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Sortir d’une conception médicalisée du handicap, une urgence

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A l’opposé de l’approche trop médicale du handicap et de l’accompagnement des personnes concernées, dont témoignent encore trop les politiques publiques, l’auteur prône une « approche par les droits ».

« Depuis le début du quinquennat, le gouvernement prétend avoir changé de paradigme en considérant enfin les personnes en situation de handicap comme des sujets de droits et non plus comme des objets de soins, et ce, au motif que le secrétariat d’Etat aux personnes handicapées est placé sous l’autorité directe du Premier ministre(1). L’argument est un peu spécieux et, surtout, il ne résiste pas à la réalité des faits. Le positionnement du secrétariat d’Etat sous l’égide de Matignon est pertinent à condition qu’il assure une fonction de coordination des politiques publiques du handicap, ce qui manque depuis cinq ans. Les annonces du Premier ministre du 8 novembre dernier l’illustrent parfaitement.

Jean Castex a annoncé dans l’urgence, sous la pression des associations représentatives, des associations d’employeurs, des personnes et des familles concernées, une série de mesures pour endiguer les grandes difficultés de recrutement dans le secteur médico-social “Handicap”, aggravées par le Ségur de la santé. A ce stade, les revalorisations annoncées ont concerné les professionnels soignants et seulement certains personnels non soignants (les aides médico-psychologiques, les auxiliaires de vie sociale, les accompagnants éducatifs et sociaux) laissant aux employeurs et aux syndicats la tâche de négocier les grilles de salaires des autres professionnels.

De fait, le Premier ministre, quoi qu’il en dise, résume la vie des personnes en situation de handicap à des prestations de soins. A tout le moins, il la morcelle. Or, “vivre sans exister est la plus cruelle des exclusions”(2). Les personnes handicapées veulent exister, c’est-à-dire être considérées, reconnues, avoir des interactions avec autrui et, de manière générale, participer à la vie sociale !

Malheureusement, ces mesures n’ont visé qu’à répondre à l’urgence en se concentrant sur la dimension sanitaire de l’accompagnement pour s’assurer que les personnes survivent.

Nécessaire changement de paradigme

Les membres du Collectif handicaps attendaient, dès les premières mesures du Ségur de la santé, que tous les professionnels accompagnant les personnes en situation de handicap puissent bénéficier des revalorisations. Sinon, c’est nier le travail de coordination nécessaire entre professionnels pour accompagner une personne dans toutes les dimensions de son existence. La mission confiée à Denis Piveteau dans le cadre des annonces du 8 novembre aurait dû être lancée à ce moment-là, ce qui aurait permis de travailler dans un calendrier moins contraint. Il en a été décidé autrement, le mal était fait.

Effectivement, depuis plus d’un an et demi, les témoignages affluent : retours le week-end de personnes polyhandicapées chez des parents âgés, changements d’établissement qui perturbent l’accompagnement et les repères, professionnels intérimaires qui ne connaissent pas les personnes suivies, induisant des accompagnements inadaptés, de prestations qui ne sont pas effectuées correctement (repas, toilettes, levers, manipulations…), ce qui a engendré des conséquences sur la santé. Il n’est plus question dans ces circonstances de parler de “vie sociale”. Des directeurs d’établissement disent être retournés 40 à 50 ans en arrière… Autant de difficultés dont la répercussion sur les droits fondamentaux des personnes en situation de handicap vivant en établissement ou à domicile est considérable.

Il va de soi que ces mesures de revalorisation ne peuvent à elles seules régler la crise du secteur médico-social et encore moins permettre à chaque personne en situation de handicap de choisir le mode de vie qu’elle pourrait mener. Le fond de l’affaire se trouve là. Et la mission confiée à Denis Piveteau devra, dans le temps imparti, poser les fondements, les lignes directrices d’un vrai changement de paradigme : celui de construire des politiques publiques opérantes qui ne s’appliqueront pas de manière indifférenciée mais individualisée et qui permettront aux personnes en situation de handicap d’être les actrices de leur vie, de pouvoir la choisir, librement.

Comment mener son existence lorsque le cadre préétabli ne permet pas de délibérer et de décider sur ses différentes dimensions ?

Voilà qui fait directement écho aux recommandations et aux reproches formulés par le Comité des droits des personnes handicapées onusien à l’encontre de la France en septembre dernier. En dépit des discours politiques, en France, en 2021, l’organisation de notre société laisse à l’écart un très grand nombre d’enfants et d’adultes en situation de handicap.

La dimension environnementale trop négligée

Une réflexion sur la définition du handicap inscrite dans la loi du 11 février 2005 est de plus nécessaire, dans la mesure où elle conserve une approche centrée sur les déficiences de la personne. Les décisions politiques restent basées sur une conception médicale du handicap. La dimension environnementale dans la notion de “handicap” n’est pas clairement établie. Il est nécessaire d’appréhender l’environnement au sens large, qui englobe non seulement le cadre bâti mais aussi les lois d’un pays, la culture d’une société, les comportements et attitudes de la population… S’il n’est pas conçu et pensé pour toutes et tous, il génère alors des obstacles et devient la cause de droits non effectifs ou bafoués.

Partant de ce postulat, le chantier à relancer sérieusement est celui de rendre notre pays accessible selon les principes de la conception universelle. Il est impossible de parler d’autonomie ou de société inclusive sans accessibilité, y compris numérique. Il est impossible d’envisager des solutions en dehors des réponses spécialisées si les personnes ne peuvent accéder à tous les bâtiments et services publics. Rappelons que c’est un enjeu majeur pour tous les Français qui rencontreront des difficultés un jour ou l’autre, tout simplement parce que nous vieillissons.

L’autre enjeu est de construire une offre d’accompagnement de qualité et en nombre suffisant. Le secteur médico-social vit une crise sans précédent qui couve depuis des années, même s’il est dans un effort constant de transformation. Le secteur de l’aide à domicile est, lui aussi, au bord de la rupture depuis longtemps. Il est donc nécessaire de redonner une conception et des objectifs clairs de l’accompagnement. Les maîtres-mots d’“émancipation”, de “pouvoir d’agir”, de “consentement” guideront sans conteste les travaux de Denis Piveteau. De surcroît, nous devrons également exiger un niveau élevé d’expertise.

Enfin, il n’est pas possible de sortir les personnes en situation de handicap d’un cadre préétabli sans deux autres conditions, à savoir : allouer des ressources, lorsque travailler n’est plus ou pas possible, au moins égales au seuil de pauvreté à la fois aux personnes en situation de handicap et aux proches aidants, et garantir un niveau de compensation à la hauteur des besoins.

La crise médico-sociale ne nous laisse plus le choix, a fortiori dans un contexte où la 5e branche “autonomie”, promise par le président de la République, reste une coquille vide après l’abandon de la loi “grand âge et autonomie”.

Par conséquent, le Collectif handicaps invite les candidates et candidats à l’élection présidentielle à s’emparer de ces sujets qui concernent près de 12 millions de personnes en situation de handicap et 11 millions d’aidants(3).

Le changement de paradigme ne pourra s’opérer sans l’expression des personnes en situation de handicap et sans les associations représentatives. Et plus globalement, les politiques publiques doivent prévoir des modalités de recueil des besoins et des aspirations des citoyens qui vivent les situations de handicap. La période qui s’ouvre est propice pour sortir d’une conception uniquement médicalisée du handicap et pour affirmer une approche par les droits ! »

Notes

(1) La France n’a pas encore intégré l’approche du handicap fondée sur les droits de l’Homme, regrette le Comité des droits des personnes handicapées (ohchr.org).

(2) In « La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule » – C. Gardou – Ed. érès, 2012, p. 85-120.

(3) Voir « Le manifeste du Collectif Handicaps pour l’élection présidentielle 2022 » : https://bit.ly/31dNypX.

Contact : stephane.lenoir@collectifhandicaps.fr

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