Chaque année, plusieurs dizaines de milliers de demandeurs d’asile obtiennent la protection internationale. Environ 9 000 de ces personnes réfugiées bénéficient d’un accompagnement vers l’autonomie au sein d’un centre provisoire d’hébergement (CPH) financé par l’Etat. De telles structures se situent en grande majorité dans de grandes agglomérations. Mais leur implantation en zone rurale ou dans des communes à faible densité de population est de plus en plus courante. Une situation qui, loin d’être surprenante, tient au quota de logements disponibles sur ces territoires, à l’opposé de la saturation du parc social au sein des zones urbaines ou péri-urbaines françaises. « Plus de 20 000 personnes bénéficiaires d’une protection se trouvent dans des Cada [centres d’accueil de demandeurs d’asile] et ont du mal à en sortir. Notre première préoccupation est l’accompagnement des personnes réfugiées vers un logement autonome. Mais les zones où se trouvent les emplois sont en tension sur ce plan-là », explique Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).
Dès lors, l’installation de personnes réfugiées dans de petites localités peut séduire. Elle offre des spécificités. A commencer par le recours à des logements diffus. « Nous captons des logements dans différentes petites villes pour faciliter et encourager l’installation et l’intégration des usagers, qu’il s’agisse de familles ou de personnes isolées. Une partie d’entre eux va choisir de rester ici », explique Sabine Himbert, cheffe de service du CPH de Champtercier (Alpes-de-Haute-Provence), géré par l’association Coallia. Les CPH prennent en charge l’hébergement et l’accompagnement sanitaire et social des bénéficiaires d’une protection internationale (BPI) pour une durée de neuf mois, renouvelables par tranche de trois mois. Mais leur orientation par les services de l’Ofii dépend de l’offre sur le territoire plus que d’un choix formulé de destination. Ce qui, pour certains bénéficiaires, représente un choc à l’arrivée. En effet, si, pour certaines familles avec enfants, les lieux à faible taux de délinquance sont rassurants, les personnes seules se sentent parfois isolées. « Le profil est déterminant. Au moment de l’obtention du statut de réfugié, une période compliquée de deuil s’ouvre. Les usagers prennent conscience qu’ils ne font plus partie de leur pays, qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Certains ont besoin de se ressourcer dans leur communauté », rappelle Adeline Andrieu, cheffe de service du CPH de Corrèze de l’association Le Roc.
Pour autant, l’absence de compatriotes facilite l’intégration. Car sans coupure des liens avec la communauté, la vie peut s’organiser sans qu’il soit indispensable de pratiquer le français. « Les échanges avec la société française sont beaucoup plus fréquents dans ces territoires que dans les grandes villes. L’accueil y est plutôt efficace et l’intégration assez rapide », indique Matthieu Tardis, chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Dans les territoires ruraux, la mobilisation de bénévoles n’est pas rare : transports, activités culturelles… « La sensibilisation de la population est plus facile. Et la médiation s’effectue individuellement », pointe pour sa part Sabine Himbert.
Les professionnels ou les élus se trouvent malgré tout confrontés aux a priori de certains habitants quant à l’implantation des structures à proximité de leurs habitations. Il s’agit alors pour eux d’individualiser et d’humaniser des questions souvent traitées uniquement sous le prisme de chiffres par les médias. Expliquer que les personnes réfugiées sont encadrées et accompagnées socialement limite les hostilités pressenties. « Cela génère même un fort sentiment d’hospitalité. Il n’est pas rare que les personnes les plus réfractaires deviennent les bénévoles les plus investis », précise Matthieu Tardis.
Le phénomène de rejet de groupe ou de repli social en zone rurale se révèle moindre que celui observé au sein des grandes agglomérations à l’égard des quartiers prioritaires de la ville (QPV). L’identification par les partenaires est elle aussi simplifiée. Associations, élus locaux, collectifs de citoyens, etc., les différents acteurs se connaissent, ce qui fluidifie la coopération entre eux.
« Nous accompagnons toujours les jeunes à leur premier rendez-vous avec les missions locales et nous restons ensuite disponibles. Par ailleurs, une assistante de service social de la maison de la solidarité départementale a été formée à la prise en charge des personnes étrangères. C’est d’une grande utilité car les professionnels sont parfois dépassés par ce type de profils », témoigne Adeline Andrieu. Mais des problématiques demeurent. En matière de suivi social et professionnel, les interlocuteurs des dispositifs de droit commun ne sont pas toujours sensibilisés aux enjeux relatifs à l’asile. Parallèlement, l’isolement freine aussi l’autonomie des personnes réfugiées.
« Nous ne répondons pas forcément de manière adéquate aux problèmes de santé physique, psychique ou d’addiction de certains usagers, faute de services spécialisés à proximité. Il faut aller à Marseille, et c’est trop loin pour y envisager des soins réguliers », reconnaît la cheffe de service du CPH de Champtercier. Les effets du stress post-traumatique ou les décompensations psychiques retardent l’accompagnement vers l’insertion, les personnes n’étant pas disponibles psychiquement.
En intégrant les dispositifs de droit commun, les usagers se retrouvent ainsi bien souvent confrontés à des problématiques semblables à celles de la population locale, comme le manque de médecins ou de spécialistes à proximité. Dans certains départements, des structures expérimentent des initiatives. A l’image du centre hospitalier du Pays d’Eygurande, en Corrèze, qui a lancé depuis septembre des groupes de parole au sein du CPH. Des suivis individuels se mettent en place. « Alors qu’à Tulle, nous avons du mal à travailler avec le centre médico-psychologique », confie Adeline Andrieu.
Comme l’accès au droit commun, l’accompagnement spécifique se complique en zone rurale. Les travailleurs sociaux parcourent de longues distances pour assurer les visites et la constitution des équipes est difficile. Sont en cause la méconnaissance des offres, le manque de candidats formés sur place et les salaires peu attractifs.
Enfin, si la scolarité des enfants ne pose aucun problème, l’insertion vers l’emploi, et donc une installation pérenne, est plus complexe. « Les qualifications recherchées sont soit inexistantes soit très exigeantes. Le déclassement professionnel est courant en raison de la faible maîtrise du français et du manque de reconnaissance des qualifications », explique Matthieu Tardis. Le travail est d’ailleurs déterminant dans le choix d’une implantation sur le territoire, surtout pour les familles. Autres facteurs clés pour s’implanter : le temps d’instruction de la demande d’asile passé à proximité et la possession du permis de conduire ou du brevet de sécurité routière. Les formations ont, quant à elles, souvent lieu dans de plus grandes villes, ce qui amène les jeunes réfugiés à quitter les petites communes à la suite de leur accompagnement. « Signature du contrat d’intégration républicaine, délai de mise en route des cours de français… Il faut cinq mois pour débuter l’insertion professionnelle. Au bout de neuf mois, on oriente et on déplace donc le public vers d’autres dispositifs d’insertion. Le temps prévu est inadapté, pas les territoires », conclut Adeline Andrieu.
En France, il existe 859 structures d’hébergement pour demandeurs d’asile, selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Bien que minoritaires, les places en milieu rural ont augmenté entre 2015 et 2017 à la suite du démantèlement de la « jungle » de Calais. Leur situation géographique possède un impact sur les structures. D’abord, que les hébergements proposés soient collectifs ou individuels, leur isolement pèse sur le budget. « Les usagers bénéficient d’une navette deux fois par semaine. Le reste du temps, ce sont les travailleurs sociaux ou des taxis qui se chargent du transport. C’est un surcoût très important et très compliqué à gérer », explique Sonia Pradine, directrice du centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) de Monclar-de-Quercy (Tarn-et-Garonne). Si des familles apprécient cette mise à l’écart, le temps d’attente de l’instruction de la demande est difficile à gérer pour les usagers qui ne peuvent pas envisager un travail avant trois mois et sous certaines conditions. Toutefois, à l’endroit de la médaille, l’implantation d’un Cada en milieu rural permet parfois le maintien d’une école ou d’une agence postale, comme à Chambon-le-Château (Lozère).