Pour les athlètes comme pour les entreprises, la préparation des Jeux olympiques et paralympiques est intense. Placé sous le signe de l’inclusion et de la solidarité, cet événement invite les acteurs de l’insertion par l’activité économique (IAE) à y prendre part, avec un contexte qui leur est favorable. D’un côté, en effet, Paris 2024 déploie une stratégie d’achats responsables, reposant notamment sur le recours aux entreprises d’insertion. De l’autre, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) – établissement public chargé de la livraison des ouvrages et des opérations d’aménagement nécessaires à l’organisation et au déroulement des Jeux – a adopté en juillet 2018 une charte sociale réservant 10 % des heures travaillées à l’insertion professionnelle via ses différents marchés. « Ces engagements, notamment celui de la Solideo, qui prévoit des objectifs chiffrés, permettent aux structures de l’IAE de valoriser leur travail et d’accéder aux appels d’offres. Cela peut aussi inciter les maîtres d’ouvrage à se tourner vers ces structures, notamment ceux qui ne les connaissent pas », souligne Guillaume Labbe, chargé de mission filières et développement économique à la Fédération des entreprises d’insertion.
Pour aider ces acteurs, la plateforme ESS 2024 (ess2024.org) a été mise en place, issue d’un accord de collaboration entre Paris 2024, la Solideo et Les Canaux, une association parisienne dédiée à l’accompagnement des acteurs de l’économie sociale et solidaire. « Nous nous adressons aussi bien aux donneurs d’ordres qu’aux structures de l’IAE, explique Nicolas Peyronnet, chef du projet ESS 2024 pour Les Canaux. Pour ces dernières, nous réalisons une veille des marchés publiés, les conseillons et les accompagnons dans leurs démarches pour y répondre. » Parce que toutes les entreprises d’insertion ne possèdent pas les codes de la commande publique, ESS 2024 organise également des événements et des formations sur le sujet. « Cela permet à certains de monter en compétences. Des connaissances qui perdureront après les Jeux olympiques », souligne-t-il.
Sur la question spécifique des heures de travail réservées, les facilitateurs de clauses sociales, maillons importants de l’IAE, sont également mobilisés. « Ces personnes ressources, en charge de l’ingénierie des clauses sociales sur un territoire donné, sont en lien avec les donneurs d’ordre ainsi qu’avec les structures de l’IAE pour répondre à ces objectifs chiffrés », indique Lucie Becdelièvre, déléguée générale d’Alliance villes emploi, le réseau national des collectivités locales impliquées dans les questions d’insertion, d’emploi et de formation. Ces réponses se déclinent en trois possibilités : l’embauche directe, le recours à l’intérim et la sous-traitance. « Cette dernière piste semble être privilégiée pour l’IAE », constate la jeune femme. En Ile-de-France, alors que Bouygues a remporté un important chantier pour l’équipement des villages olympiques et paralympiques, Resto Passerelle s’occupe de la restauration sur le chantier. Ce pôle territorial de coopération économique, à travers ses chantiers d’insertion, vise à réinsérer des publics rencontrant de lourdes problématiques socioprofessionnelles. En termes de chiffres, mi-décembre 2021, « sur les 201 lauréats de marchés passés par ESS 2024, 41 sont des structures de l’IAE », précise Nicolas Peyronnet. Parmi elles, 11 se situent en Seine-Saint-Denis. « Si les JO sont un sujet très important pour l’Île-de-France, d’autres territoires sont également concernés puisqu’ils vont accueillir les bases arrière des délégations sportives. Je pense notamment aux villes de Lille ou Marseille », développe la déléguée générale d’Alliance villes emploi.
Dans le sport comme dans les marchés publics, « il est parfois difficile d’y aller seul, notamment pour les entreprises d’insertion qui sont loin de ces commandes, estime Guillaume Labbe. Mais l’enjeu est de trouver le bon partenaire pour répondre de manière cohérente à l’appel d’offres. » S’opère alors un travail d’identification et de mise en relation des acteurs de l’IAE et des entreprises pour favoriser des partenariats. Cette mission s’effectue au niveau national avec la plateforme ESS 2024, mais aussi au niveau local, dans les territoires concernés par l’événement. En Ile-de-France, la Seine-Saint-Denis a créé le dispositif Fabrique des Jeux. « Il regroupe ESS 2024, Inser’Eco 93, le réseau des 68 structures locales de l’IAE, mais également la chambre de commerce et d’industrie et bientôt, la chambre des métiers et de l’artisanat », explique Jean-Luc Parisot, adjoint à la direction de l’emploi, de l’insertion et de l’attractivité territoriale du département. « En discutant ensemble, il devient possible de créer des ponts entre les acteurs de l’IAE et ceux de l’économie classique », ajoute-t-il.
Et cela fonctionne. Lauréate de trois appels à projet, l’association Halage démarre son marathon pour 2024. « Il faut dire que nous étions au bon endroit au bon moment », sourit Stéphane Berdoulet, son co-directeur. Cette structure, basée à L’Ile-Saint-Denis, travaille dans l’aménagement des espaces urbains en employant 90 salariés sur ces chantiers d’insertion. Elle est chargée d’aménager une partie des villages olympiques, mais également d’expérimenter des substrats fertiles pour la végétation de ces lieux. « Nous avons pu répondre aux marchés en bénéficiant de la veille qu’assure ESS 2024 », explique-t-il. Tous ces projets sont menés en co-traitance avec un bureau d’études, une PME et un établissement et service d’aide par le travail (Esat), structure réservée aux personnes en situation de handicap. « Ces chantiers s’inscrivent dans le temps. Et si cela débouchera certainement sur des embauches dans les années qui viennent, les Jeux olympiques nous permettent avant tout de consolider les postes existants. Ce qui n’est pas négligeable durant cette crise sanitaire », précise Stéphane Berdoulet. Surtout, le co-directeur d’Halage constate un vrai impact émotionnel de ces chantiers sur les salariés : « Ils ont le sentiment de construire quelque chose d’utile, de participer à un grand événement et d’y laisser leurs traces. Cela leur donne beaucoup de fierté. »
Si les années 2020 et 2021 ont été celles des marchés des constructions et des équipements, l’enjeu pour 2022 se situe du côté des services. « En particulier pour le nettoyage, la gestion des déchets et la restauration. Des secteurs où l’IAE est très présente »,contextualise Guillaume Labbe. Or, pour les services, « il n’existe pas encore de charte et d’objectifs chiffrés comme pour la construction, remarque Lucie Becdelièvre. Lorsque le marché de la restauration des villages olympiques et paralympiques a été attribué au géant multinational Sodexo, en octobre dernier, certains acteurs ont ressenti la nouvelle comme « une douche froide », selon les motsde Jean-Luc Parisot, du département de Seine-Saint-Denis. « Quid de la sous-traitance ? s’inquiète-t-il. Il faudra que l’entreprise joue le jeu en faisant travailler les entreprises du territoire, et notamment celles de l’IAE. » Commence alors une opération de sensibilisation pour mettre en valeur les compétences de ces entreprises. « Le ruissellement ne viendra pas tout seul. Il nous faut aller le chercher », estime-t-il. « Si les donneurs d’ordres sont conscients de l’enjeu de l’inclusion, ils opèrent pour un événement avec un budget et un calendrier contraints. Aussi leur faut-il prendre des arbitrages en conséquence. D’où ce travail de lobbying pour les convaincre de prendre au mieux leurs décisions », précise Nicolas Peyronnet. Toutefois, la plupart des acteurs sont confiants et dans les starting-blocks, forts de leurs succès dans les marchés de la construction et de l’équipement.
Mais de nombreuses questions demeurent. En premier lieu, celle de la formation des futurs travailleurs sur les sites des Jeux olympiques. « On ne va pas les former durant plusieurs mois pour quinze jours de travai l, remarque Lucie Becdelièvre. Que deviendront-ils après ? Et comment valoriser leur montée en compétences sur le long terme ? » Plus largement, qu’en sera-t-il du secteur de l’activité par l’insertion économique une fois passé l’été 2024, qui se caractérisera par un pic d’activité conséquent mais limité dans le temps ? L’ensemble des acteurs veut croire à un « après » pour cette période-là. « Les compétences acquises, les partenariats avec les TPE ou PME locales, les liens avec les grands groupes … Tout cela pourra perdurer », estime Jean-Luc Parisot. De son côté, Guillaume Labbe, de la Fédération des entreprises d’insertion, espère que cette étape « sera une première marche pour initier ou accélérer les stratégies de développement de ces entreprises. Notre souhait, c’est qu’il y ait un “après”. »