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Logement d’abord : le discours publicitaire ne résiste pas au réel

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Le « Logement d’abord » représente un progrès dans l’amélioration des conditions d’habitat des publics concernés, selon Yvan Grimaldi. Mais avec de moins en moins de logements à disposition, de plus en plus de demandeurs en attente et des travailleurs sociaux toujours plus confrontés à un manque de moyens, l’auteur déplore que ce droit demeure avant tout théorique.

« Personne ne peut s’opposer aux principes du “Logement d’abord” puisque, à l’évidence, il vaut mieux vivre chez soi que chez les autres, “sous réserve d’un accompagnement social exigeant quand on a vécu dans la rue”, dit-on dans le métier. D’ailleurs, la fondation de l’Armée du salut en France n’a pas imaginé autre chose que sa consœur finlandaise, très impliquée dans cette nouvelle approche, puisqu’elle aussi a transformé ses vieux dortoirs en logements. Que ce soit en pensions de familles, en résidences sociales, par de l’intermédiation locative (IML) ou de l’accompagnement vers et dans le logement (AVDL). Ces nouveaux modes d’accompagnement et d’habitat témoignent que notre fondation reconnaît le logement comme un droit fondamental. Donc, oui, le “Logement d’abord” représente un progrès dans l’amélioration des conditions d’habitat pour les publics qui en bénéficient.

Reste qu’avec la Finlande, comparaison n’est pas raison. L’action sociale en France se confronte à une pénurie grandissante de logements accessibles à un très grand nombre de nos bénéficiaires. En ce sens le “Logement d’abord” est malheureusement devenu un nouvel oxymore du travail social français. Un de plus : dans la vie de très nombreuses personnes accompagnées, le logement ne se présente ni “d’abord” ni “après”. Résultat ? Cette politique publique pourtant consacrée par les institutions du secteur, se définit par une figure de style paradoxale.

Manque criant de solutions

En 2001, on dénombrait 90 000 personnes sans domicile fixe (SDF), mais elles sont au nombre de 300 000 aujourd’hui. Malgré la croissance vertigineuse de ces chiffres, et tandis que les demandes d’hébergement non pourvues peuvent atteindre 90 % d’appels non satisfaits dans certains départements, il nous faudrait acquiescer à ce nouveau mot d’ordre de l’insertion qu’est le “Logement d’abord”, alors que les budgets de nos centres d’hébergement fondent comme neige au soleil.

Pire : à cette montée inexorable du phénomène “SDF” en France s’ajoutent 14 600 000 personnes fragilisées à leur domicile ou en situation de mal-logement en 2020. Pour 2022, la Fondation Abbé-Pierre redoute plus de 30 000 expulsions, tandis que, sur le territoire de Marseille et ses alentours, 140 000 personnes vivent en habitat dégradé. Précisons aussi que la construction a chuté de 36 % depuis 2018 pour le logement social, totalisant aujourd’hui 2 200 000 personnes dans les files d’attente. C’est 20 % de plus qu’en 2013.

Ce manque criant de solutions provoque de la concurrence d’abord entre les publics puis entre nos associations, dans cette quête qui ressemble à celle du Graal. Le “Logement d’abord” exige donc “d’abord” du logement.

Quant à l’accompagnement social dans le contexte français, sa définition reste d’une certaine manière impensée dans les pratiques du “Logement d’abord”. Dès les années 1980, les observateurs ont en effet observé le retour de la question sociale, en raison d’une modification profonde des causes de l’exclusion de milliers de personnes. Les difficultés dues aux crises massives de l’emploi puis du logement ont été analysées comme des processus d’exclusion exogènes aux personnes. Par opposition, ces sources de l’exclusion externes à l’individu sont très éloignées des trois figures historiques des bénéficiaires du travail social, soit celles du malade, de la personne handicapée et de l’enfant, toutes trois produites par des éléments endogènes, c’est-à-dire dus à des dysfonctionnements considérés comme internes à leur personne : la maladie, le handicap ou la faiblesse de l’enfance.

Le travailleur social se trouvait ainsi loin de ses bases, contraint à abandonner en quelque sorte la gestion réparatrice de la relation d’aide comme cœur du métier pour cibler cette nouvelle clientèle assimilée à des surnuméraires ou normaux inutiles, en créant pour elle des structures d’insertion pourvoyeuses d’emplois et de logements. De toute évidence, cette inventivité des travailleurs sociaux resta une goutte d’eau dans un océan de pénurie.

Depuis, un quiproquo perdure, les travailleurs sociaux n’ayant aucune légitimité historique ni politique pour restaurer des cadres intégrateurs aujourd’hui délités, comme le salariat, le logement social et, plus largement, le lien civil. Dit autrement, la conseillère en économie sociale et familiale (CESF) peut bien se rendre plusieurs fois par semaine au domicile des particuliers dans le cadre du “Logement d’abord”, aucune pensée magique ne procurera du travail à des chômeurs de longue durée ou ne restaurera une pédopsychiatrie quasi exsangue, si l’enfant de la personne accompagnée est atteint de troubles mentaux.

Que dire aussi de la fonction supposément inclusive de ces quartiers relégués comme “quartiers d’exil”, qui sont pourtant les premiers à permettre un logement social à nos publics sans le sou ?

Goutte d’eau et pénurie

Par quel miracle l’intervenant parviendra-t-il à recréer dans son accompagnement social, et sur ses frêles épaules, un lien civil qui disparaît au même rythme que des institutions républicaines elles-mêmes abîmées ?

On le voit, que l’on soit déjà dans son logement ou en attente dans une structure d’hébergement, le discours publicitaire du “Logement d’abord” ne résiste pas au réel, d’autant plus que des milliers de nos bénéficiaires vivent dans un temps suspendu : en cause, des loyers dérégulés, la pénurie du parc public, le blocage de leur situation administrative. Et ce provisoire qui dure dans les couloirs numériques d’une bureaucratie devenue mensongère résonne comme les promesses non tenues des droits-créances.

Quant aux travailleurs sociaux, ils ressemblent de plus en plus à leurs bénéficiaires, leurs métiers étant disqualifiés par des salaires de misère (qu’est-ce qu’un Smic, ou à peine plus, pour gagner sa vie dans une métropole ou à la campagne avec la dépense quotidienne d’un véhicule ?). Le centre se confond alors avec sa périphérie, quand on ne distingue plus les inclus des exclus.

Le travail social devient ainsi invisible face à l’injonction libérale de construire de la société, et même du bonheur. Ce mot d’ordre est surréaliste, bien entendu, pour des professionnels qui tiennent à bout de bras des fragments épars du tissu social et qui devraient croire au mirage d’une société comme la plus belle des richesses mais… sans richesse économique ni justice sociale.

En quête de respect, les travailleurs sociaux formalisent leurs rêves de façon prosaïque : moins de slogans enjôleurs, mais au moins 150 000 logements sociaux de plus pour les ménages les plus fragiles, des régularisations en masse pour sortir de nos centres d’hébergement les ressortissants étrangers, l’ouverture d’un droit à l’accompagnement social dans le logement, des dotations pérennes et de bon niveau de financement pour toutes nos structures d’hébergement, constitutives d’une offre de soutien conséquent et de proximité sur toutes les dimensions de la vie humaine, y compris l’art et la culture.

Notons que nous redessinons le bon vieux CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale), certes humanisé, mais comme une utopie retrouvée.

Dans nos songes les plus fous émerge aussi un immense effort financier et sans faille pour les centres de formation en travail social, associé à un relèvement important des salaires des professionnels.

C’est à ce prix que les leitmotivs du “Logement d’abord” retrouveront de la crédibilité auprès des publics ainsi que des travailleurs sociaux. Faute de quoi cette politique publique devenue paradoxale pourrait bien priver ces derniers de ce qui fait pourtant le moteur de leur engagement : le sens que donne à leur métier la quête de justice sociale. »

Contact : ygrimaldi@armeedusalut.fr

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