La déresponsabilisation des politiques autour des questions de petite enfance est dramatique. Le programme des « 1 000 jours », mis en place par Adrien Taquet, va apprendre aux parents à mieux connaître le développement de leurs enfants. Tant mieux, mais les approches sociales de la parentalité – c’est-à-dire les conditions de vie, le genre, le travail domestique – ne sont pas prises en compte, alors qu’elles sont essentielles dans le « devenir parent ». Pourquoi ce sont toujours les femmes qui emmènent les enfants chez le médecin, qui prennent les jours pour enfant malade, etc. ? Les politiques se défaussent de cette responsabilité sociétale, économique et financière. Ils évacuent le collectif et individualisent l’expertise personnelle. Mais certains parents n’y arrivent pas toujours sans accompagnement ni aide. On retrouve le même type de désengagement de l’Etat envers la PMI [protection maternelle et infantile], les éducateurs et autres services sociaux. Avec la Covid, on s’étonne subitement que les enfants connaissent des problèmes de santé mentale. Mais ils ont besoin de milieux de vie qui soient riches, métissés, multiples, et dans lesquels il y ait une attention à leur égard. Or on manque de lieux d’accueil précoce tels que les réclament les professionnels.
L’argent. Pourtant, toutes les études témoignent de l’importance d’investir en faveur de la petite enfance. La prévention coûte bien moins cher que la prise en charge de la précarité, de la santé ou, plus tard, de la délinquance. Il est important que les parents puissent bénéficier de lieux « ressources » pour souffler, rencontrer d’autres personnes, échanger leurs savoirs, leurs expériences. Avant, ils parlaient entre eux autour du bac à sable avec les poussettes tout autour, échangeaient avec leurs voisins. Un cadre soutenant existait. Maintenant, ils se retrouvent sur Instagram, mais ça n’a pas la même teneur. La parentalité n’a rien du management, avec des objectifs à réaliser, des évaluations contraintes… L’enfant se construit aussi avec des défaillances, ce qui ne signifie en rien des maltraitances. Les parents ont le droit de se tromper. Le métier de parent est complexe, il demande du temps. Mais l’idéologie du bonheur dans laquelle nous baignons leur impose la performance.
Cette notion concerne davantage les milieux aisés que ceux qui consultent plus souvent les services de PMI. Il s’agit d’une parentalité bienveillante, non violente, s’adressant à une catégorie de parents qui cherchent des conseils, des forums, des blogs sur Internet et paient pour ça par le biais d’ateliers, de kits, d’outils, de formations. Ce concept marque une vraie fracture sociale. Il repose sur l’idée d’« empowerment » – soit « fais-toi toi-même », ou « si tu veux, tu peux » –, au cœur du développement personnel. Il nie les contextes sociaux. Vivre dans un quartier défavorisé ou dans un studio à quatre n’équivaut pas à habiter un quartier riche dans un grand appartement avec terrasse. Il s’agit d’un modèle de parentalité très libéral, consommateur et formaté. La pression exercée sur les enfants et les parents crée un halo de difficultés potentielles, d’impossibles. La gestion d’un enfant au quotidien n’est pas donnée. Il faut apprendre à bricoler.
C’est exactement cela. Comme s’ils devaient narcissiquement être récompensés de l’investissement réalisé pour leurs enfants, telle une avance sur recettes. Ils sont sommés d’être des parents experts afin que leur progéniture réalise tous les rêves qu’ils ont projeté sur eux. Du coup, ils leur imposent des agendas de ministre. La société est très culpabilisante. Si l’enfant ne réussit pas, c’est que les parents ont mal fait ou qu’ils sont incapables.