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« Ah ! que c’est cruel, la vie et les hommes ! »

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Ce cri de désespoir, adressé en 1913 au directeur de l’Assistance publique de Paris, provient d’une couturière de 18 ans que son amant, fils de banquier, a quittée parce qu’elle était tombée enceinte. Contrainte d’abandonner son enfant, cette jeune femme incarne la mère célibataire du début du XXe siècle, isolée et démunie. La précarité qui l’a poussée à commettre cet acte fait écho à la situation des femmes qui, aujourd’hui, élèvent seules leurs enfants, plus souvent touchées par la pauvreté que l’ensemble des familles.

Appelées longtemps « filles-mères », elles ont essentiellement été étudiées à travers le prisme des « naissances illégitimes », phénomène qui s’est renforcé tout au long du XIXe siècle, en particulier en contexte urbain. Le schéma était souvent le même : la mère, jeune femme qui s’est retrouvée enceinte à la suite d’un flirt, a dû assumer seule sa grossesse, dans la honte et la réprobation de son entourage. A Lyon, cette population présentait quelques caractéristiques, étudiées par l’historien Guy Brunet : des femmes jeunes, souvent d’origine rurale, qui appartenaient au monde de la domesticité, du textile et de la soie. A Paris, où elles étaient surtout domestiques et ouvrières au début du XXe siècle, entre 2000 et 5000 d’entre elles abandonnaient chaque année leur enfant, alors que l’Assistance publique proposait dès les années 1880 des « secours préventifs d’abandon », plus communément appelés « secours de filles-mères ». Ils avaient pour but d’aider la mère à garder son enfant avec elle, en contrepartie d’une surveillance assez stricte : des « dames déléguées » du service des enfants assistés les visitaient régulièrement et devaient rendre des comptes au sujet de l’utilisation de l’aide allouée, comme le montre l’historien Antoine Rivière.

Pendant la Première Guerre mondiale, l’image de ces femmes s’est transformée : défendues par un certain Martin de Torina dans son ouvrage Mère sans être épouse, paru en 1917, les filles-mères étaient avant tout des patriotes qui rendaient un service à la nation en portant les enfants qui manquaient à la France. Mais l’autorisation de recherche judiciaire de la paternité permise par une loi de 1912 avait déjà apporté une réforme à l’article du code civil qui, jusqu’alors, empêchait de faire participer les séducteurs à l’entretien – au moins matériel – de leur progéniture. Près d’un demi-siècle plus tard, une autre évolution du droit marqua un tournant pour les mères célibataires, avec la suppression de la fonction de « chef de famille » en 1970. Cette décision intervint dans le contexte de leur mobilisation, aux côtés des veuves et des divorcées, au sein de la Confédération syndicale des familles, pour une reconnaissance de leurs droits en tant que « femmes chefs de famille ». Créée en mars 2020, la Collective des mères isolées prolonge cette lutte de ces femmes qui, en réclamant un statut spécifique, veulent alerter sur leurs conditions d’existence et refusent d’être enfermées dans le misérabilisme.

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