La protection de l’enfance est certes une question d’ordre national, l’Etat étant le garant de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’échelon départemental endosse cependant un rôle important dans le dispositif juridico-administratif en matière de protection de l’enfance. Les lois de décentralisation des années 1980 ont ainsi consacré au profit des départements les services de la protection maternelle infantile, de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et de l’action sociale générale. Le droit étant en constante évolution, a été ajouté en 2007 un volet destiné à renforcer la prévention de l’enfance en danger, population vulnérable par définition, tant dans son intégrité physique que mentale. La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a, entre autres, confié au président du conseil départemental le recueil, le traitement et l’évaluation des informations préoccupantes visant les enfants en danger ou en risque de danger. A ce titre, il incombe à l’exécutif départemental la responsabilité de mettre en place une cellule spécialement dédiée au recueil des informations préoccupantes.
Ce dossier a pour objectif de tracer les contours de cette cellule particulière. D’une part, au travers de son organisation et de son fonctionnement, d’autre part, des informations sensibles étant susceptibles de circuler entre divers types de professionnels, en abordant la problématique du secret professionnel, celui-ci étant aménagé afin de répondre à l’objectif de prévention effective des intérêts des mineurs.
La protection des mineurs et le recueil des informations préoccupantes, en ce compris le fonctionnement de la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip), sont régis par les articles L. 226-1 à L. 226-13 et D. 226-1 à D. 226-3-10 du code de l’action sociale et des familles (CASF).
L’article L. 226-3 du CASF, issu de la loi du 5 mars 2007, précise le rôle du président du conseil départemental : « Le président du conseil départemental est chargé du recueil, du traitement et de l’évaluation, à tout moment et quelle qu’en soit l’origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être. »
Il est alors chargé d’organiser et d’animer ladite cellule départementale créée par la loi, et de mettre en place les outils fiables à même de créer les procédures depuis la transmission d’une information à la cellule jusqu’aux éventuelles suites et décisions.
Dans le cadre de ses missions (voir infra), la Crip constitue un point de jonction qui se veut central avec différents acteurs et professionnels intervenant à des degrés divers dans la protection de l’enfance, ceux-ci étant amenés à connaître, de près ou de loin, de situations de danger et à faire circuler l’information opportune, ou incarnant la défense de l’ordre public :
• les juridictions compétentes, en premier lieu le parquet – ou procureur de la République –, traditionnelle incarnation de la défense de l’ordre public, les services du préfet, représentant de l’Etat dans le département (« Le représentant de l’Etat et l’autorité judiciaire lui apportent leur concours » [(CASF, art. L. 226-3]) ;
• les professionnels des services de police et de gendarmerie ;
• les services départementaux dédiés : protection maternelle et infantile, action sociale et aide sociale à l’enfance, services d’action sociale (assistants de service social…) ;
• les professionnels de l’Education nationale (ex. : service social en faveur des élèves, infirmiers scolaires…), de la protection judiciaire de la jeunesse, de la direction départementale de la jeunesse et des sports… ;
• les professionnels des structures hospitalières, médecins et spécialistes libéraux (ex. : pédopsychiatres…) ;
• les établissements publics et privés intervenant dans le social et le médico-social, spécifiquement en contact avec l’enfance (ex. : établissements et services pour l’enfance handicapée, services d’accueil de la petite enfance, centres communaux et intercommunaux d’action sociale…) (« Les services publics, ainsi que les établissements publics et privés susceptibles de connaître des situations de mineurs en danger ou qui risquent de l’être, participent au dispositif départemental » [CASF, art. L. 226-3]) ;
• les membres des associations de défense des intérêts de l’enfant (« Le président du conseil départemental peut requérir la collaboration d’associations concourant à la protection de l’enfance » [CASF, art. L. 226-3]) ;
• les élus locaux, des acteurs représentatifs du monde professionnel – juristes, professionnels de santé… – en tissant des partenariats (ex. : Ordre des avocats des différents barreaux, Conseil national de l’ordre des médecins…).
A noter : Au-delà de l’échelon départemental, chaque Crip se doit d’être également en liaison avec le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger – le numéro 119 (« L’Etat, les départements et des personnes morales de droit public ou privé constituent un groupement d’intérêt public pour gérer un service d’accueil téléphonique gratuit […] [CASF, art. L. 226-6]). Ce service a pour compétence de répondre en permanence, via ce numéro, aux appels des particuliers, possiblement porteurs d’informations préoccupantes. Il informe chaque département des appels reçus concernant des mineurs en danger ou susceptibles de l’être en transmettant à la Crip toute information préoccupante.
Tous ces acteurs sont amenés à apporter leur collaboration étroite dans la mise en œuvre de la cellule et pour son bon fonctionnement, à différents stades : élaboration des protocoles (voir page 18), respect des procédures de recueil et de traitement des informations (voir page 18) …
Afin de mener à bien ses missions, la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes doit associer des professionnels sociaux et médico-sociaux, formant une équipe pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle permanente dotée des compétences techniques dans le secteur social, éducatif et médical.
Selon l’article L. 226-2-2 du CASF : « Les personnes qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance […] ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil départemental ou au responsable désigné par lui […] toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l’être […]. »
La Crip a ainsi une vocation centrale, au niveau départemental, de recueil de toutes les informations préoccupantes, que celles-ci émanent de particuliers ou des professionnels.
L’objectif de la loi est de faire converger vers un même espace pleinement identifié par les acteurs toutes les informations ci-dessus visées. La préoccupation est d’éviter les risques de leur dispersion, synonyme de défaillance de l’action publique, et de rendre fiable le dispositif de recueil.
La loi invite les acteurs et professionnels concernés par la politique de protection de l’enfance à formaliser les procédures de recueil par protocoles.
Selon l’article L. 226-2, alinéa 2, du CASF : « Des protocoles sont établis à cette fin entre le président du conseil départemental, le représentant de l’Etat dans le département, les partenaires institutionnels concernés et l’autorité judiciaire en vue de centraliser le recueil des informations préoccupantes au sein d’une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations. »
Les protocoles ont pour but de fixer et d’officialiser les modalités de transmission de toutes les informations préoccupantes à destination de la Crip. Ils énoncent le mode opératoire de transmission des informations en fonction du type d’acteurs, les modalités de retour de ces mêmes informations vers ceux-ci, en tenant compte des procédures inter-institutions.
A noter : Les personnes ayant transmis des informations préoccupantes à la Crip doivent, sous la responsabilité de celle-ci, être destinataires en retour d’un accusé de réception attestant tant de la prise en compte que de l’instruction de ces informations. Cet accusé de réception ne doit pas porter sur le contenu de l’intervention de la cellule, ni sur l’évaluation du mineur ; il se cantonne, au nom du droit des personnes et de l’intérêt de l’enfant, au strict minimum de la prise en compte. Par ailleurs, ces mêmes personnes doivent être tenues informées de l’issue du traitement.
La Crip est garante du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes.
En conséquence, elle doit s’assurer que toutes les informations préoccupantes sont effectivement prises en compte dans les délais les plus courts.
Ces informations font ensuite l’objet d’un traitement et d’une évaluation, sous la responsabilité de professionnels sociaux et médico-sociaux, deux étapes qui requièrent nécessairement du temps, en fonction de la situation des enfants.
Il est des hypothèses où la Crip n’effectue pas elle-même le traitement des informations préoccupantes, par exemple lorsque les services de police et de gendarmerie ont agi, avec intervention du procureur de la République, ou que ce dernier ait été saisi directement. En l’occurrence, la Crip est légitime à recevoir ces informations, à s’assurer qu’elles ont été effectivement traitées et à connaître les suites données – mise en œuvre de décisions administratives ou judiciaires, leurs échéances.
Il existe deux niveaux d’intervention de la Crip à ce stade du traitement et de l’évaluation.
Dès réception d’une information préoccupante, la cellule procède à au moins deux examens :
• rechercher si la situation du mineur est déjà connue des services de protection de l’enfance ;
• procéder à une analyse rapide de l’information afin de déterminer si celle-ci exige, au vu des éléments présentés, un signalement sans délai au procureur de la République du fait de son extrême gravité. Il s’agit de l’hypothèse de faits mettant le mineur en péril, dans son intégrité physique ou psychique, qualifiables pénalement, nécessitant une protection judiciaire immédiate. Les signalements transmis directement au procureur de la République doivent faire l’objet d’un retour d’information auprès de la cellule de recueil des informations préoccupantes.
Si l’information préoccupante laisse penser que l’enfant est en danger, au sens de l’article 375 du code civil – « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice […] » (C. civ., art. 375) –, mais que les éléments figurant dans l’information ne sont pas suffisants pour effectuer un signalement auprès du procureur de la République, la cellule de recueil des informations préoccupantes doit veiller à ce qu’il soit procédé à une évaluation par les services médico-sociaux départementaux ou par d’autres acteurs de la protection de l’enfance.
Traditionnellement, une information ne peut être partagée à partir du moment où ses détenteurs sont soumis légalement au secret professionnel. Pour qu’une information à caractère secret puisse être partagée, il faut qu’un texte normatif le prévoie.
Dans le domaine de la protection de l’enfance, avant la loi de 2007 destinée à la réformer, aucun partage n’était possible en droit entre les professionnels soumis au secret professionnel de différents services participant aux missions de protection de l’enfance.
Face à ce frein au partage d’informations sensibles, nombre de départements avaient mis en place de façon empirique des dispositifs d’analyse et de traitement des situations préoccupantes, associant professionnels des services départementaux et des professionnels extérieurs. Tout juste tolérés par l’autorité judiciaire, ces dispositifs étaient fragilisés par d’éventuelles actions pénales intentées par les parents pour non-respect du secret professionnel.
Pour remédier à cette situation, la loi du 5 mars 2007 a aménagé l’obligation au secret pour permettre à des professionnels d’échanger entre eux des informations tombant sous le secret, et parmi elles celles dites « préoccupantes », un préalable nécessaire à l’évaluation des situations et à la mise en place d’actions de protection en direction des mineurs. Cet apport de la loi de 2007 sur le secret professionnel contribue au bon fonctionnement et à l’efficacité de la cellule de recueil des informations préoccupantes dans l’exercice de ses missions.
A noter : L’article 226-13 du code pénal, disposition clé relative au secret professionnel, dispose : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie de 1 an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »
Envisageons successivement la question des acteurs soumis au secret professionnel et celle de l’autorisation d’échanger des informations placées sous le sceau dudit secret.
Selon l’article 226-13 du code pénal, on est soumis au secret professionnel de par son état, sa profession, sa mission ou ses fonctions. On distingue deux catégories de personnels soumis au secret(1) :
• les professionnels soumis au secret professionnel du fait de leur profession ou d’une mission qui leur est confiée. Ces professionnels sont définis par la loi : c’est le cas par exemple des assistants de service social et des étudiants des écoles se préparant à l’exercice de cette profession (CASF, art. L. 411-3). D’autres travailleurs sociaux sont soumis au secret en raison de leur profession à la suite de précisions apportées par la jurisprudence, lorsqu’elle les désigne en qualité de « confidents nécessaires » : c’est le cas par exemple des éducateurs, des directeurs d’établissement ou encore des psychologues. En outre, les professionnels de santé – médecins, infirmières… – incarnent le plus cette obligation au secret ;
• les professionnels concernés du fait de fonctions particulières. Ils sont soumis au secret professionnel par effet de la loi. Il s’agit par exemple des travailleurs sociaux qui participent aux missions du service de l’aide sociale à l’enfance, des professionnels qui collaborent au service de protection maternelle et infantile, au service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger, aux missions de la protection judiciaire de la jeunesse…
A noter : Les travailleurs sociaux ont l’obligation de partager des informations placées sous le secret et même d’avoir une attitude active lorsqu’une personne est placée dans une situation de péril grave et imminent.
Parmi les professionnels intervenant dans la protection de l’enfance figurent des personnes sous statut public. A plus forte raison le secret des échanges leur est applicable, comme le précise l’article 26 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : « Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal. Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion, de l’exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d’accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent. »
A noter : En dépit des aménagements légaux et de l’exception au secret apportés par la loi, le principe demeure l’obligation au secret. Il apparaît essentiel de connaître les données pouvant être partagées, les destinataires et les mesures de précaution à prendre.
La loi a introduit un article L. 226-2-2 du code de l’action sociale et des familles, qui permet le partage sécurisé d’informations potentiellement préoccupantes et pose par là même les bases de l’efficacité de l’action de la Crip. Cet article dispose : « Par exception à l’article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance définie à l’article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection de l’enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale, le tuteur, l’enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l’intérêt de l’enfant. »
« Enfance en danger ». Cette notion vise les difficultés que peuvent rencontrer des parents susceptibles de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité des mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, y compris les mineurs émancipés et majeurs de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. On considère généralement que l’enfant ne bénéficie pas de réponses adaptées à ses besoins fondamentaux.
En conséquence, sont considérés en danger ou en risque de danger les enfants victimes de maltraitances physiques (ex. : coups, blessures…), psychologiques (ex. : humiliations, insultes, menaces…) ainsi que ceux qui sont concernés par des négligences ou le désintérêt de leurs parents (ex. : carences dans les soins médicaux, privation ou manque de nourriture…), le danger pouvant aussi se manifester à l’extérieur de la cellule familiale (ex. : harcèlement à l’école, accès à des contenus pornographiques sur Internet…).
« Information préoccupante ». Il s’agit de tout élément d’information, y compris d’ordre médical, susceptible de laisser craindre qu’un enfant se trouve en situation de danger ou de risque de danger, ayant besoin d’aide et devant faire l’objet d’une transmission à la cellule départementale aux fins d’évaluation.
Les informations dites « préoccupantes » entrant dans le champ d’action de la Crip contribuent à une mission d’observation de la protection de l’enfance – et au premier chef l’enfance en danger – d’un point de vue national. Ainsi, l’article D. 226-3-3 du CASF énonce : « Le président du conseil départemental transmet annuellement les informations [liées à l’activité de la Crip relative aux informations préoccupantes] à l’observatoire départemental de la protection de l’enfance [CASF, art. L. 226-3-1] et à l’Observatoire national de la protection de l’enfance [CASF, art. L. 226-6, al. 3]. » Et l’article D. 226-3-4 de préciser que ces mêmes informations transmises aux observatoires cités le sont sous forme anonyme : « Il transmet ces informations à l’observatoire départemental de la protection de l’enfance et à l’Observatoire national de la protection de l’enfance après leur anonymisation […]. » Ces deux observatoires, au niveau local et au niveau national, disposent de compétences dans les domaines du recueil, de l’examen, de l’analyse d’informations et de veille ; ils sont habilités à rendre des avis et des propositions à l’endroit des décideurs publics et rendent chaque année un bilan dans la perspective d’une amélioration continue des pratiques en matière de prévention de l’enfance en danger.
Les informations couvertes par secret professionnel ne sont pas définies par la loi. Elles sont traditionnellement déterminées par la jurisprudence. Pour cette dernière, il s’agit de tout élément à caractère privé qui a été appris, compris, connu ou deviné à l’occasion de l’exercice professionnel.
(1) Pour une étude complète de la question, voir Le secret professionnel en travail social et médico-social – J.-P. Rosenczweig, P. Verdier et C. Daadouch – Ed. Dunod, 2016.