L’initiative ubuesque a été confirmée le 16 décembre dernier par la ministre kosovare de la Justice, Albulena Haxhiu. Après ratification par les deux parlements siégeant à Pristina et Copenhague, le Danemark sera autorisé à expulser 300 de ses détenus étrangers vers la petite république des Balkans, dont l’indépendance aux dépens de la Serbie, proclamée en 2008, a été reconnue par les Etats-Unis, l’Allemagne, la France ou encore le Royaume-Uni, mais demeure encore aujourd’hui âprement contestée au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, Russie et Chine en tête. L’accord scellé entre les deux pays prévoit la location de quelque 300 places de prison situées dans la ville kosovare de Gjilan pour accueillir des prisonniers étrangers menacés d’expulsion, en échange d’une somme colossale pour cet Etat d’à peine deux millions d’habitants, soit 210 millions d’euros étalés sur les dix prochaines années.
Sans surprise, cette initiative a provoqué la consternation des organisations non gouvernementales (ONG), qu’elles soient danoises ou kosovares. « Nous sommes tout à fait opposés à cet accord, car notre système pénitentiaire ne peut pas gérer les prisonniers qui sont envoyés ici. Pour le Danemark, il est facile de trouver 300 prisonniers dont ils ne veulent pas et de les envoyer dans un autre pays », a par exemple déclaré Behxhet Shala, directeur de l’ONG Council for the Defense of Human Rights and Freedoms. Selon ce dernier, la décision prise par les deux pays demeure contraire au droit international qui garantit aux détenus le droit de purger leur peine dans une prison située à proximité de leur famille, mais le gouvernement kosovar, et surtout danois, n’en ont cure. Selon le ministre danois de la Justice Nick Hækkerup, peu importe l’état désastreux des établissements pénitentiaires kosovars, l’accord se limitant strictement à son volet financier, auquel s’ajoute un « bonus » de quelque 6 millions d’euros annuels versés au nom de l’aide à la « transition écologique » (sic).
Ces transferts de prisonniers ne constituent pas une première à l’échelle de l’Europe, la Norvège ayant par exemple sous-traité l’incarcération de certains de ses détenus aux Pays-Bas entre 2015 et 2018. Mais ils demeurent inédits par l’éloignement géographique – plus de 2 000 km séparent Copenhague et Pristina – et s’inscrivent dans le cadre d’une fuite en avant du gouvernement social-démocrate dans l’accueil et la gestion des étrangers présents sur le sol danois, qu’il s’agisse de migrants économiques ou des demandeurs d’asile. Comme les ASH l’avaient déjà souligné(1), la gauche au pouvoir au Danemark croit avoir trouvé la martingale électorale en alliant une défense opiniâtre de son modèle social, réservé aux seuls nationaux, avec un discours et des législations particulièrement cruelles destinées à décourager toute nouvelle tentative d’installation des migrants, accusés de ne pas réussir à s’intégrer et de mettre en péril la cohésion du pays. Le gouvernement a ainsi récemment autorisé les expulsions de quelques poignées de réfugiés syriens vers les zones contrôlées par le régime de Bachar al-Assad, et tente de finaliser un accord avec la dictature de Paul Kagame au Rwanda pour sous-traiter la gestion de ses demandeurs d’asile actuellement incarcérés au Danemark en attendant que la justice se prononce sur leur sort.
Quant aux prisonniers expulsés au Kosovo, leur situation kafkaïenne pourrait se poursuivre après avoir purgé leur peine. Selon le ministère danois de la Justice, ceux qui refuseraient d’être expulsés dans leur pays au terme de leur détention pourraient être renvoyés au Danemark… pour être à nouveau placés dans des centres de détention.