Je me souviens de ces vacances, il y a longtemps. Nous étions encore un jeune couple amoureux à l’époque, plein d’amour et de projets, et Flobert m’avait offert un cadeau merveilleux : un baptême de l’air en planeur ! « Tu verras, c’est magique, ce sentiment de liberté, quand tu es là-haut. Le silence et la beauté », m’avait dit mon époux tout doux.
Je me souviens. Le grand terrain d’herbe et la montagne tout autour. L’instructeur rieur et son bob vissé sur la tête. Et les planeurs, sagement alignés en bout de piste, tels de grands oiseaux endormis attendant sagement leur tour.
Je prends place, consignes pour le parachute d’abord, mieux vaut prévoir au cas où. Pour le meilleur et pour le pire, dans les liens du mariage et la liberté du ciel. L’avion de remorquage est devant moi et, entre nous, le câble. « Le fil de la vie », me dit l’instructeur en riant. « C’est toi qui largues, quand tu veux, quand tu le sens, tu as le contrôle. »
C’est parti. Le remorqueur s’élance sur la piste, je le vois s’éloigner, le câble se tend, le planeur bondit à sa suite, et j’ai à peine le temps de lever les yeux que nous nous envolons. Sous mes ailes, la piste, et Flobert qui me fait de grands signes. Devant moi, le câble, l’avion, la montagne, le ciel… Je commence à paniquer. Qu’est-ce que je fais là-haut ? Je respire. Tant que le câble est entre nous, j’ai juste à me laisser aller, je suis tractée, portée, en sécurité. Mais, tôt ou tard, il faudra tirer sur la poignée jaune, larguer, lâcher, et voler de mes propres ailes. « C’est quand tu veux, Florette », me dit le jeune instructeur. J’inspire, j’expire, et je tire sur la poignée de largage. Le planeur semble s’arrêter dans les airs – ô temps, suspends ton vol ! Devant moi, le remorqueur s’éloigne très vite, traînant derrière lui le câble qui nous reliait, cordon ombilical désormais inutile. Je vole. Je suis un oiseau doucement porté par le vent, et « jamais rien ne m’empêche d’aller plus haut ».
Merveilleux souvenir que celui de ces quelques instants de liberté, en plein milieu du ciel et des montagnes.
C’était il y a si longtemps. C’était hier.
C’est aujourd’hui. Je repense à ce vol. Je suis le planeur et j’ai tiré sur la poignée de largage. Je veux voler seule et libre, sans le moteur qui fait tant de bruit dans ma tête. Mais ce fichu câble reste solidement ancré, l’avion remorqueur décide à ma place, il vire et pique et se cabre et vire encore, le ciel et la montagne tournent autour de moi dans une vrille incontrôlable.
Je suis le remorqueur qui tire avec effort ce fichu planeur qui ne veut pas se détacher, boulet trop lourd, cramponné, qui me ralentit, nous entraînant tous deux vers la chute. Je suis le câble démesurément tendu et prêt à craquer.
Je suis le ciel et la montagne, j’observe la drôle de danse des oiseaux de bois, parade nuptiale ou danse macabre.
Je suis pilote et passagère, marionnettiste et pantin, liberté du ciel et tombeau de la montagne. Si seulement je pouvais larguer le câble !