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Autonomie : un relais itinérant pour rompre l’isolement

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Crédit photo Tim Douet
Dans le Beaujolais, l’association L’Aire aérée se rend auprès des personnes âgées pour leur proposer des ateliers collectifs à bord d’un bus itinérant. L’objectif : renforcer l’autonomie des personnes isolées en milieu rural et lutter contre la fracture numérique.

Le bus a coupé le moteur en face de l’église du Bois-d’Oingt (Rhône), reconnaissable à la couleur ocre de sa façade. Ce matin d’octobre, c’est dans ce village emblématique du « pays des Pierres dorées » que les salariés de L’Aire aérée ont pris leurs quartiers. Une table, quelques flyers et du café invitent les passants à s’arrêter. En doudoune noire et baskets, Nadia Guignier, la fondatrice de l’association, les accueille. « Aujourd’hui, les personnes peuvent venir nous rencontrer et découvrir nos ateliers. Si elles sont intéressées, elles pourront adhérer », explique-t-elle. A l’intérieur du véhicule, les sièges ont été retirés et l’espace aménagé en deux parties. Au fond, il y a une petite estrade sur laquelle trônent quatre chaises devant un grand écran. Une marche convertible en rampe permet d’accéder à la partie avant, où ont été dressées deux petites tables. Des prospectus y présentent l’association dont les activités ont démarré en 2019, grâce au concours de l’incubateur social Ronalpia.

Curieux, un couple s’approche. Jeunes retraités, tous deux habitants du Bois-d’Oingt, Marie-Thé et Antoine épluchent le programme avec intérêt. « On n’est pas encore trop dépendants, mais il y a plein de choses qu’on ne sait pas faire nous-mêmes », s’amuse Antoine. Lui serait plutôt intéressé par les ateliers numériques, tandis que sa compagne lorgne sur ceux de « do it yourself », pour apprendre à fabriquer ses produits soi-même. S’il est aujourd’hui stationné, le bus de L’Aire aérée parcourt chaque semaine le territoire du nord-ouest lyonnais.

Marco Forey conduit le bus depuis le mois de mai. Impossible de deviner en le voyant en jean et polaire blanc cassé, le sourire aux lèvres, que l’homme a dépassé les 80 ans. Ancien routier en transport international, incapable de rester inactif, il a troqué les longues heures de route solitaires pour la convivialité du bus solidaire. « Ça me plaît bien. Je ne suis pas tout seul et c’est assez tranquille. Je travaille entre un et trois jours par semaine selon les besoins », raconte celui qui était habitué à avaler jusqu’à 700 kilomètres de bitume par jour.

« Mort sociale »

« Le bus nous sert de tiers-lieu itinérant pour aller à la rencontre des habitants dans les communes de moins de 300 habitants », détaille Nadia Guignier. Chaque jour, il s’installe en effet dans un village pour proposer différents ateliers : mémoire, sophrologie, goûter papote, qi gong, peinture, menuiserie… Le but ? Favoriser l’apprentissage tout en renforçant l’autonomie des personnes accompagnées. « Nos adhérents ont en moyenne 75 ans, mais ils peuvent bénéficier de nos activités dès 62 ans car pour beaucoup, la retraite est un moment de rupture de lien social », ajoute la fondatrice de l’association. A son côté, Laurence Goutorbe acquiesce. C’est précisément ce constat qui a poussé cette bénévole de L’Aire aérée à s’engager : « Nous vivons dans une société qui place le travail comme norme centrale. Donc, quand il s’arrête, nous n’avons plus d’utilité. »

Le projet a émergé en septembre 2018. « Mon objectif consistait en la création d’un lieu d’accueil itinérant, pour toucher le plus de monde possible, se souvient Nadia Guignier. Finalement, le bus est une conséquence heureuse du Covid-19. Comme on ne pouvait plus rassembler les personnes dans les salles communales, on a cherché un autre moyen. » Ancienne cheffe de projet et cadre commerciale dans l’industrie, elle entame elle-même une reconversion professionnelle et se forme aux outils cognitifs pour l’animation d’ateliers. « Je me suis interrogée sur ce que voudraient mes parents s’ils devenaient dépendants. Comment pourrais-je les aider au mieux sans vivre dans la même ville ? Je suis également la petite-fille de deux grands-parents ayant eu la maladie d’Alzheimer. J’ai donc vu mes parents devenir aidants. »

Dès le départ, Nadia Guignier a associé le club des aînés de la commune de Frontenas, où elle réside, afin d’être au plus près des besoins des bénéficiaires de son initiative. « En premier lieu, les gens ont demandé un atelier de sophrologie », se souvient-elle. Le deuxième axe fort a concerné le numérique. En septembre dernier, le baromètre des Petits Frères des Pauvres évaluait à 530 000 le nombre de personnes âgées en état de « mort sociale ». Celles qui sont exclues des cercles familiaux et amicaux sont aussi deux fois plus nombreuses, passant de 900 000 en 2017 à 2 millions en 2021. Si Internet a constitué un outil précieux pour maintenir le contact pendant la crise sanitaire, 3,6 millions d’aînés restent en situation d’exclusion numérique. « Un bus comme le nôtre relève donc de l’urgence », en conclut la promotrice de L’Aire aérée.

Une dame entre timidement dans le car. Elle vient demander des renseignements pour sa maman, âgée de 88 ans. « Elle est encore mobile, mais elle a des petits soucis de mémoire », explique-t-elle à Nadia Guignier. Laquelle lui présente, pendant une dizaine de minutes, les différents ateliers et particulièrement ceux consacrés à la stimulation cognitive. « On travaille parfois en musique, à partir de recueils de chansons, pour essayer de retrouver les paroles ou les airs, indique-t-elle. La musique est un vecteur de lien social mais aussi un excellent outil pour exercer la mémoire. »

Pour animer les ateliers, l’association s’appuie sur un réseau de professionnels. Valérie Desvignes, sophrologue, organise deux séances par mois. « J’essaie de leur apprendre le lâcher-prise pour mieux gérer leurs émotions, se relaxer et affronter les situations compliquées », précise-t-elle. En groupe de 15 personnes, elle a lancé récemment un cycle de cinq séances sur le sommeil.

Garder le contact

Quelques jours plus tard, dans la salle de la mairie de Frontenas, cinq personnes sont penchées sur leur écran d’ordinateur. Assises autour de plusieurs tables rectangulaires collées les unes aux les autres. A leurs côtés pour les aider, il y a Nicolas Giraud, 22 ans, un salarié qui se forme en alternance pour devenir animateur en gérontologie et Christiane Maurice, une bénévole de 75 ans. Comme chaque lundi matin, de 9 h à 10 h 30, c’est le cours d’initiation au numérique pour les débutants. Si certains en sont à leur troisième ou quatrième séance depuis la rentrée, la plupart n’avaient en effet jamais touché un ordinateur avant leur rencontre avec L’Aire aérée. Malou, de longs cheveux blonds enroulés et fixés par une pince, un foulard rose tacheté léopard autour du cou, cherche l’animateur du regard. « Ça me dépasse complètement, murmure-t-elle les larmes aux yeux. Je m’en veux de ne pas réussir à me mettre dans le circuit, c’est devenu un handicap. C’est comme avec le téléphone, ça m’énerve, je n’aime pas ça ! » Derrière elle, Nicolas Giraud la rassure et corrige le dernier exercice : comprendre le fonctionnement du Wi-Fi et d’une connexion Internet. Seul ou à deux derrière le clavier, chacun va à son rythme.

A 67 ans, Patrick est à la retraite depuis un an. « Je travaillais en cuisine, je n’avais pas besoin d’ordinateur et on n’en a jamais eu à la maison. Mais je crois qu’on va investir », dit en souriant le jeune retraité. Après avoir appris à utiliser une souris puis un clavier, l’objectif, pour lui, est maintenant d’être capable de remplir ses déclarations d’impôts ou d’apposer une signature électronique. « Aujourd’hui, on fait tout par écrit ou par téléphone avec ma femme, sinon on demande un coup de main à nos voisins, explique-t-il. Mais on ne pourra pas toujours compter sur eux. » Deux principales préoccupations reviennent chez les bénéficiaires de L’Aire aérée : les démarches administratives et le contact virtuel avec les enfants et petits-enfants. « Pour l’instant, ça me fait un peu peur, mais on va s’en sortir », positive Patrick. Ses petites lunettes vissées sur le nez, Martine, son épouse, se montre moins optimiste. Si elle vient au cours aujourd’hui, c’est pour tenir « la promesse faite à ses sœurs ». Mais elle estime qu’elle peut encore tout accomplir de manière manuscrite ou en se déplaçant physiquement : « Les choses prennent juste plus de temps mais c’est possible. Je n’ai jamais eu besoin de machines dans ma vie. » Martine reconnaît toutefois ne pas vouloir rester « trop déconnectée des autres ». Mais elle redoute les difficultés d’apprentissage des outils numériques. « Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi compliqué, avoue-t-elle. Je suis persuadée que je ne maîtriserai jamais suffisamment l’ordinateur pour être vraiment autonome en ligne. Je craindrai toujours de faire une erreur sans pouvoir revenir en arrière. » Avec ces ateliers, la sexagénaire espère surtout être capable d’utiliser la fonction de recherche d’Internet. « Je veux que ça me permette d’apprendre des choses, comme un gros dictionnaire », affirme-t-elle avant de se remettre à son exercice.

L’association prête des ordinateurs lors des ateliers et parfois, les bénéficiaires peuvent les emmener chez eux pour continuer à pratiquer. « Les personnes se rabaissent, c’est le plus gros problème. Elles sont persuadées de ne rien savoir faire, alors qu’en général, elles s’en sortent très bien. On essaie de les accompagner au mieux en leur donnant confiance », souligne Nicolas Giraud. Adhérente de L’Aire aérée pour différentes activités, Christiane Maurice encadre bénévolement l’atelier numérique du lundi. « On a de moins en moins le choix. Tout se fait sur Internet désormais. Chez moi, je suis tout le temps sur l’ordinateur. Comme les enfants, je dois m’obliger à en décoller », s’amuse-t-elle. En travaillant dans un centre de formation pour adultes, elle s’est habituée au maniement de différents logiciels de comptabilité. A la maison, elle s’occupe aussi des dossiers dématérialisés de son mari. C’est donc tout naturellement qu’ une fois à la retraite, elle a eu envie de donner un coup de main à celles et ceux qui ne maîtrisent pas aussi bien les outils informatiques. « J’ai l’impression que ne pas avoir d’ordinateur, c’est être coupé du monde, s’attriste-t-elle. En arrivant, les gens ont peur, car ils ont l’impression qu’il faut apprendre une somme de choses insurmontable. Mais au fond, pour leur usage, ils n’ont besoin que de rudiments. »

La fin de la séance approche. Patrick apprend à maîtriser la fonction « copier-coller » grâce aux raccourcis clavier. Consciencieux, il sort un petit calepin afin de noter la manipulation. A l’entrée de la pièce, sous la large voûte en pierre, les participants de l’atelier suivant sont arrivés. Jocelyne, 66 ans, s’installe au bout de la table. Elle part le soir même en vacances pour une semaine. Elle souhaite donc apprendre à télécharger de la musique pour la mettre sur sa clé USB et l’écouter en voiture : « J’ai l’habitude d’utiliser Internet, mais il y encore des manip que je ne connais pas ». A sa demande, Nicolas Giraud lui montre comment extraire puis convertir en MP4 la chanson Bella, de Maître Gims, à partir de YouTube. Ravie, Jocelyne monte le son. A croire qu’elle est déjà une experte !

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