à partir de 1974 en France, avec la territorialisation de l’action sociale et le basculement vers les dispositifs, les lois sur la décentralisation de 1983 ont modifié en profondeur l’action sociale et le contexte institutionnel. L’introduction de nouvelles technologies, de pratiques de management et d’une logique gestionnaire a favorisé l’émergence de nouveaux métiers – chefs de projet, agents de développement, etc. Face à la rationalisation des choix budgétaires, les métiers canoniques d’assistant de service social ou d’éducateur ont été concurrencés par de moins qualifiés ou « faisant fonction ». On embauche, par exemple, des chauffeurs pour déposer les enfants dans un camp de vacances, et ainsi ne pas dépasser l’amplitude horaire des éducateurs. Par la suite, la loi du 2 janvier 2002, qui conforte les droits des usagers, conduit à l’apparition d’autres types de métiers, auparavant inexistants.

Lesquels ? Et quelles sont leurs spécificités ?

Beaucoup de métiers ne sont pas issus du care. Prenons l’exemple de l’inclusion : on recrute des commerciaux et des chargés d’insertion professionnelle pour les Esat [établissements et services d’aide par le travail]. Pour soutenir les mineurs non accompagnés dans leur démarche, on embauche des juristes. Des promeneurs du Net[1] luttent contre la précarité numérique. Et il y a les métiers de l’ombre : responsable qualité, chargé de mission patrimoine. Ceux qui œuvrent pour l’inclusion dans la cité, dans les logements sociaux. On étoffe aussi les sièges sociaux avec des salariés qui n’ont rien à voir avec le travail social classique.

Les contours du secteur social sont-ils devenus difficiles à définir ?

Une étude de la Mission recherche (MiRe) de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a montré qu’il existait 180 appellations différentes pour 500 intervenants étudiés. Cette grande division du travail social a découlé des besoins nouveaux et de l’évolution du secteur comme la désinstitutionnalisation. Mais on voit bien que le flou des compétences et des positions règne dans un secteur social très éclaté. C’est la raison pour laquelle nous peinons à construire une discipline « sciences humaines et sociales », qui serait pourtant à même de mettre de l’ordre dans ce brouhaha.

Dans quelle mesure ces métiers relèvent-ils du travail social ?

Selon Max Weber, le social est un substantif. Son existence requiert une action, c’est-à-dire un comportement auquel un être humain donne un sens. Une action est sociale lorsque celle-ci est tournée vers autrui. L’économiste et sociologue allemand ne donne un sens ni positif ni négatif à sa définition. Gifler son voisin est aussi un acte social. Dans la logique wébérienne, les métiers périphériques, comme ceux de coiffeurs ou de chauffeurs, sont tournés vers le social. Mais ces professionnels font-ils partie des équipes éducatives ? Ont-ils été formés pour travailler dans une institution éducative, comme ceux des métiers canoniques ? S’ils contribuent à l’aide aux personnes accompagnées, ils diffèrent largement de ce qu’est le travail social, c’est-à-dire, selon la définition légale, « une activité qui vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté ».

A-t-on besoin d’une clarification ?

Ces différents métiers périphériques qui semblent nécessaires renforcent le flou déjà existant depuis longtemps. Il est en conséquence important de favoriser la qualification – quel diplôme professionnel pour pérenniser ces emplois ? – et de classer ces métiers, d’en établir un inventaire et de voir à quoi ils correspondent. Le Haut Conseil en travail social (HCTS) doit pouvoir y travailler afin d’y voir plus clair. En septembre dernier, un collectif de chercheurs dont je fais partie a publié un manifeste pour construire une discipline « sciences humaines et sociales – travail social »[2]. Nous allons nous heurter au choix des professions qui constitueront cette discipline. Aux côtés de celles qui ont été promues au grade de licence, nous devrons débattre de nombreux métiers émergents.

Notes

(1) Voir ASH n° 3102 du 15-03-19, p. 30.

(2) Voir ASH n° 3223 du 3-09-21, p. 34.

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