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De l’aidé à l’aidant, un métier en devenir

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Promu par le gouvernement, le travail pair reste peu répandu en France. La reconnaissance réelle du « savoir expérientiel » et la sensibilisation des autres professionnels sont les conditions nécessaires à l’éclosion durable de ces nouvelles fonctions.

« Favoriser l’émergence de nouveaux métiers, particulièrement dans le champ de la pair-aidance. » Tel était le mot d’ordre du ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, le 27 septembre dernier, lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Addiction, lutte contre le sans-abrisme, handicap… Dans de nombreux domaines du sanitaire, du social et du médico-social, les déclarations des pouvoirs publics se multiplient ces dernières années, afin de promouvoir au sein des établissements l’apparition d’un nouveau type de professionnels, chargés de mobiliser leur vécu, leur « savoir expérientiel », pour accompagner les publics en difficulté. Pourtant, malgré les discours, leur émergence – présentée sous différentes appellations – « médiateurs de santé pairs », « travailleurs pairs », « pairs praticiens » – reste encore timide. Ils représenteraient entre 200 à 300 personnes sur l’ensemble du territoire, même si aucun recensement national ne permet d’en connaître précisément l’effectif.

Pourquoi le travail pair se développe-t-il si doucement ? Au-delà des expérimentations et des formations qui fleurissent dans le domaine, seul un nombre restreint de postes est actuellement financé. En outre, l’idée d’intégrer des personnes dont les savoirs et les compétences se situent en dehors des champs traditionnels, et dont les pratiques dépassent les frontières de la « juste distance », interroge, bouscule, inquiète parfois. « Qu’il s’agisse de la santé ou du médico-social, les cultures professionnelles sont fortes, actées par des diplômes, souligne le chercheur en sciences politique à l’université Grenoble-Alpes Julien Lévy. Cela rend difficile de développer une culture du travail pair. » Tout l’enjeu pour ces pairs-aidants, qui pour beaucoup n’ont encore qu’une, deux ou trois années d’expériences, demeure ainsi de prouver leur valeur ajoutée au sein des organisations. « Ils essuient les plâtres d’une certaine façon », ajoute Julien Lévy.

Main d’œuvre à bas coût ?

Cette légitimité est d’autant plus difficile à acquérir que des pairs-aidants continuent d’être employés sans que la valeur-même de ce qu’ils pourraient apporter ne soit réellement intégrée ou prise en compte. « La pratique se développe, mais la grande majorité des pairs-aidants que je connais ne sont pas forcément recrutés en complémentarité des autres membres de l’équipe », déplore Carole Le Floch(1), chercheuse pair et intervenante en école de formation sur les thèmes de la participation des personnes accompagnées. Audrey Dallavalle, déléguée régionale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) en Bourgogne-Franche-Comté, qui a lancé une formation spécifique en 2019 et développe plusieurs initiatives pour sensibiliser au travail pair, perçoit, elle aussi, cet écueil. Selon elle, si beaucoup de fiches de poste sont bien fléchées sur de la pair-aidance, certaines structures restent encore réticentes, préférant recruter des « moniteurs-éducateurs » ou des « hôtes d’accueil ». Avec, en toile de fond, la volonté de ne pas les « stigmatiser ». « Elles n’ont pas compris l’intérêt, déplore-t-elle. L’idée est justement de retourner le stigmate et de montrer que ce n’est pas parce qu’on a eu un parcours de vie complexe que l’on n’est pas apte à exercer. »

Autre crainte : ces travailleurs pourraient se transformer en une main-d’œuvre peu onéreuse pour des établissements en mal de recrutement. Une inquiétude nourrie par la précarité-même de leur statut. « Si l’on craint que cela soit une manière de diminuer les coûts du travail social, proposons-leur de vrais salaire !, tranche Julien Lévy. Les travailleurs pairs restent, dans un certain nombre de cas, les moins bien payés. C’est souvent justifié par l’idée que l’on ne pourrait pas les rémunérer au même niveau que des éducateurs spécialisés ou des assistantes sociales, par exemple, car ils n’ont pas de diplôme. Certes ! Mais si on estime aujourd’hui que le savoir expérientiel est important et même indispensable pour améliorer la prise en charge et l’accompagnement des personnes, alors il est tout à fait légitime de le rémunérer comme un diplôme. »

Sensibiliser au « savoir expérientiel »

Dès lors, former les autres professionnels s’avère primordial. « On sent bien que le sujet demeure très peu évoqué en cursus initial et continu », constate Audrey Dallavalle. « Or, un pair-aidant va bousculer les pratiques, remettre en question ce que l’on considère comme acquis. Nous devons sensibiliser les équipes et en même temps les accompagner dans l’accueil de ces nouveaux profils », assure-t-elle. Pour Carole Le Floch, le savoir expérientiel devrait même être abordé en tant que tel dans les programmes de formation, en prenant en compte « la personne qui a vécu cette situation, le professionnel qui reçoit ces personnes-là et le formateur ». D’autant que la compréhension des notions de pair-aidance et de savoirs expérientiels, ainsi que le travail en amont, conditionnent souvent l’intégration réussie de ces nouveaux salariés. « Pour que les pairs-aidants apportent quelque chose, il est nécessaire de créer un environnement propice à leur arrivée, qui leur permette de trouver un espace d’expression. Si les conditions ne sont pas réunies pour que les équipes jouent le jeu, il est sans doute préférable de ne pas les recruter », assure Julien Lévy.

Un équilibre à trouver

Lucie Neveu est chargée de projet au sein de l’union départementale des associations familiales (Udaf ) de la Haute-Marne. Elle coordonne depuis 2017 une unité chargée de soutenir des personnes isolées, en raison de leurs troubles, notamment face à des problématiques de logement. Elle témoigne de la latitude qu’on lui a accordée lors de sa prise de poste. Soutenue par un responsable convaincu de l’importance de lui réserver une place spécifique au sein de la structure. Lucie Neveu pilote désormais une petite équipe d’intervenants pairs en plein développement, qui travaille en complémentarité avec les autres membres de l’Udaf. Ils bénéficient de possibilités de formation et opèrent en co-construction. Pourtant, la travailleuse-pair reconnaît que l’équilibre n’a pas toujours été simple à trouver. En cause, un excès de « bienveillance » de ses collègues : « J’ai longtemps senti cette petite différence, que l’on me considérait comme fragile. Mais, pour moi, la pair-aidance ce n’est pas cela. Il s’agit de personnes qui trouvent leurs outils, leur confort. C’est nous qui prenons les décisions. » Après trois ans d’exercice, Lucie Neveu, tout comme son directeur, est d’ailleurs certaine de l’apport original de leur pratique. « Nous ne sommes pas des assistants sociaux ou des éducateurs, précise-t-elle. Nous servons d’interface entre des personnes qui ont des difficultés et des professionnels qui ne savent pas comment s’y prendre, quoi dire, ou comment le dire. Ou bien qui ne comprennent pas. Nous sommes là pour faciliter les rapports entre les personnes. Et parfois, aussi, pour que la société puisse elle-même s’adapter à des personnes en difficulté. »

Des plateformes dédiées

« Isolement », « rechute », « perte d’authenticité » sont autant d’appréhensions liées à la professionnalisation de la pair-aidance. Dans son dernier ouvrage, le psychiatre Clément Bonnet(1) s’est exprimé sur ce sujet. « Il y a une énorme pression pour que les pairs-aidants trouvent leur place. Il ne faut surtout pas parler de ce qui n’irait pas », déplore-t-il. Pourtant, leur recrutement direct par des établissements hospitaliers mériterait, selon lui, d’être repensé. « Les pairs-aidants peuvent être utiles et nécessaires pour certaines activités, notamment l’éducation thérapeutique. Mais je pense qu’il faudrait qu’ils s’appuient davantage sur des plateformes, pour garder leur authenticité », souligne-t-il. Une plateforme, c’est justement le projet lancé en 2020 par l’association Espairs, dans le Rhône, que préside Camille Niard, une médiatrice de santé pair qui a exercé pendant quatre ans en milieu hospitalier. Neuf pairs-aidants salariés y mènent des missions de sensibilisation et d’éducation thérapeutique au sein d’établissements hospitaliers et médico-sociaux. L’objectif, pour cette organisation financée par un fonds du ministère de la Santé : développer le métier sur le territoire et assurer, à terme, son indépendance financière. Si Camille Niard témoigne d’une expérience réussie comme médiatrice au sein des institutions, la plateforme offre à son équipe l’avantag d’une co-construction de leurs pratiques sans le moindre isolement. « Ils ont la force du collectif et sentent qu’ils appartiennent à un corps de métier, souligne-t-elle. Et, quand une structure veut travailler avec un salarié d’Espairs, il y a une vraie préparation pour assurer son intégration. »

Notes

(1) « De la grande exclusion au pouvoir d’agir retrouvé : le journalyseur », éditions L’Harmattan.

(1) Voir ASH n° 3220-3221 du 30-07-21, p. 32.

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