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Des roses pour Rose

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Souvent, ils sont tous là. Le fils, le frère, la fille, l’épouse, ça parle et ça pleure, ça renifle et ça chuchote, ça s’étreint et se console. C’est beau, c’est humain, toute cette vie pour accompagner la mort.

Parfois, il n’y a qu’une vague petite-nièce, ou un voisin solitaire, parce qu’il n’y a plus personne, parce qu’ils sont tous déjà morts, ou loin, ou morts et loin à la fois. Plus rarement, il n’y a personne.

Aujourd’hui, il n’y a que ce vieil éduc effondré. Il est seul pour choisir le cercueil, les mots, la musique et les fleurs.

Pourtant, elle en a connu du monde. De famille en foyer, de foyer en famille, des enfants, des adultes, des jeunes profs et des professionnels, la grande armada de ceux qui étaient là pour elle, mais qui ne sont pas là aujourd’hui.

Et puis des hommes, beaucoup, qui venaient se soulager dans ses bras et entre ses cuisses. Des hommes qui lui susurraient des mots doux et lui criaient des mots obscènes, qui promettaient et menaçaient, qui caressaient et tabassaient. Des hommes, pour une heure ou pour une nuit, mais jamais pour la vie.

Elle n’était pour eux que ce corps où s’échouaient le désir des hommes mariés et les regrets des pères divorcés. Une fleur tout juste éclose et déjà flétrie.

Son corps violé, souillé, a volé puis est retombé, la voiture n’a même pas freiné, et personne ne s’est retourné.

Le premier arrivé, c’est ce vieil éduc qui se tient face à moi, ce monsieur qui pleure et qui renifle, et qui ne cesse de répéter : « Si j’étais arrivé cinq minutes plus tôt, cinq petites minutes ! »

Cinq petites minutes, pour une vie sauvée, c’est tellement peu, tellement trop.

Il l’a tenue dans ses bras, cette enfant placée, elle était si fragile, un oisillon tombé du nid, mais tellement vivante !

Elle est partie dans ses bras, cette jeune femme brisée, elle était si gracile, un oiseau tué en plein vol, et tellement mourante !

J’écoute, je tends un mouchoir, puis un autre, puis la boîte. Il faudrait pouvoir dire des jolies choses, pour la cérémonie.

Des jolies choses ? Pour qui ? Pourquoi ? Il n’y aura personne de toute façon. Elle n’a eu qu’une vie de chien, une vie de rien, du début à la fin.

Il essaie pourtant. Il fait silence, et se souvient.

Elle aimait les fleurs. Elle en connaissait les nuances et les secrets. La primevère pour la jeunesse, la violette pour la pudeur, la pensée pour le souvenir.

Elle aimait les offrir et les recevoir. C’était son langage secret, quand les mots ne venaient pas, quand elle voulait se confier sans en avoir l’air. L’ancolie pour la tristesse, le bleuet pour la tendresse, la lavande pour le silence.

Il veut toutes les fleurs pour elle. Pour la joie et la colère, l’amour et le deuil, le secret et la beauté.

L’immortelle pour les regrets, la marjolaine pour la consolation et le myosotis pour ne pas oublier. Pour l’enfant délaissée et la femme qu’elle ne sera jamais. Pour Rose, pour Flora.

La minute de Flo

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