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Des besoins non pourvus, une offre inadaptée

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Face à l’ampleur des attentes exprimées par les aidants, la liste des solutions de répit s’allonge. Un défi pour les pouvoirs publics, attendus au tournant pour financer ces initiatives et revoir une offre lacunaire.

« Je savais que je serais plus soulagé, plus calme si elle rentrait en institution. Mais je ne pouvais pas. » Pour s’occuper de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, Daniel est retourné habiter chez elle pendant sept ans. Déterminé à « tenir coûte que coûte, quitte à s’oublier ». Et il s’est retrouvé « dedans jusqu’au cou », « fatigué et désocialisé ». Une histoire presque banale, recueillie par le sociologue Arnaud Campéon (voir interview page 12), qui illustre la détresse des aidants.

Ces derniers seraient jusqu’à 11 millions, selon le baromètre 2019 de la Fondation April, soit un Français sur six. Les statistiques officielles sont plus datées : en 2008, selon l’Insee, 7,4 millions de personnes de 16 ans ou plus aidaient à domicile de façon régulière un ou plusieurs de leurs proches pour raisons de santé ou de handicap.

Un fait social majeur qui, depuis quelques années, a conduit les pouvoirs publics à réagir. Sous l’effet du vieillissement de la population, qui sera de plus en plus maintenue à domicile, ainsi que du virage inclusif, la prise en charge des personnes dépendantes se trouvera de manière accrue entre les mains des aidants. Le risque ? Un transfert encore plus marqué de la solidarité publique vers la solidarité familiale. Pour l’endiguer, le gouvernement a lancé en 2020 un plan national de renforcement et de diversification des solutions de répit. Celui-ci prévoit 105 millions d’euros visant, entre autres, à multiplier par deux les soutiens dans le cadre de l’accueil temporaire des personnes aidées, avec ou sans hébergement. Selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, en 2019, il existait 12 540 places en accueil de jour et 7 873 en hébergement temporaire destinées aux personnes âgées. Fin 2015, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) recensait 5 411 places temporaires (avec ou sans hébergement) pour les personnes handicapées.

Répit « dérisoire »

Le gouvernement va également conforter les « plateformes d’accompagnement et de répit » (PFR). Développées par le plan Alzheimer pour 2008-2012, on en trouve aujourd’hui 289 en France et dans 94 % des départements. Ces sortes de guichets dédiés aux aidants visent à orienter vers des prises en charge existantes. S’y ajoutent une écoute ainsi que des interventions pour que les familles ou proches disposent de temps « libérés » ou « accompagnés » (en présence de la personne aidée) pendant quelques heures. En 2018, leur champ a été élargi à l’ensemble des maladies neurodégénératives (Parkinson, sclérose en plaques, etc.). Et une instruction de mai 2021 invite désormais à ouvrir ces plateformes aux aidants de personnes handicapées ou atteintes de maladies chroniques invalidantes.

Est-on si loin du compte ? « Pour y voir plus clair, une cartographie précise de l’offre serait nécessaire », répond Lorène Gilly, responsable du suivi des politiques publiques chez France Alzheimer. Selon les territoires, les accueils de jour sont pris d’assaut ou, à l’inverse, déserts, faute sans doute d’être suffisamment connus. « Il convient d’analyser les causes du non-recours, qui peuvent être financières, administratives, liées à l’éloignement géographique, voire à une communication insuffisante sur l’offre », ajoute Lorène Gilly. De son côté, Céline Bouillot, chargée de mission au pôle « protection sociale, santé, vieillesse » de l’Unaf (Union nationale des associations familiales), regrette : « Pour accéder aux aides de répit, il est demandé de répondre à un nombre de critères assez restrictifs variable selon la personne accompagnée, alors que tous les aidants ont des besoins. »

Dans le champ du handicap, le ton est plus alarmiste. « Le plan autisme 3 (2012-2017) prévoyait 30 millions d’euros pour des solutions de répit, mais c’est dérisoire au vu du nombre de personnes autistes », estime la présidente d’Autisme France, Danièle Langloys. Directeur de l’Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés) de la Somme, Ahmed Zouad dispose de huit places dans une unité temporaire d’accueil destinée aux 6-20 ans présentant des troubles du spectre autistique. Elle est fréquentée par près de 160 enfants par an… « On reçoit énormément de demandes, donc on essaie de faire tourner par équité, et aussi en fonction des urgences », explique celui qui préside par ailleurs le Grath (Groupe de réflexion et réseau pour l’accueil temporaire des personnes en situation de handicap).

Pour développer de telles solutions, les établissements peuvent transformer des places pérennes. Problème : celles-ci rebasculent souvent dans le régime initial en raison des manques de disponibilités. « On a besoin de places dédiées », conclut Ahmed Zouad. L’adaptation des temps d’accueil aux emplois du temps des aidants constitue un autre enjeu : seuls 7 % des accueils de jour sont ouverts au moins une demi-journée le week-end, tandis que 2,5 % des établissements (surtout des Ehpad) ont déclaré disposer de quelques places d’accueil de nuit, rapporte l’Observatoire de la maladie d’Alzheimer de la Fondation Médéric Alzheimer dans une enquête publiée en juillet dernier. Dans le champ du handicap, certains besoins non couverts sont liés aux périodes de fermeture des structures médico-éducatives. « Pour le secteur “enfance”, des solutions d’accueil sur les périodes de vacances scolaires sont nécessaires, notamment pendant la période estivale. Tous les centres de séjour adaptés ne peuvent pas absorber les demandes et, en plus, ces prestations sont payantes », explique Ahmed Zouad.

Places inadaptées

Autre limite de l’offre actuelle : elle se révèle peu adaptée aux troubles cognitifs, provoquant des refus de prise en charge. « Les accueils de jour sont amenés à limiter l’admission des personnes malades selon le niveau de sévérité de la maladie », constate la Fondation Médéric Alzheimer. Les associations critiquent une offre d’appui de moins en moins spécialisée s’adressant à des publics très différents. « Les personnes autistes avec troubles sévères n’acceptent pas le changement, pointe Danièle Langloys. Les envoyer sans grande préparation des enfants, adolescents et adultes dans un endroit qu’ils ne connaissent pas, c’est lourd de conséquences. » A l’instar d’autres associations, la présidente d’Autisme France appelle au développement massif du relayage, « la demande première des familles ». Les associations d’aidants sont en attente de la généralisation de cette forme d’intervention de plusieurs jours en continu à domicile qui est expérimentée depuis trois ans (voir encadré).

Enfin, « l’offre de répit n’est pas centrée sur l’aidant. Il lui manque ce temps d’évaluation de la situation au domicile ainsi que de ses besoins, nécessaire pour tenter de résoudre les facteurs d’épuisement », ajoute Henri de Rohan-Chabot, délégué général de la Fondation France Répit, qui gère une maison de répit à Lyon en partenariat avec la Fondation OVE. Ce lieu propose l’hébergement simultané des aidants et des personnes aidées. La durée moyenne de séjour des familles y est d’une semaine. Une équipe mobile composée de médecins, de psychologues et d’infirmières se charge, après le séjour, de l’accompagnement au long cours, exploitant les appuis recensés sur le territoire par l’association lyonnaise Métropole aidante. Si cette structure a pu obtenir un financement de l’agence régionale de santé (ARS), il s’agit d’une exception, qui, pour être généralisée, nécessiterait un nouveau statut reconnaissant l’accueil d’un tel binôme, selon la Fondation France Répit. Plus globalement, l’enjeu sera de soutenir des initiatives hors des sentiers battus. « De l’argent est mis sur la table, mais comment sera-t-il réparti ? Pour certains de nos adhérents, les démarches auprès des ARS sont difficiles », constate Morgane Hiron, du collectif Je t’aide.

Relayage : la généralisation reportée

Permettre à un professionnel de rester jusqu’à six jours, 24 heures sur 24, aux côtés d’une personne en situation de perte d’autonomie ou de handicap afin d’offrir un répit à l’aidant : tel est le principe du relayage. Une expérimentation prometteuse, qui doit prendre fin le 31 décembre prochain. A l’approche de l’échéance, des inquiétudes sur sa prolongation se sont manifestées, face au manque de financements dédiés pour prolonger la pratique dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Un mauvais signal envoyé aux aidants en passe d’être rectifié ? Selon Baluchon France, organisme qui appuie le développement du relayage (ou « baluchonnage », selon la version québécoise), des amendements sont en préparation afin de corriger le tir. Alors qu’une décision sur la généralisation du dispositif était attendue, l’expérimentation devrait finalement se voir prolongée afin qu’une évaluation correcte soit réalisée. « A cause de la crise et des difficultés de financement, on a réellement commencé à baluchonner à l’été 2021 », explique Rachel Petitprez, sa directrice. Parce qu’il repose sur une présence continue qui demande de déroger au code du travail, le relayage à domicile est un sujet sensible nécessitant des données d’impact précises, mais aussi un soutien des organisations syndicales.

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