Elles jouent un rôle aussi important que les relations parents-enfants dans la construction identitaire du sujet. Elles sont les plus longues de notre existence et orientent un savoir-faire et un savoir-être relationnels, des choix de vie et de partenaires. Elles peuvent constituer une richesse mais aussi un obstacle. Elles représentent un levier intéressant dans le travail d’accompagnement psychologique ou éducatif des enfants et adolescents, qui nous permet de mieux les comprendre dans un environnement de vulnérabilité parentale. En fonction des contextes, les fratries peuvent devenir protectrices, parentifiées, sexuellement abusives, violentes. Interroger les liens verticaux, entre parents et enfants, entre grands-parents et petits-enfants, est aisé car ces adultes se trouvent d’emblée dans le dispositif de compréhension de la problématique qui a mené au placement. Même si les pratiques changent, la prise en compte des liens horizontaux, quand il n’y a pas d’abus au sein de la fratrie, est moins évidente.
Elles ne sont pas seulement filiatives, elles sont également affiliatives. Les premières se définissent par des liens de sang ou légaux. Les secondes se construisent par l’expérience vécue, les relations établies comme les demi-frères, quasi-frères ou encore fratries d’accueil. Une fratrie est toujours un sous-système qui naît dans un système plus vaste composé par les parents, les grands-parents, les beaux-parents et, pourquoi ne pas les inclure, les familles d’accueil et les institutions. Au moment du placement, on considère la plupart du temps que les relations à maintenir sont celles des enfants qui vivaient sous le même toit. La qualité des interactions dans le couple, le style de coparentalité, l’étape du cycle de vie de la famille lors de l’arrivée de l’enfant, l’état émotionnel et psychologique des parents au moment de sa naissance et leur expérience dans leurs propres fratries sont autant de facteurs organisateurs de la parentalité et des liens fraternels. Cette lecture est indispensable à la compréhension des rapports et des comportements symptomatiques ou déviants dans une fratrie.
Elles se serrent les coudes ou se désagrègent. Dans le premier cas, une relation intense se noue, une forme d’exclusivité entre frères et sœurs, qui protège contre la sensation de manque et d’abandon. Dans les fratries qui se désagrègent, l’isolement est grand, le sentiment de solitude est soutenu par la conviction qu’il faut s’en sortir seul. Il est fréquent dans ces situations que les aînés partent très tôt de la famille ou que certains enfants trouvent des familles d’« adoption sociale », les parents d’amis très proches ou des amours très engagés et très tôt. Ceux qui restent éprouvent alors un grand désarroi, de la colère et de la culpabilité. Sur le plan identitaire, grandir avec un soutien et le sentiment de compter pour quelqu’un donne une certaine structure aux relations et à la façon d’être au monde. L’inverse est également vrai.
Ces violences sont encore plus traumatiques, en fonction de l’intensité, de la fréquence et de la durée d’exposition. Le conflit conjugal occasionne des dégâts psychologiques et relationnels majeurs dans les fratries. Les enfants ne sont jamais neutres dans ces circonstances. Malgré des tentatives de mise à distance, ils sont souvent happés et peuvent devenir le bras armé d’un parent contre l’autre. Dans ce mouvement, les fratries peuvent se partager, en prenant partie pour la mère ou le père. Une grande rivalité s’installe alors et le sentiment qu’ils sont des ennemis empêche toute forme d’alliance. Grandir dans un contexte où tout est stratégie, mensonge et instigation équivaut à grandir dans un univers belliqueux dans lequel il faut rester dans l’hyper-vigilance et surtout ne pas faire confiance facilement.
Pas toujours. Il s’agit d’une violence très peu évoquée dans la société car considérée comme faisant partie des apprentissages relationnels nécessaires à un enfant : savoir se défendre. C’est encore plus présent dans les relations parentifiées qui débordent. L’enfant chargé ou auto-proclamé en charge de l’éducation ou du contrôle de son cadet peut devenir violent, punitif, pour faire comme le parent ou pour faire ce qu’il estime devoir être effectué par le parent. Ces violences peuvent provoquer chez la victime un état de profonde tristesse, de peur et une absence de plaintes. Si les parents ne rétablissent pas de protection ou d’interdiction et que, de surcroît, une pathologie mentale n’est pas repérée chez l’enfant auteur, cette violence peut aller très loin avec des sévices et humiliations répétés et des actes de barbarie. Le sentiment d’injustice et de danger permanent est marquant pour les victimes non reconnues et amplifie leur impression de solitude et de confusion face à la réalité.
L’inceste n’est pas un symptôme comme un autre. La faillite de cet interdit trouve souvent son origine dans une histoire transgénérationnelle. A l’intérieur des familles et dans la fratrie, le vécu d’abus est aussi destructeur pour la victime que pour l’auteur. L’inceste met en cause le lien d’appartenance à l’intérieur de la fratrie : puisque la sexualité doit être exogamique, alors sommes-nous des frères et sœurs ? La mise sous protection des enfants est de la responsabilité des adultes, parents et travailleurs sociaux : protéger l’enfant auteur et signifier à l’enfant victime que les adultes prennent la mesure des actes qu’il a subis, qu’ils le reconnaissent, qu’ils souhaitent le mettre à l’abri et que justice soit faite.
Pour les professionnels, la compréhension des relations dans la fratrie offre une ressource. Elle constitue l’une des premières expériences marquantes de partage de vie, de chemin parcouru ensemble pendant l’enfance et l’adolescence. Ces liens sont une porte d’entrée, un levier dans la compréhension de l’enfant, ses difficultés et ses modes d’attachement. Interroger les relations fraternelles, que la fratrie soit présente physiquement ou qu’elle soit intériorisée au travers des dires de la personne, représente toujours une source d’informations nouvelles et très utile.