« Chez nous, le pôle “solidarité”, qui réunit la pMI et la protection de l’efance, a perdu plus de 600 professionnels en cinq ans, toutes compétences confondues. Les gens s’en vont les uns après les autres et ne sont pas remplacés. Résultat : dans mon secteur, seul un service sur quatre perdure et nous conservons un seul médecin, cantonné à la vaccination », décrit une auxiliaire de puériculture, qui a préféré conserver l’anonymat. Ailleurs, la situation des services de la protection maternelle et infantile (PMI) n’est guère plus reluisante. En Seine-Saint-Denis, entre 40 et 50 postes de médecins territoriaux sur 150 ne trouvent pas preneurs, faute de candidats. Dans les Hauts-de-Seine, le phénomène gagne aussi les sages-femmes et les puéricultrices.
La PMI, un bateau qui prend l’eau de toutes parts ? « Certains départements s’en sortent mieux que d’autres, mais nous constatons de façon globale une dégradation des conditions de travail. Des difficultés de tout ordre apparaissent, avec la conviction qu’il se pose un problème d’avenir existentiel à relativement court terme », déplore Pierre Suesser, président du Syndicat national des médecins de PMI (SNMPMI). Ce constat rejoint celui dressé par la députée Michèle Peyron (LREM) au sein d’un rapport remis au gouvernement en mars 2019(1), dans lequel elle augurait « une extinction de la PMI dans la majorité des départements d’ici une décennie » si l’exécutif ne réagissait pas. Trois ans plus tard, les recommandations du rapport sont presque toutes restées lettre morte. « Le problème, c’est que les pouvoirs publics disent avoir pris la mesure de la situation, mais les moyens qu’ils accordent sont insuffisants et surtout non pérennes. En dix ans, notre budget a perdu 100 millions d’euros, c’est-à-dire 25 % du financement total de la PMI. Rien d’étonnant à ce que les conditions d’exercice se soient dégradées de la sorte », objective Pierre Suesser.
Depuis 2020, toutefois, l’Etat affiche sa volonté de replacer les PMI au cœur de sa politique à travers sa stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022. Pour la mettre en œuvre, il a notamment contractualisé avec 70 départements afin d’instaurer des objectifs déclinés en fonction des quatre engagements de cette stratégie. Parmi eux, l’élargissement des entretiens prénataux réalisés par la PMI ou l’intensification des bilans de santé effectués en école maternelle. A la clé, près de 100 millions d’euros de budget de l’Etat, ventilés sur trois ans (soit 15 millions en 2020, 33 millions en 2021 et 48 millions en 2022). « Sur une si courte période, on ne peut pas imaginer que les départements puissent s’engager à fond. Faute de visibilité à long terme, beaucoup de collectivités ne se lancent pas dans le recrutement de nouveaux professionnels. Et s’il n’y a pas suffisamment de personnels, je ne vois pas comment on va atteindre ces objectifs », commente le responsable syndical. Sans compter qu’une partie de ce budget ira directement à la protection de l’enfance, à travers le renforcement des moyens des cellules de recueil des informations préoccupantes (Crip) (voir notre dossier juridique page 16) et un plan de contrôle des établissements et services du secteur. « Quels qu’ils soient, ces financements sont forcément bienvenus parce que cela permet de donner un coup de projecteur sur la petite enfance. Reste que leur application, du fait de la décentralisation, est très hétérogène et qu’il est complexe d’en connaître les effets, faute de remontées d’informations locales suffisantes », temporise Maëlle Léna, chargée de mission « enfance-famille » et « réfugiés-migrants » à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).
A l’inquiétude sur la capacité des autorités à réinjecter les moyens nécessaires pour assurer l’avenir de la PMI s’ajoute donc celle de leur mise en place sur les territoires. Une pétition nationale en cours réunissant une quinzaine d’organisations médico-sociales(2) demande que l’Etat affecte à la PMI 200 millions d’euros en budget annuel. De quoi, espèrent les signataires, permettre « à l’ensemble des professionnels de PMI de bénéficier des moyens matériels et humains suffisants pour répondre aux besoins de santé et de prévention de leur population ». Ces moyens, équivalant à 0,1 % de la dépense annuelle de santé, seraient utiles non seulement pour revaloriser les salaires des professionnels, mais également pour attirer de nouveaux talents.
Objectif : permettre à ces structures de regagner leur vocation universaliste, régulièrement remise en question par des équipes obligées de pratiquer un hyper-ciblage de leurs missions. « Dans la plupart des collectivités territoriales, les services ont été contraints de recentrer leur activité sur les familles en grande difficulté au détriment de la dimension préventive, qui constituait pourtant un levier essentiel de la PMI, regrette Maëlle Léna. Un problème auquel nous sommes également confrontés puisqu’ils ont régulièrement des difficultés à répondre aux besoins exprimés par les professionnels de notre secteur. » Les revendications de la Fédération des acteurs de la solidarité sont claires : outre le renforcement des moyens, l’inclusion des structures d’hébergement-logement dans les schémas départementaux pour favoriser une approche transversale et pluridisciplinaire des parcours et éviter les ruptures.
Plus de coopération, tel est aussi le souhait de la fédération Uniopss et, à travers elle, des associations et institutions régionales qu’elle représente. « On sent aujourd’hui qu’il y a un besoin de coordination important entre les acteurs. Et s’il faut reconnaître un atout à la contractualisation, c’est de manifester une volonté de réunir les professionnels intervenant à la croisée des champs du soutien à la parentalité, de la santé et de la protection de l’enfance, concède Sandrine Dautigny, responsable “enfance-jeunesse-famille” au sein de l’Uriopss Hauts-de-France. Pour autant, en l’état actuel, ce n’est pas assez satisfaisant. Il faut aller plus loin pour permettre davantage d’expérimentation et d’innovation et favoriser la coconstruction d’un projet de société riche de sens. »
Insatisfaits, les 14 organismes signataires de la pétition nationale le sont aussi des quelques mesures proposées dans le projet de loi relatif à la protection des enfants qui sera présenté au Sénat le 14 décembre prochain. « Notre inquiétude majeure se porte surtout sur la substitution des normes minimales de personnels jusqu’ici en vigueur au profit d’objectifs de couverture populationnelle, au lieu de combiner les deux, détaille Pierre Suesser. Le risque est de voir les départements imposer une logique de rendement pour remplir les objectifs nationaux de santé publique, au détriment de la qualité de la prévention. On peut donc légitimement se demander si les autorités concernées ont pris la mesure de la catastrophe qui s’annonce pour la PMI. »
Les professionnels de la petite enfance peuvent souffler : le projet de loi relatif à la protection des enfants ne remet pas en cause le rôle des PMI à l’égard des agréments et de l’accompagnement des « modes de garde ». Reste qu’une expérimentation doit prochainement démarrer en Haute-Savoie, dans le Nord et le Maine-et-Loire, qui autorisera le département à transférer cette compétence à la caisse d’allocations familiales. Cette dernière deviendra alors le seul interlocuteur des crèches et des assistantes maternelles. « Un tel projet serait mis en place au détriment de la qualité de l’accueil, prévient Philippe Dupuis, directeur de l’Association des collectifs enfants-parents-professionnels (Acepp). C’est la raison pour laquelle il est crucial que nous conservions la double tutelle avec les PMI. »
(1) « Pour sauver la PMI, agissons maintenant ! » – A consulter sur bit.ly/3lGVzLl.
(2) « Prendre les mesures efficaces pour sauver la PMI » – A consulter sur bit.ly/3EEbrpq.