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« Les pairs-aidants peuvent être des professionnels très compétents »

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Avec quelques années d’avance sur la France dans le recrutement de pairs-aidants, les Québécois se sont aussi interrogés sur la place de ces nouveaux intervenants au sein de leurs institutions, explique le sociologue Baptiste Godrie. Leur nombre grandissant, conjugué à plusieurs années d’expérience, a permis de préciser leurs pratiques professionnelles.
A quand remonte l’arrivée des premiers pairs-aidants professionnels au Québec ?

Les premiers postes dans des équipes multidisciplinaires institutionnelles sont apparus en 2008-2009. Le nombre d’emplois a alors lentement augmenté pour se développer de plus en plus rapidement. Dans ses deux derniers plans d’action en santé mentale, le gouvernement a d’ailleurs recommandé d’inclure dans les équipes un certain pourcentage de pairs-aidants. Les recrutements aussi, se sont améliorés. Les postulants sont désormais beaucoup plus nombreux et les établissements ont davantage de facilité à trouver des candidats de qualité répondant à leurs besoins. Aujourd’hui, la pair-aidance touche également tous les secteurs du social. On en parle pour le logement, pour des personnes ayant vécu des traumatismes… Mais la santé mentale reste le laboratoire de la pair-aidance institutionnalisée. C’est dans ce domaine que l’on trouve le plus de postes et de salariés employés sur la base d’un descriptif de fonction, une centaine aujourd’hui.

Les enjeux sont-ils les mêmes de part et d’autre de l’Atlantique ?

Je ne pense pas qu’il y ait de grande différence. Au contraire, la similarité des enjeux m’a frappé lors de mes visites en France. Les écueils sont d’ailleurs un peu les mêmes. Allons-nous nous doter d’intervenants sociaux à moindre coût qui permettent d’économiser sur les budgets ou engager un autre type de professionnels avec des tâches spécifiques ? Ces questions nous renvoient finalement aux personnes recherchées. A mon sens, les pairs-aidants peuvent être des professionnels très compétents sans nécessairement détenir de diplôme. Ce sont des intervenants à part entière, avec un rôle bien spécifique et qui respectent aussi des balises éthiques dans leurs interventions.

Quel a été, chez vous, le processus de professionnalisation des pair-aidants ?

Au cours de mes recherches, j’en ai identifié trois. Le premier consiste à embaucher des intervenants sociaux auxquels on confie des tâches matérielles ou relationnelles de base, comme tenir compagnie ou assurer l’accueil des personnes… Ce cas de figure, que l’on rencontrait souvent au Québec quand les pairs-aidants ont commencé à intégrer les institutions, disparaît peu à peu. Car les recrutements sont aujourd’hui plus tructurés. Le second mode opératoire est ce que j’appelle « le mimétisme ». Il s’agit, au fond, de transformer des pairs-aidants en mini-professionnels sociaux. Charge à eux d’adopter les mêmes postures que les professionnels et de mettre à distance leur vécu pour se conformer à l’idéal d’un acteur du social. Mais cette professionnalisation est paradoxale car elle revient à perdre la spécificité de leur intervention. Enfin, la troisième, pour moi la plus intéressante, tient à l’élaboration d’une posture professionnelle propre au pair-aidant. Une posture qui permet une certaine proximité relationnelle avec les personnes accompagnées, favorisant ainsi une autre manière d’intervenir, avec un langage moins professionnalisé que celui des autres membres de l’équipe.

On parle parfois de risque de rechute pour les pairs-aidants. Cette question a-t-elle été étudiée au Québec ?

Oui, nous nous y sommes intéressés. Au Québec, nous disposons de données assez proches de celles des Etats-Unis. Or, selon ces chiffres, ce sont surtout les arrêts maladie des personnes qui ne sont pas des pairs-aidants qui s’avèrent inquiétantes. Avant même de prendre un poste, les pairs-aidants sont extrêmement sensibles aux signes avant-coureurs des crises. Ils sont par conséquent capables de prendre du recul avant qu’elles ne surviennent. Il y a donc chez eux beaucoup plus de petits arrêts que de longues absences pour cause de maladie. Et, comme ce sont des pairs-aidants, ils sont davantage autorisés à dire qu’ils ne sont pas au top de leur forme. Tandis que les professionnels réguliers doivent généralement se blinder et se montrer sans cesse les plus « forts » possible.

Quels sont, aujourd’hui, au Québec, les principaux débats autour de la pair-aidance ?

Il reste l’enjeu de la reconnaissance officielle d’une nouvelle catégorie d’emploi dans la fonction publique. Les pairs-aidants continent d’être embauchés sur un intitulé de poste – éducateur spécialisé – qui n’est pas le leur. En matière d’intégration, en revanche, les choses ont peu à peu évolué. Au départ, les professionnels avaient tendance, d’une certaine manière, à discréditer la capacité des pairs-aidants à mobiliser leur vécu. Peut-être aussi, parce qu’initialement, ils se sentaient menacés par l’arrivée de ces derniers. Ce choc initial des cultures, qui était très violent, semble s’être atténué au fil des années. Le profil des pairs a également changé. Certains ont aujourd’hui des années d’expérience et se trouvent donc beaucoup moins réduit à un rôle de témoignage. Mais les luttes pour la reconnaissance de cette profession ne sont pas terminées. Il est important de rester vigilant face aux risques d’instrumentalisation, qui pourraient faire reposer la survie ou la capacité d’intervention d’une institution sur les seules épaules de quelques pairs-aidants recrutés. Il convient aussi de suivre de près le mandat qu’on leur confie et les circonstances dans lesquelles on leur attribue cette mission. La pair-aidance doit être portée par les responsables. Elle doit aussi être consensuelle au sein de l’équipe, car accueillir un nouveau type de professionnel vient changer les habitudes.

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