Ce premier matin de novembre ressemble à ceux des trois ans qui l’ont précédé. Comme à leur habitude, aux alentours de 9 heures et alors qu’une pluie battante tombe sur Calais, les gendarmes viennent procéder aux expulsions. Comme à leur habitude, ils ressortent les pieds boueux. Dans la benne qui les suit, des bâches, des tentes et, à l’intérieur, les effets personnels des migrants qui survivaient dans ce campement il y a quelques minutes encore.
En 2018, des associations se sont insurgées contre ces pratiques de confiscations des biens personnels, qui amènent chaque jour des dizaines de personnes à voir leurs tentes et leurs affaires emmenées par les autorités, puis détruites.
Depuis, l’Etat a mis en place le protocole « Ressourcerie », une marche à suivre pour les policiers et les associations selon laquelle les forces de l’ordre doivent laisser aux expulsés le temps de ramasser leurs affaires et centraliser tous les effets saisis, dans le but de les restituer. En théorie. Car en pratique, la procédure n’a jamais été appliquée.
Courant octobre, trois ans après la mise en place de ce protocole, une campagne d’affichage de La Cabane juridique, Human Rights Observers et Utopia 56 a donc essaimé dans la ville. « Si l’Etat venait prendre vos affaires de force pour les entasser ici, vous appelleriez ça du vol ? Depuis janvier, l’État a détruit au moins 2833 abris à Calais », interpelait-elle. Au centre de l’affiche, l’image d’une benne ouverte, recrachant en vrac des centaines de tentes, de sacs à dos, de couvertures et de bâches.
Cette benne, c’est celle de La Ressourcerie, seul lieu où les exilés pouvaient jusqu’alors tenter de retrouver leurs effets personnels après confiscation. Un lieu ouvert deux heures par jour, hors dimanches et jours fériés, et où seules les personnes accompagnées de membres des associations peuvent entrer.
La plupart du temps, lors des expulsions, ni les policiers ni les traducteurs présents n’informent les exilés de l’existence d’un tel dispositif. En décembre 2020, entre 8 et 10 tonnes de biens non réclamés ont ainsi été envoyés en déchetterie.
De leur côté, les équipes du projet Human Rights Observers, soutenu par L’Auberge des migrants, ont observé des mois durant les confiscations lors des expulsions et accompagné de nombreux migrants en quête de leurs affaires. Leur constat ne laisse planer aucun doute : « En 2020, sur le peu de personnes ayant eu accès à ce dispositif, 72.6 % n’ont pas retrouvé leurs effets de valeur. »
En octobre dernier, ne constatant aucun changement, les associations chargées d’accompagner les personnes à La Ressourcerie ont décidé communément de boycotter ce protocole. A ce jour, l’Etat n’a toujours pas revu sa copie pour permettre aux expulsés de récupérer leurs biens dans des conditions dignes.