Le gouvernement a annoncé, ce 15 novembre, la mise en place d’un plan pour lutter contre la prostitution des mineurs, alors que 7 000 à 10 000 d’entre eux (surtout des filles) seraient concernés. Cette politique revêt un caractère d’autant plus urgent que le phénomène connaît un essor important depuis 2015. Le retour de la question permet de retracer les débats qui avaient entouré le vote d’une loi oubliée, promulguée le 11 avril 1908 et visant à protéger « les mineurs se livrant habituellement à la débauche ou à la prostitution ».
Si la gestion du travail sexuel constitue un véritable problème public à l’époque contemporaine, le cas des mineurs est révélateur des tensions à l’œuvre dans la catégorisation même de la prostitution. En France, comme dans la majorité des pays européens, la prostitution a été acceptée et considérée comme un « mal nécessaire » tout au long du XIXe siècle. Mais la place des mineurs n’était pas facile à déterminer : concrètement, les jeunes arrêtés par la police étaient orientés vers des œuvres d’assistance ou inculpés pour vagabondage. Mais aucun texte ne précisait l’âge minimal pour l’inscription sur les registres sanitaires, condition pour obtenir la carte permettant d’exercer cette activité. Jusqu’à la fin de ce siècle, dominé par le corps médical, le thème de la prostitution est demeuré abordé sous un angle sanitaire et moral, visant essentiellement les jeunes femmes. A cet égard, la prostituée mineure était présentée comme la plus dangereuse puisque, non « encartée », elle apparaissait comme un vecteur privilégié de transmission des maladies vénériennes.
Les acteurs de la protection de l’enfance et de la jeunesse, notamment des juristes, ont alors permis de mettre en lumière le cas spécifique des mineurs à partir des années 1880. A la suite d’une série de scandales au sein de la police des mœurs, une commission fut réunie et chargée de rédiger un projet de loi sur la prostitution des mineurs. En son sein, deux acteurs imposèrent leur vision : le sénateur René Bérenger, acteur de la lutte contre la pornographie et la « traite des Blanches », et Gustave Le Poittevin, juge d’instruction, dont la proposition remporta finalement l’adhésion. Alors que le premier entendait lutter contre la prostitution sur la voie publique sur un plan essentiellement moral, en faisant arrêter les auteurs de cette pratique, le second avait le souci de protéger les mineurs en danger en les plaçant dans des établissements spéciaux ouverts par les pouvoirs publics. C’est ce dernier projet qui, retenu par la commission, fut adopté en 1908 par voie législative.
Son ambition dépassait cependant les moyens existants : le décret d’application fut repoussé à plusieurs reprises avant que la guerre ne vienne mettre en sommeil sa rédaction. Il faudra attendre l’ordonnance de 1958 sur la protection des mineurs, puis les lois de 2002 et 2016 pour que soit rappelée l’importance de la lutte contre l’exploitation des enfants et des jeunes.