C’est presque toujours pareil.
Au début, ils sont tous là. Ils passent tous les jours, ils amènent plein de photos, ils agrémentent de jolis cadres, ils rapportent un plaid tout doux et des chaussons. Ils appellent le matin, l’après-midi, le soir parfois. Tout se passe bien ? On ne lui manque pas trop ? La santé, ça va ? Et les repas ? Et le sommeil ? Et le moral ? C’est plein de promesses et de sourires, tout le monde aime tout le monde, cœurs et paillettes sur vous, la merveilleuse équipe qui prenez soin de notre proche, vous êtes tellement formidables !
Peu à peu, ils viennent un peu moins souvent. En semaine, c’est compliqué, il y a le travail, les petits-enfants à garder, le chat qui est malade… Ils appellent de temps en temps. Ils ont peur de déranger, ils ne savent pas quoi dire, il faut parler fort…
Ils écrivent rarement. Une carte d’anniversaire, un dessin des petits-enfants pour Noël, avec plein de cœurs, un arc-en-ciel, et les mots que tous les enfants disent à leurs grands-parents : on t’aime et on te fait plein de gros bisous.
« Vous savez, je ne peux plus conduire », dit l’épouse épuisée. « Elle ne nous reconnaît plus. Ça ne sert à rien. Elle ne sait même pas que nous sommes là », disent les enfants oubliés.
On rassure gentiment. Votre présence lui fait du bien. Elle sent quand vous êtes là. Il nous parle encore de vous. Elle regarde les photos que vous avez amenées. Il est apaisé après votre passage.
Mais les liens se délitent inexorablement.
Que peut-on bien raconter à mamie, elle qui est loin de tout, loin de chez elle et loin de la vie ? Les progrès du petit dernier ? Elle ne le connaît même pas. Les nouvelles du voisinage ? Ils sont morts. Les derniers rebondissements de la vie politique ? Elle s’est arrêtée à Chirac.
Que peut-on faire pour revoir le sourire de papa ? Lui parler du bon vieux temps ? Il ne s’en souvient pas. Venir avec son chien ? Ça le fait pleurer. Lui amener son plat préféré ? Il ne peut plus en manger.
« Sa femme est morte, vous pensez qu’on doit le lui dire ? »
« On a vendu la maison. »
« On a confié le chien à quelqu’un qui avait un jardin. »
Tout se meurt, tout se retire, sauf lui, sauf elle. Lui, il vit encore. Elle, elle survit péniblement. Il y a des naissances et des morts tout autour, mais on ne lui en parle plus, à quoi bon ? Ce ne sont que des mots aussitôt oubliés, des visages lointains et des lieux effacés.
Elle oublie, il s’oublie. On l’oublie.
A la toute fin, quand le corps et la tête sont très loin de la vie et tout proches de la mort, ils reviennent, les enfants, la sœur, le petit-dernier et l’ami de longue date.
Pour le dernier souffle et le dernier regard, la chambre s’emplit de leurs regrets et de leurs larmes, de leurs étreintes et de leurs mots d’amour, tous ces mots qu’ils ont tus si longtemps, parce qu’ils ne savaient plus comment les dire.