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Handicap : une organisation moderne, un fantasme néfaste

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L’auteur dénonce la tendance à une hypercentralisation du secteur du handicap, au nom d’une modernité qui lui semble déconnectée du terrain. Et préconise que les directions locales exercent des fonctions d’évaluation, de contrôle et d’accompagnement des établissements qui, ainsi, pourraient mettre en œuvre les bonnes pratiques de management de proximité.

« Depuis quelques années, le secteur de l’action sociale, et notamment celui du handicap, vit des mutations profondes. Il est demandé à chacun, gouvernants du monde associatif, dirigeants ou encore collaborateurs de terrain, de changer de paradigme, de repenser son métier et de construire des réponses plus ouvertes sur les dispositifs de droit commun. On parle de désinstitutionnalisation, d’adaptation des réponses aux besoins des personnes accompagnées et des territoires. La question de la professionnalisation est portée en étendard pour accompagner ces évolutions majeures.

Après vingt ans de direction, dont huit de direction générale d’associations œuvrant dans le champ du social et du médico-social, je constate, dans certaines situations, un décalage de plus en plus criant entre les valeurs revendiquées et la mise en musique. J’observe que les postures managériales trop ancrées dans une volonté de maîtrise ne répondent pas aux enjeux de créativité et que la connexion aux besoins des personnes et aux évolutions sociétales demande beaucoup plus d’adaptabilité et d’initiative.

Face à ce mouvement qui vise l’émancipation des personnes accompagnées, nous assistons à une tendance à la concentration et à la centralisation des organisations. Un grand fantasme s’empare des gouvernants et du “top management” de certaines associations qui veut que, pour piloter l’évolution du secteur, les fonctions connexes de gestion et d’organisation doivent remonter au niveau central. Qu’au siège, tout est sous contrôle.

Paradoxalement, pour favoriser l’émancipation des personnes accompagnées, les organisations visent à appauvrir la fonction de direction locale, à la vider de sa substance responsable et créatrice, à la “désémanciper”. Cet appauvrissement des fonctions de direction de terrain se justifie au motif fallacieux de lutter contre les baronnies, trop présentes dans l’histoire du secteur.

Mais lutter contre ces baronnies ne passe pas par ce mode de fonctionnement fantasmagorique et déconnecté des vrais enjeux et réalités. Le vrai sujet reste celui de l’optimisation des ressources au travers d’outils de gestion performants afin d’offrir un service de qualité, adapté et investi. Accompagner la technicité inhérente à la règlementation foisonnante peut se penser autrement que dans un modèle d’hypercentralisation.

La question n’est pas de maîtriser ce qu’il se passe dans nos organisations, mais de comprendre les ressorts, ressources et leviers permettant d’accompagner les changements. Les fonctions de siège doivent se renforcer dans leurs missions d’accompagnement, d’évaluation, de contrôle des directions locales, mais certainement pas dans la remontée de fonctions opérationnelles de gestion centralisées.

Requalifier les niveaux de délégation

L’ensemble des orientations et des évolutions du projet global mérite d’être travaillé dans un cadre sécurisé et autonome. Pour cela, il convient de requalifier les niveaux de délégation et de responsabilité. La notion d’autonomie prend alors toute sa place. Elle est la capacité individuelle à s’intégrer dans un système collectif. Elle ne s’oppose pas au concept de dépendance. L’autonomie, c’est le smartphone que chacun a dans sa poche. Il a l’autonomie de sa batterie et doit être rebranché régulièrement au secteur pour se recharger. C’est la connexion des directions locales au système managérial en place ; les processus et procédures, les ressources économiques et sociales. Et si ce même smartphone ne bénéficie pas régulièrement d’une mise à jour logicielle, alors il devient vite obsolète. C’est là que prennent sens la démarche qualité, le contrôle de gestion, l’évaluation et l’accompagnement.

Chacun a l’autonomie d’action conforme aux délégations qui lui sont données. Cette autonomie constitutive d’une responsabilité assumée s’inscrit dans un projet commun qui prend référence auprès de valeurs affirmées dans un projet de direction générale. Lequel doit, en premier lieu, donner du sens. D’abord, chaque professionnel doit pouvoir comprendre que son action est en prise directe avec celle des autres. Ensuite, la définition et la compréhension des projets doivent être partagées et appliquées, qu’il s’agisse du projet associatif, d’établissement ou personnalisé.

Le projet de la direction générale doit aussi s’inscrire dans la proximité, pour que l’action se réalise au plus proche des besoins des personnes dans leur territoire, mais aussi parce que l’action se rapproche d’une mission de service public et que les territoires plus éloignés ne peuvent être oubliés. Chaque salarié, cadre ou non, doit pouvoir se sentir considéré et soutenu dans son quotidien. Enfin, les services d’un siège doivent être connectés à la réalité de la vie des établissements.

Parallèlement, pour répondre à l’exigence de professionnalisme, un projet de direction générale s’articule nécessairement avec le projet associatif et porte sur plusieurs outils stratégiques qui tiennent compte des objectifs à atteindre : bientraitance, besoins des usagers et des territoires transcendent ces outils.

A partir d’une organisation structurée, il est question de créer du flux ascendant et descendant, afin que sommet stratégique et centres opérationnels s’enrichissent mutuellement.

Décentraliser les missions opérationnelles

Il s’agit ici de sécuriser l’insécurité, pour que chacun, en conscience et en responsabilité, puisse prendre des risques. C’est là que les fonctions de siège sont attendues et s’expriment pleinement. En effet, les outils stratégiques garantissent une structuration nécessaire, des processus et procédures qui fixent un cadre de fonctionnement dans lequel les directions locales contribuent au projet global.

Une organisation doit viser à décentraliser les missions opérationnelles, à favoriser un travail en subsidiarité entre les services experts d’un siège (accompagnement, contrôle, évaluation) et les responsabilités opérationnelles dans les établissements. L’organisation doit permettre la prise en charge de la gestion des équipes administratives et comptables par celles des directions locales, afin de recentrer les directeurs de structures sur des missions de management d’équipe et de projets, de développement des partenariats et de l’offre au local, tout en repositionnant les managers de proximité dans leurs missions d’étayage des équipes pour un accompagnement de qualité. A défaut, le directeur devient un simple exécutant.

Les organisations doivent donner des espaces de réflexion et d’élaboration aux directions locales. Celles-ci connaissent le terrain et peuvent construire et proposer les réponses de demain. Les directions locales doivent renoncer à une culture gestionnaire au profit d’une culture entrepreneuriale, et l’ensemble de l’organisation doit passer d’une posture de maîtrise à une posture de responsabilité. Il appartient alors à chacun, en cohérence avec les délégations définies, de mesurer son exposition au risque et sa capacité à prendre ses responsabilités.

Le sommet stratégique, tel que défini par l’universitaire Henry Mintzberg, vient ici alimenter et se nourrir des centres opérationnels pour construire et faire vivre la stratégie associative. Celle-ci étant soutenue par la technostructure.

Le risque de la logique pseudo-moderne et hypercentralisatrice est de glisser vers des réflexes exclusivement et purement gestionnaires qui conduisent inéluctablement à nous préoccuper davantage des problèmes d’argent que de l’art des gens.

L’art des gens, c’est le sens au travail, c’est l’engagement professionnel, c’est l’esprit d’initiative qui doit pouvoir s’exprimer chaque jour pour que chacun œuvre au projet commun d’une offre de services pertinente, bienveillante, évolutive, idoine et active.

C’est en se préoccupant de l’art des gens que toute organisation favorise la sérendipité(1), élément essentiel d’ajustement des pratiques du quotidien qui favorise un accompagnement performant, proche des gens et permettant de saisir l’événement pour en faire un objet de travail.

Les organisations doivent donc trouver l’équilibre qui permette une juste exploitation des ressources pour la satisfaction des besoins des personnes et des territoires. La dimension gestionnaire, au lieu d’être une fin en soi, doit retrouver sa juste place : le service d’un projet commun. »

Notes

(1) La sérendipité correspond au fait de faire, par hasard, une découverte inattendue et fructueuse.

Contact : olivier.fabiani@adapei42.fr

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