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La formation, un enjeu pour légitimer la profession

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Depuis une dizaine d’années, des cursus d’enseignement dédiés à la pair-aidance font leur apparition. D’abord au sein des universités qui se sont saisies des questions de santé mentale. Puis, sous la houlette des associations qui, elles, ont choisi des problématiques comme le handicap, le cancer ou la grande précarité. Un pas vers une meilleure reconnaissance de la pair-aidance.

Comment transformer les « savoirs expérientiels » en véritables « compétences professionnelles » ? Les formations à destination des futurs pairs-aidants se multiplient depuis quelques années, sous des formes et dans des structures diverses. Ce qui rend difficile la qualification du phénomène. L’année 2017 marque un point de départ. Dans le cadre d’une expérimentation du Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS), la mention « médiateurs de santé-pairs » est lancée dans la licence « sciences sanitaires et sociales » de Paris 13, devenue université Sorbonne Paris-Nord. Elle succède à une autre expérimentation, menée entre 2012 et 2014 avec Paris 8, qui conduisait à un diplôme universitaire (DU) similaire.

« La trentaine de personnes acceptées entre au niveau de la licence 3, explique Olivia Gross, responsable de la formation « médiateurs de santé-pairs » et titulaire de la chaire de recherche Engagement des patients à l’université Sorbonne Paris-Nord. Elles suivent ainsi, dix-huit mois durant, leurs cours en alternance avec une pratique de pairs-aidants dans des structures professionnelles. La mention étant accolée à la licence “sciences sanitaires” et sociales, les futurs médiateurs de santé-pairs partagent des cours, souvent théoriques, avec les autres étudiants de ce cursus. Cela leur permet, s’ils le souhaitent, de continuer leurs études au niveau du master. »

Un parcours à distance et de l’empathie

Deux ans plus tard, en 2019, l’université Lyon 1 a inauguré son DU « pair-aidance et santé mentale ». Ces cursus universitaires accueillent un public diversifié. « Sur les 190 demandes que nous recevons, 35 reçoivent une réponses favorable après un processus de sélection qui se compose d’un examen de dossier et d’un entretien », détaille Nicolas Franck, professeur des universités-praticien hospitalier et responsable du DU. « Nous choisissons des personnes que nous estimons capables d’exercer la fonction de pair-aidant : des individus ayant souffert de troubles mentaux, rétablis ou en passe de l’être. Ils doivent aussi avoir pris de la distance avec leur parcours personnel tout en se montrant capables d’y faire appel dans un souci d’empathie, poursuit-il. Enfin, sur le plan académique, nous demandons le baccalauréat, pour être sûrs qu’ils puissent suivre ces enseignements. »

Une professionnalisation des expertises d’usage

Des associations ont également mis au point des formations de pair-aidance, accessibles sans condition de diplôme, afin de toucher un public plus large. Avec un modèle et une sensibilité propres à chaque structure, à l’image de la pair-aidance qui se développe sur des problématiques et sujets autres que la santé mentale. Depuis un peu plus d’un an, APF France handicap propose ainsi une formation de quatre jours à destination des personnes en situation de handicap ou de leurs proches qui souhaitent soutenir d’autres malades connaissant des expériences de vie similaires. « En Centre-Val-de-Loire où la formation s’est tenue, nous avons accueilli une quarantaine de personnes qui sont restées en contact au sein d’un réseau de partage des pratiques », indique Pascal Usseglio, directeur régional de l’association sur ce territoire.

De son côté, pour la première fois en 2020, l’Association régionale pour l’institut de formation en travail social (Arifts) des Pays de la Loire a dispensé un enseignement en pair-aidance. Une dizaine de personnes l’ont suivi, durant 112 heures, étalées sur plusieurs semaines. « Cette formation vise à professionnaliser des expertises d’usage sur des problématiques diverses. En santé mentale, par exemple, mais également sur le handicap ou encore la grande précarité », précise Thierry Chartrin, responsable des formations qualifiantes de l’association.

Universitaires ou associatives, ces formations partagent des points communs. En premier lieu, celui de convier des pairs-aidants déjà professionnels à intervenir auprès des étudiants ou apprenants. L’objectif ? « Les amener à décrire les leviers de rétablissement à travers leurs propres parcours, en s’appuyant sur leur vécu, mais avec le recul nécessaire », détaille Nicolas Franck, qui souligne que le DU de Lyon mêle interventions professionnelles et cours plus théoriques dans ce but. Chez APF France handicap, cette transmission passe essentiellement par « des séances en petits groupes de 8 à 12 personnes, avec un temps de découverte et un autre de mise à distance », raconte Pascal Usseglio. « L’enjeu consiste également à faire travailler les apprenants sur leur posture avec les patients, rapporte Olivia Gross. Il ne s’agit pas de leur fournir des outils déjà conçus, mais de les amener à réfléchir à des solutions à travers des expériences qu’ils ont pu rencontrer sur le terrain. »

Développer la complémentarité avec les équipes soignantes

Pour Delphine Lasne, 49 ans, ancienne étudiante du DU de Lyon 1, le cours sur les médicaments reste le souvenir le plus marquant du cursus. « Chaque étudiant connaissait tous les psychotropes. On pouvait presque réciter les notices et citer les effets secondaires de chacun », raconte-t-elle en riant. Ces cours spécifiques au soin visent surtout à comprendre le système médical et ces enjeux, afin d’amener les pairs-aidants à travailler en complémentarité avec les équipes soignantes. « Ce n’est pas parce qu’un remède a fonctionné pour nous qu’il marchera pour autrui. Il ne s’agit en aucun cas de se substituer aux professionnels médicaux », précise celle qui souffre encore de troubles bipolaires.

Pour ces personnes porteuses d’un handicap ou de troubles psychiques, le cursus peut aussi représenter l’étape finale de leur rétablissement. « Avec les cours, j’ai réalisé que mon vécu me donnait une capacité d’action dont je ne soupçonnais pas l’existence. Ça m’a donné une vocation qui m’a portée et m’a un peu sauvée », témoigne Barbara Salvé, 50 ans et diplômée du DU cette année. Les deux anciennes étudiantes soulignent surtout la « légitimité » que leur a donnée leur cursus. « Ces nouvelles formations sont importantes pour les apprenants. Elles permettent aussi de professionnaliser et de donner du crédit au métier de pair-aidant », juge Nicolas Franck.

S’il est difficile d’obtenir des données sur l’insertion des personnes ayant suivi ces cursus, beaucoup sont engagées par des hôpitaux, des associations ou encore des institutions médicales, souvent en lien avec leurs stages. Comme Delphine Lasne, qui a décroché son emploi au sein de l’association Pouvoir d’agir 53. Le mémoire de Barbara Salvé l’a conduite à son poste actuel : « J’ai étudié le rôle de la pair-aidance dans les urgences psychiatriques que j’ai bien connues par le passé. Aujourd’hui, j’y interviens via l’association Espairs. »

Si la formation apparaît comme une plus-value à leurs yeux, les deux femmes continuent à se perfectionner tous les jours, par les rencontres avec les usagers, leurs échanges avec les soignants et leurs lectures personnelles. « Je travaille avec un collègue ayant suivi la formation propre à l’association qui nous emploie. J’ai également rencontré des pairs-aidants qui n’ont suivi aucun cours et sont d’excellents professionnels, témoigne Delphine Lasne. En fait, tout le monde peut se revendiquer pair-aidant. Une opportunité pour d’anciens malades mais aussi un frein à la légitimité de cette profession. »

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