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L’insertion par l’activité économique en crise de croissance

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Promettant la création de 60 000 emplois, le secteur de l’insertion par l’activité économique s’est engagé dans une croissance inédite. Face à l’injonction au développement, certains acteurs mettent en garde contre le risque de déconnexion avec les besoins des personnes et des territoires. Se pose également la question de la pérennité des financements.

On a beau connaître les grandes statistiques sur le chômage, une réalité demeure occultée : la croissance du nombre de demandeurs d’emploi de « très longue durée », inscrits à Pôle emploi depuis plus de deux, voire de trois ans. Malgré le rebond économique, on en comptait 1,6 million au mois d’octobre. Cette réalité, qui n’est pas nouvelle, montre les limites d’un marché du travail de plus en plus exigeant à l’égard des candidats, excluant les plus fragiles. Voilà qui rend d’autant plus indispensables les plus de 3 800 structures d’insertion par l’activité économique (SIAE). Parce que leur métier consiste, justement, à adapter les postes aux difficultés des personnes tout en levant leurs freins sociaux ou professionnels à l’emploi, le gouvernement leur a confié un objectif d’ampleur inédite : réinsérer chaque année 100 000 personnes de plus, soit 240 000 au total.

En 2020 et 2021, l’Etat a prévu un budget de 314 millions d’euros pour financer les investissements nécessaires via le « fonds de développement de l’inclusion ». Les résultats témoignent de la difficulté d’atteindre un tel objectif, a fortiori dans un contexte de crise. Selon l’exécutif lui-même, seuls 60 000 emplois dans l’insertion devraient, à terme, voir le jour. Pour créer les 40 000 autres (et atteindre ainsi le total de 240 000), le gouvernement mise sur l’« inclusion par le travail indépendant ». Une approche inédite (voir page 10) tant par sa philosophie que par son ampleur, le monde de l’insertion étant historiquement tourné vers l’accès au salariat et non vers l’accompagnement à la création d’entreprise.

« Nous ne sommes pas des faiseurs de miracles, rappelle Renaud Chenon, directeur d’Isa Groupe, un ensemblier implanté à Aubigny-sur-Nère (Cher), qui prépare depuis quelques années le projet d’une unité de transformation de légumes collectés dans le but d’éviter du gaspillage. Si une structure monte un projet sans l’avoir assez travaillé avec les autres acteurs du territoire, le risque est de mal le préparer, pour ne profiter que de l’aubaine. » Faute d’avoir terminé sa quête de fournisseurs et d’acheteurs, son plan n’était pas suffisamment mûr au moment de l’appel à projets : pour obtenir des financements supplémentaires, l’Etat exigeait des créations d’emploi dès 2021.

Risque de concurrence

Les associations intermédiaires – qui mettent des salariés à disposition de particuliers (aides à domicile…) ou de collectivités (entretien des locaux, espaces verts…) – peinent aussi à créer des emplois. Moins de 10 % des projets d’ouverture de postes retenus dans le cadre de l’appel à projets du gouvernement proviennent des associations intermédiaires alors qu’elles représentent 17 % des structures. Concurrencées depuis plusieurs années sur le créneau des services à la personne, elles peinent à trouver de nouveaux marchés. En cause ? Un manque de ressources disponibles pour la prospection, selon le délégué de l’Union nationale des associations intermédiaires, Christophe Cevasco. « Nos aides au poste sont nettement sous-évaluées. Elles ne couvrent même pas 60 % de l’accompagnement », dénonce-t-il.

Pour accélérer les créations d’emplois, le gouvernement a surtout soigné les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI). Bien positionné par rapport aux marchés publics « clausés », qui financent souvent des activités de travaux, ce secteur doit passer de 15 000 à 30 000 emplois. Or « l’intérim recrute en majorité des hommes pour le secteur du BTP. Par ailleurs, ces agences ne vont pas sur les territoires les plus fragiles », relève Eric Béasse, secrétaire général de la Coorace, un réseau de SIAE. Les agences locales d’intérim d’insertion craignent de perdre leurs clients au profit d’acteurs d’envergure régionale ou nationale. Or « certains adhérents capitalisent sur ces implantations pour servir des zones blanches », pointe Emeric Daswani, chargé de développement à la Coorace Auvergne-Rhône-Alpes. « A Bordeaux, trois ETTI nouvelles issues de groupes nationaux ont obtenu leur agrément. Aujourd’hui, on est sur du “oui” a priori, là où, auparavant, une structure devait apporter une étude de marché, faire la preuve de sa viabilité économique », selon Jérôme Troquereau, délégué régional de l’Inaé, qui regroupe les structures d’insertion de la région Nouvelle-Aquitaine.

La concurrence porte tant sur l’acquisition de clients que sur le recrutement de candidats, en période de fortes tensions sur le marché du travail. « Les agences d’intérim prennent des personnes qu’elles n’auraient pas recrutées il y a un an », relève Michel Abhervé, ex-professeur associé à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et spécialiste de l’économie sociale et solidaire. L’enjeu concerne l’ensemble des structures. Or un défaut de recrutement peut avoir une incidence négative sur les budgets puisque les aides au poste sont versées en fonction du nombre de salariés en insertion employés.

Quel financement après 2022 ?

En parallèle, l’intégration des derniers candidats disponibles exige des compétences. « Parfois, les personnes tiennent une journée ou deux. On fait de gros efforts pour les mettre en confiance », illustre Jean-Paul Raillard, président de la fédération Envie, qui regroupe près de 52 entreprises d’insertion spécialisées dans la rénovation d’électroménager. Pour la fédération, l’une des priorités consiste donc à accroître la formation des encadrants, « pour qu’ils soient en meilleure situation de transmettre des connaissances, de s’adapter aux publics ». Mais aussi à renforcer les pôles de conseillers en insertion professionnelle, chargés d’accompagner la reprise d’un emploi stable à l’issue du parcours d’insertion. Une mission difficile : deux ans après leur passage, 60 % des publics sont sans emploi, selon la Dares, l’institut statistique du ministère du Travail. D’où l’enjeu de « travailler la relation avec les entreprises », convient Coline Derrey-Favre, chargée de mission « emploi-IAE » à la Fédération des acteurs de la solidarité.

Autant d’impératifs qui exigent des moyens. « Nos postes de conseillers spécialisés en accompagnement social ne sont pas pris en charge. Les aides ne sont engagées qu’à partir du moment où le salarié est en situation de travail. Il n’y a pas de financement sur la période en amont », souligne Renaud Chenon, directeur d’Isa Groupe. Bien que bénéficiant des aides au poste les plus importantes (20 642 € par équivalent temps plein), les ateliers et chantiers d’insertion (ACI) doivent rechercher divers financements, la part de recettes commerciales de leur budget étant limitée à 30 %. Or le soutien des collectivités locales demeure à géométrie variable, tout comme celui du fonds social européen. En matière de formation professionnelle, par exemple, « cela fait des années que le financement est insuffisant et compliqué. Le plan d’investissement dans les compétences (PIC) était censé le simplifier, mais des restes à charge demeurent pour les structures avec des circuits complexes », remarque Alexandre Wolff, directeur du réseau Chantier école, qui regroupe une majorité d’ACI.

Appelées à accueillir plus de salariés, les structures d’insertion s’interrogent sur leur organisation future. « Ce n’est pas parce qu’on crée dix postes qu’on peut doubler l’équipe de permanents », avertit Jérôme Troquereau. Les conceptions de l’accompagnement pourraient évoluer. « On pourrait gagner en volume, mais perdre en proximité. Or il ne faut pas oublier que les SIAE jouent un rôle d’éducation populaire, ou à la santé, qui se mesure moins. » Autre incertitude : le niveau de soutien budgétaire futur. « Aujourd’hui, les projets sont financés via le fonds départemental de l’insertion. Mais demain la loi de finances devra prévoir les aides au poste supplémentaires », ajoute Alexandre Wolff.

Une « plateforme de l’inclusion » pour orienter les candidats

Pour aider les structures d’insertion à recruter, le gouvernement a créé la « plateforme de l’inclusion ». Son principe ? Faciliter l’orientation de personnes en difficulté vers ces structures. Un arrêté du 1er septembre 2021 détermine la liste des acteurs pouvant désormais leur proposer des candidatures. On y trouve, entre autres, les centres communaux d’action sociale, le secteur de l’hébergement (CPH, CHU, Cada…), l’aide sociale à l’enfance ou encore les structures spécialisées dans l’addictologie (Csapa ou Caarud). Les personnes peuvent utiliser la plateforme pour identifier des structures d’insertion par l’activité économique qui recrutent, et postuler directement en ligne. Une réforme majeure, qui nécessite d’être accompagné, selon Coline Derrey-Favre, chargée de mission Emploi-IAE à la fédération des acteurs de la solidarité. « Il reste un gros travail d’interconnaissance. La plateforme n’est qu’un outil numérique », rappelle-t-elle. Et pour cause : entre les ateliers et chantiers d’insertion, les entreprises d’insertion, l’intérim d’insertion et les associations intermédiaires, les exigences sont différentes. En octobre dernier, 46 % des candidatures acceptées provenaient de prescripteurs extérieurs.

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