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Enfants placés : accueillir les frères et sœurs

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La non-séparation des fratries protégées par l’aide sociale à l’enfance est l’objet d’un amendement phare du projet de loi relatif à la protection des enfants, qui sera examiné par le Sénat en fin d’année. Un principe énoncé dans le corpus législatif français depuis 1996 mais trop rarement appliqué.

« On nous avait dit, à mon petit frère et à moi qu’on nous logerait ensemble dès que ça serait possible, mais ça n’est jamais arrivé », raconte Hamza Bensatem, placé en foyer à l’âge de 11 ans comme son cadet de 11 mois. « C’est à ce moment-là qu’on avait le plus besoin l’un de l’autre, au début. On s’est bien retrouvés quelquefois à l’extérieur mais, petit à petit, on ne savait plus quoi se raconter. J’ai commencé à aller mal et à passer de foyer en foyer alors que lui s’est bien adapté. Le fil s’est cassé sans qu’on s’en rende compte. » L’histoire du président de l’Adepape 13 (Association départementale d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance des Bouches-du-Rhône) ressemble à celle de beaucoup d’autres enfants séparés de leur fratrie au moment de leur placement. Combien sont-ils dans ce cas ? Difficile d’évaluer le phénomène faute de données suffisantes. En novembre 2020, une étude sur les jeunes âgés de 12 ans, placés par l’ASE de Paris révélait néanmoins que si les trois quarts d’entre eux avaient des frères et sœurs, seuls 10 % étaient accueillis ensemble(1). Une situation contraire à leurs droits, comme l’explique Fabienne Quiriau, directrice générale de la Cnape (fédération de protection de l’enfant) : « Le cadre juridique et réglementaire s’est consolidé avec les lois de 1996, 2007 et 2016 [voir encadré], et pourrait encore progresser si l’amendement 668 de la loi pour la protection de l’enfance est validé par le Sénat fin 2021. Il prévoit que l’enfant sera “accueilli avec ses frères et sœurs, sauf si son intérêt commande une autre solution”. Mais sur le terrain, la mise en œuvre de la législation est disparate et se heurte à de nombreux écueils. »

Le premier concerne la culture des équipes. Pendant longtemps, le besoin de certaines fratries de rester ensemble n’a pas été considéré, la priorité étant donnée au lien parents-enfants. Les professionnels craignaient, par ailleurs, que les frères et sœurs victimes de violences intrafamiliales les reproduisent entre eux. « Bien sûr, nous devons être prudents, voire séparer les enfants si une évaluation sérieuse le recommande. Mais il est nécessaire de réfléchir au cas par cas et de considérer également les ressources portées par la fratrie », souligne Fabienne Quiriau. Le deuxième obstacle, plus déterminant, réside dans la pénurie de places et l’absence d’offres variées. Même lorsque les départements ont la volonté de ne pas éloigner les fratries, leurs capacités d’accueil conjoint restent limitées. « Nous disposons actuellement de 50 places dans un foyer dédié à 12 à 15 fratries alors qu’il y en a plus de 200 sur le département ! », témoigne Marie-Pierre Contois, directrice « enfance-famille » au département de l’Aube. Pour combler ce manque, Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à la famille et à l’enfance, a annoncé la création de 600 places dédiées en 2022. La taille des fratries s’avère également un enjeu : « Au-delà de quatre frères et sœurs, nous n’y arrivons pas », complète-t-elle. Accueil non simultané, âges différents, spécificités de chaque enfant… Au-delà du déficit de places, l’équation peut être difficile à résoudre.

Accompagnement évolutif

Certains départements et établissements ont toutefois fait du maintien des liens fraternels une priorité. « Depuis fin 2019, tous les enfants transitent par notre centre départemental qui a retrouvé sa juste place d’accueil, d’orientation et d’évaluation, explique Frédéric Jung, directeur de l’ASE de l’Aube. Les fratries sont accueillies quelques semaines dans les unités correspondant à leur âge et peuvent se voir. Puis nous croisons nos observations avec celles de la psychologue. Les choix sont parfois difficiles entre le maintien ensemble ou la séparation pour répondre aux besoins singuliers de l’un des enfants. » Mais l’hébergement commun ne constitue pas l’unique problématique. « Le projet pour l’enfant accueilli chez une assistante familiale, par exemple, peut inclure des visites régulières à son frère. Il évolue tout au long du placement, car les travailleurs sociaux sont formés à soutenir cette relation », confirme Marie-Pierre Courtois.

Une évaluation fine et un accompagnement évolutif dans la durée défendus, également, par SOS Villages d’enfants dont la visée originelle consiste à permettre, depuis 1956, l’accueil de fratries. Une « mère SOS » les élève jusqu’à leur autonomie dans une maison appartenant à l’association. Cette dernière développe son expertise via des travaux de recherche qu’elle partage avec les acteurs de la protection de l’enfance. Objectif : évaluer si les fratries représentent une « ressource » et/ou si des liens dysfonctionnels existent. « Une fratrie, ça s’accompagne. A part certains cas très lourds de violences ou d’incestes intra-fraternels qui excluent un placement commun, dans 80 % des cas c’est aux professionnels de travailler et de faire évoluer les liens dans la durée afin que les enfants ne soient pas bloqués dans leurs rôles et que la fratrie reste un support de résilience, puis une ressource à l’âge adulte », insiste Hervé Laud, directeur « prospective et plaidoyer » de l’association.

Panel de solutions

Quand la recommandation de maintenir les liens est posée, accompagner la dynamique fraternelle tout en inscrivant chaque enfant dans un projet individuel devient un enjeu majeur pour la protection de l’enfance. Au même titre que la possibilité pour le département de disposer d’un panel de solutions variées, adaptées à chaque situation. Dans les Pyrénées-Atlantiques, Didier Narbeburu, directeur de la maison d’enfants à caractère social (Mecs) Brassalay, l’expérimente depuis 2015. Grâce à des travaux de restructuration complète du foyer en plusieurs petites unités, celui-ci peut accueillir avec une grande souplesse des frères et sœurs, lesquels représentent la moitié des 62 enfants hébergés. Un établissement « à taille humaine », structuré en multiservices : un pôle « enfants » pour les 6-12 ans, un pôle « 12-21 ans » avec un accueil collectif, quelques studios et un service d’autonomie en ville, un service d’accueil d’urgence et, enfin, un point « rencontre » pour les visites médiatisées, adossé à un accueil parents-enfants avec hébergement pour des séjours familiaux. « Cette organisation nous permet de répondre plus facilement à la demande de recevoir des fratries d’âges différents qui peuvent se retrouver dans des lieux chaleureux, ou de placer un enfant dans une autre unité en attendant de le rapprocher de son frère dans le même pôle dès qu’une place se libère, détaille le directeur. Elle permet aux enfants de conserver le lien fraternel et de pouvoir dans le même temps s’en échapper quand il leur pèse, en se socialisant dans un lieu ouvert, reflet de la société. » Rassurés par la présence les uns des autres, les frères et sœurs peuvent ainsi mieux grandir et s’individualiser.

Cette flexibilité se conçoit aussi dans l’accueil familial, à certaines conditions. Dominique Hontaa, assistante familiale au Pays basque pour l’association Notre Dame Jatxou, a reçu en 2011 Lucas(2), 8 ans, aîné d’une fratrie de trois enfants. Son frère Antoine, 6 ans, et sa sœur Lola, 4 ans, ont été placés chez deux autres assistantes familiales du même employeur. Lors de visites médiatisées chez la grand-mère et la mère des enfants, les professionnelles se rendent rapidement compte que les deux aînés – qui vivaient ensemble chez leur mère, alors que la plus jeune vivait chez sa grand-mère – réclament de se voir. Elles organisent des week-ends relais et des vacances communes pour les deux garçons et leur petite sœur de temps en temps, de façon à créer un lien avec elle petit à petit. « On s’organisait entre nous pour les congés que l’on proposait au responsable du planning de l’association. Cela nécessite une parfaite entente entre collègues, du dialogue et la confiance du service qui nous emploie. » Pendant six ans, la fratrie séparée fonctionne ainsi, jusqu’à ce que Antoine quitte sa famille d’accueil pour un foyer dans lequel il s’effondre. Son frère aîné demande alors à Dominique Hontaa de le prendre chez elle. Au terme de plusieurs réunions d’équipes avec les enfants, la décision est prise : « Le premier trimestre a été compliqué pour Antoine qui était en échec scolaire. Et puis un jour, il s’est remis au travail. Il a encore quelques difficultés mais il est bien inséré à l’école, content d’y aller et n’a plus de problèmes de comportement. Avec son frère, ils restent très complices, font plein de choses ensemble mais ont chacun leurs amis et leurs activités. »

Non formée à l’origine à la spécificité du travail éducatif avec les frères et sœurs, mais issue elle-même d’une fratrie de six enfants, Dominique Hontaa se documente, lit beaucoup et s’inscrit à toutes les formations qu’on lui propose. « Il faut tenter des choses, conclut-elle, être audacieux. Parce que si on ne leur donne pas cette chance, comment savoir s’ils peuvent vivre ensemble ? »

Une lente évolution juridique

La loi n° 96-1238 du 30 décembre 1996, promulguée sur la recommandation du Parlement des enfants, inscrit pour la première fois le maintien des liens fraternels dans le code civil : « L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. » Onze ans plus tard, la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, a posé que « le lieu d’accueil de l’enfant doit être recherché dans l’intérêt de celui-ci et afin de faciliter […] le maintien de ses liens avec ses frères et sœurs ». En 2016, la loi « Rossignol » a ajouté aux missions de l’aide sociale à l’enfance celle de « veiller à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec ses frères et sœurs soient maintenus, dans l’intérêt de l’enfant ». Et précise que le projet pour l’enfant « prend en compte les relations personnelles entre les frères et sœurs, lorsqu’elles existent, afin d’éviter les séparations ». La législation se conforme alors à l’esprit de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 qui établit le droit de l’enfant à grandir dans son milieu familial. Pour les mineurs protégés, les lignes directrices, adoptées par l’ONU en 2009, recommandent que « les frères et sœurs avec des liens avérés ne devraient en principe pas être séparés dans le cadre de la protection de remplacement, à moins qu’il existe un risque évident d’abus ou une autre justification dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Notes

(1) Etude de l’Observatoire social de la Dases avec l’Observatoire parisien de la protection de l’enfance, novembre 2020.

(2) Les prénoms des enfants ont été modifiés.

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