Peut-on croire, avec le chef de l’Etat, que cette nouvelle année sera celle de la sortie de la pandémie, celle où nous pourrons « voir l’issue de ce jour sans fin » ? Depuis le début, les historiens ont été largement convoqués pour comparer la situation présente avec les crises du passé et en décrire l’issue. En revenant sur un épisode survenu voilà 190 ans, nous verrons que les peurs d’autrefois font écho à nos propres interrogations.
L’épidémie de choléra qui touche la France en 1832 est apparue en Inde quelques années plus tôt, avant de toucher le continent européen dès 1830. En six mois, elle cause la mort de 100 000 personnes en France, dont 20 000 à Paris. Très tôt, cependant, la question sociale se mêle à l’enjeu sanitaire : en demandant à une entreprise d’effectuer le ramassage des ordures et immondices pour des raisons d’hygiène, le préfet de police de Paris prive les chiffonniers de leur activité. Une émeute se déclenche le 1er avril. Comme on peut le lire au faubourg Saint-Antoine, les élites deviennent les boucs émissaires : « Le choléra est une invention de la bourgeoisie et du gouvernement pour affamer le peuple ! » En réalité, l’épidémie survient dans un contexte national et international propice aux fièvres révolutionnaires : quelques mois auparavant, Louis-Philippe a maté la révolte des canuts à Lyon, tandis qu’en Grèce, en Italie ou en Pologne, des mouvements de contestation du pouvoir ont des résonances jusqu’en France. Lorsque l’épidémie s’achève, un médecin démontre les causes sociales de la maladie. Membre de l’Académie de médecine et du Comité d’hygiène publique, lointain ancêtre du ministère de la Santé, le docteur Villermé produit un rapport qui établit les liens entre niveaux de revenus et diffusion du choléra, sans que l’on soit encore capable de déceler les mécanismes de la contagion. Les quartiers les plus pauvres de la capitale ont en effet été les plus touchés par ce mal. Cet épisode contribue à une prise de conscience de l’urgence de la question sociale.
Pour les contemporains, une autre « sortie » de l’épidémie est possible, par l’humour. Le début de l’épidémie coïncide dans le calendrier avec la période des carnavals, à la mi-carême et on voit dans les cortèges certains badauds porter des masques de choléra-morbus en guise de déguisement, mais aussi pour conjurer le sort. Dans Le Charivari, premier quotidien satirique illustré créé en 1832, on se moque des remèdes loufoques préconisés par médecins et pharmaciens autant que des croyances concernant les manières de contracter le choléra. Les peurs des plus aisés sont en particulier visées : une jeune femme se trouve désespérée devant un melon qu’elle ne peut acheter, les crudités étant réputées favoriser le choléra. Sortirons-nous alors de la pandémie actuelle par le rire ? Formulons au moins le vœu que les Villermé d’aujourd’hui seront entendus, pour offrir des réponses à la crise sociale qui vient.