Lors de sa visite au congrès annuel des sapeurs-pompiers, le 16 octobre dernier, le président de la République a annoncé qu’une expérimentation serait menée à partir de 2022 afin que le 112 devienne le numéro unique des urgences à l’échelle d’une grande région. Réclamée depuis plusieurs années par les sapeurs-pompiers, sa mise en place pourrait réactiver des tensions entre acteurs et services qui se sont construits de manière parallèle depuis les années 1970.
L’idée d’un numéro d’appel commun aux différents types d’urgence n’est pas nouvelle. Avant la création du 112 en 1991 par le Conseil de l’Union européenne dans le but d’harmoniser les situations nationales, le projet d’unification de la réception des urgences avait déjà été posé en France, dans le contexte de l’essor de la médecine d’urgence. Alors que le 17 (numéro de la police) et le 18 (celui des pompiers) ont été mis en service dans l’entre-deux-guerres, il faudra attendre 1978 pour que le secrétaire d’Etat aux postes et télécommunications signe un protocole avec le ministre de la Santé, attribuant à ce dernier le numéro 15. Jusque-là, en cas d’urgence médicale, il fallait appeler son médecin traitant ou un service d’ambulance. Certains hôpitaux se sont alors dotés de numéros faciles à retenir, comme à Toulouse (42 33 33) ou à Reims (06 07 08).
Confronté à l’augmentation du nombre et de la gravité des accidents de la route, à la fin des années 1950, le corps médical s’est mis à réclamer aux pouvoirs publics une amélioration de la réception de l’alerte. Première mesure, en 1959, la gendarmerie est chargée de recevoir les demandes de secours. Mais la perte de temps lors des transmissions conduit le ministère de la Santé à demander aux PTT l’attribution d’un numéro spécifique pour les urgences médicales dès l’année suivante. Il s’est inspiré en cela de l’expérience soviétique : il était en effet possible en URSS de faire appel au 01, au 02 ou au 03 pour avoir accès respectivement aux services de police, d’incendie et aux secours médicaux. Mais face aux difficultés techniques, la Santé s’est montrée prête à accepter que les appels soient reçus sur le 18 par les pompiers, avant d’être redirigés sur les hôpitaux.
Pourtant, lorsque les PTT ont annoncé, après plus de quinze années de négociations, que le 15 pouvait être utilisé, cette perspective est apparue comme une menace pour les sapeurs-pompiers, qui ont craint de se voir dessaisir de leurs missions de premiers secours. Le ministère de l’Intérieur a par ailleurs cherché à garder une mainmise et s’est positionné en faveur d’un numéro commun à tous les services. C’est finalement le corps médical qui a dénoncé le risque que ferait peser ce dispositif sur le secret médical. Le même argument a été récemment mobilisé par des représentants des médecins pour dénoncer la proposition de l’Elysée. La coopération des services demeure un enjeu crucial, afin d’éviter toute perte de temps sur le terrain et de garantir l’indépendance et l’efficacité de chacun des acteurs.