Les puissantes vagues de l’Atlantique se fracassent sur un imposant mur de pierre long de plusieurs centaines de mètres, digue provisoire face à une catastrophe déjà réalité. Tandis que les dirigeants politiques du monde entier, réunis à Glasgow pour la Cop26, vont une fois de plus s’engager à agir à l’horizon de quelques décennies pour limiter l’impact du réchauffement climatique, la communauté de pêcheurs lébous – habitants historiques de la presqu’île du Cap-Vert – n’a que faire de ces vœux pieux. La montée des eaux a rongé plus d’un kilomètre de plage, et le mur de roches noires protège ici, au centre de Rufisque, à 25 km de Dakar, un terrain de football, une mosquée qui jouxte un cimetière et des centaines d’habitations. Ce lundi 1er novembre, les associations qui luttent pour la préservation de l’environnement et les droits des habitants de la côte se sont réunies dans la grande salle de la mairie située en plein cœur de cette ville pauvre de plus de 500 000 âmes. Autour de l’immense table se joignent également les plus hautes personnalités politiques et religieuses représentant la communauté lébou, alors qu’une délégation du Parti de la gauche européenne (PGE) est venue écouter et comprendre, avant de s’envoler pour l’Ecosse afin de relayer un message et une angoisse qui se lit sur tous les visages.
Afin d’en prendre la mesure, direction Bargny, ville de 70 000 habitants située à quelques kilomètres de Rufisque. Au bout des ruelles déshéritées, longées par des dizaines de pirogues abîmées ou à l’abandon, une maison surplombe la plage littéralement jonchée d’ordures et de plastiques. Fatou Samba, présidente de l’Association des femmes transformatrices de produits halieutiques, celles qui travaillent les produits de la mer ramenés par les hommes, se tient debout dans un espace exigu où s’entassent plus d’une trentaine de personnes. « Avec le réchauffement climatique, les pêcheurs peuvent rester six mois sans pouvoir ramener de bons produits. Et la mer avance à grands pas. Ici, dans cette maison, l’eau rentre déjà lorsque la marée monte, cela menace les enfants », explique-t-elle, alors qu’une fillette de 2 ans déambule sur le sol en pierre, sous le regard d’une mère tenant un bébé dans ses bras. Les « Femmes transformatrices » défendent aussi les droits des habitants expropriés de leurs terres par les autorités. A quelques centaines de mètres de là, des dizaines d’habitations qui hébergeaient, comble du cynisme, des familles chassées par la montée des eaux ont été détruites… pour permettre la construction d’une centrale à charbon. Le projet né en 2013 a été mené à bien, mais les pêcheurs ont tenu leur promesse d’empêcher coûte que coûte la mise en service d’un site industriel risquant d’achever la pollution des plages, des sols et des eaux, sans compter les émissions de gaz à effet de serre générées par la combustion du charbon. Les pouvoirs publics tentent à présent de convertir l’usine à l’abandon en centrale à gaz, quand Bargny attend désespérément de l’aide pour ériger des digues et des sacs de sable pour protéger leur environnement.
La commune et la « petite côte » sénégalaise concentrent tous les maux du réchauffement climatique et de l’exploitation sauvage des ressources, au mépris des équilibres locaux. La ruine des pêcheurs encourage fatalement les départs de migrants et la tentation des piroguiers de rejoindre l’eldorado européen, soit pour eux-mêmes, soit pour monnayer une place dans l’embarcation. Thierno Diop, 19 ans, qui vit dans la maison surchargée de Bargny, jure qu’il n’effectuera jamais la traversée. « Trop dangereux », souffle-t-il, même si quatre de ses amis ont réussi cette année à voguer au-dessus du « cimetière de l’Atlantique » et à s’échouer sur les rives espagnoles.