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Logement et hébergement : la centralisation, productrice d’insécurité résidentielle

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Portée par la volonté politique de garantir une meilleure équité de traitement des demandes de logement et des besoins d’hébergement, la centralisation engendre, en réalité, très souvent, une grande insécurité pour les ménages. Jusqu’à les priver de la possibilité d’une insertion sociale réussie.

« Madame Da Silva, je ne comprends pas… Pourquoi il me propose un appartement dans cet immeuble ? Je m’occupe seule de mes quatre enfants, j’ai deux adolescents. Il y a plein de trafic de drogue, là-bas, tout le monde le sait !”

Cette question est celle de Mme Ilunga(1), mère de quatre enfants, accueillie dans le cadre du dispositif d’alternative à l’hôtel. La famille vient enfin d’avoir une proposition de logement, mais située dans une barre d’immeuble connue pour son trafic de stupéfiants et vouée à la démolition. Pour la famille, c’est la double peine : des conditions de vie incertaines en termes de sécurité et un énième déménagement à l’horizon. La décision du service est prise d’appuyer son refus auprès de l’Etat et de continuer à l’accueillir. Quant à la réponse à la question de Mme Ilunga, elle m’est venue comme une évidence : “La personne qui vous propose cet appartement ne vous connaît pas, ni le quartier, ni l’immeuble en question. Son bureau se situe à 40 km d’ici. Cet appartement correspond en tout point à votre demande en termes de prix, de localisation et de surface.” Néanmoins, la réalité telle que nous la connaissons, Mme Ilunga et moi, est bien différente.

Autre exemple : Mme Ali élève seule son jeune enfant et vit à l’hôtel depuis plusieurs mois. Elle y a tissé un véritable réseau d’entraide. Elle a pu reprendre une activité professionnelle aux horaires décalés et faire garder son enfant par d’autres mamans de l’hôtel. Le SIAO (service intégré d’accueil et d’orientation) lui a proposé une place d’hébergement dans une autre commune du département. Eloignée de son réseau, cette femme n’arrivait plus à allier son insertion professionnelle et ses impératifs de garde d’enfant. Ce qui l’a amenée à démissionner.

Ces deux exemples illustrent clairement les conséquences d’une politique d’hébergement et de logement centralisée et déconnectée du terrain. Celle-ci devait permettre de gagner en équité de traitement. Mais elle intervient dans un contexte de forte précarisation des publics(2) et d’explosion des budgets dédiés à la prise en charge des ménages sans domicile(3). Le marché locatif est, par ailleurs, en forte tension en Ile-de-France. Pour les ménages, le prix d’un logement privé est excessif, l’accès à la propriété quasi impossible, et les logements sociaux restent en nombre insuffisant (2,2 millions de demandes en attente). Les dispositifs de mise à l’abri, d’hébergement et de logement intermédiaire sont particulièrement sollicités et, depuis plusieurs années, les réponses apportées par les différents acteurs concernés (Etat, région, département) sont multiples.

Pour le logement social, cet objectif de centralisation et d’équité des demandes s’est opéré en 1998, avec la loi de lutte contre les exclusions. Dans un premier temps, il s’est concrétisé par la création d’un “numéro unique” identifiant chaque demandeur de logement social et permettant son enregistrement dans un fichier départemental. En 2011, il a été remplacé par le “système national d’enregistrement”, permettant aux demandeurs de déposer une seule demande de logement social valable pour l’ensemble des bailleurs.

Pour l’hébergement, cette politique centralisée s’est concrétisée en 2009, lorsque Benoist Apparu, secrétaire d’Etat chargé du logement et de l’urbanisme, a présenté l’hébergement comme “un système éclaté, non régulé, en incapacité de maîtriser les flux d’entrée et de garantir une sortie vers le logement”. Ainsi, par une circulaire du 8 avril 2010, il a créé dans chaque département les SIAO, qui ont pour mission de regrouper l’ensemble des offres de mise à l’abri (via la gestion du numéro d’appel du 115), d’hébergements (d’urgence, d’insertion…) et de logements intermédiaires (Solibail, foyers de jeunes travailleurs, pensions de famille) financé par l’Etat.

A cette politique de centralisation et d’équité de traitement des demandes est associée une autre notion, celle de “fluidité des parcours”. Pilotée par le SIAO, elle s’exerce par une pression vers une entrée et une sortie rapides des structures d’hébergement. Or comment comprendre cette volonté de fluidité des parcours dans un contexte de tension dans l’attribution des places, où les demandes dépassent ostensiblement les offres ? On peut supposer qu’elle ne peut s’exercer que par une politique de “mobilité territoriale” qui incite les ménages sans domicile à une “flexibilité”, au nom du “principe de réalité” tel qu’argumenté par une directrice de SIAO : “Quand des familles demandent à vivre à Montévrain et que, dans l’accompagnement, on ne leur explique pas la réalité du logement dans une ville du Val d’Europe alors qu’elles sont au RSA, on les leurre, on leur ment, elles n’accéderont pas au logement dans ce secteur ! Si on ne veut pas perdre la capacité de la personne à se reloger, on ne la met pas dans la réalité du logement.” Est ainsi opposée au “désir” des ménages la “réalité” du logement en Ile-de-France qui a pour conséquence de contraindre les ménages sans domicile à faire le deuil d’un lieu de vie désiré pour accéder à un logement pérenne ou pour ne pas mettre en péril leur prise en charge d’hébergement.

Effets délétères de la mobilité territoriale

Auparavant, l’aide pour l’accès à l’hébergement ou à un logement social était territorialisée. Chaque travailleur social ou chaque service nouait des partenariats avec des structures d’hébergement ou des bailleurs sociaux. Ce travail partenarial permettait une orientation individualisée des ménages, bien souvent localisée dans le secteur d’intervention du travailleur social. C’est ce qu’explique cette responsable d’établissements en Seine-et-Marne : “Il y avait une première demande à la mairie qui permettait d’avoir un numéro d’inscription. On pouvait envoyer des dossiers de demande auprès de chaque bailleur, et avoir deux-trois propositions. On avait des liens directs. On participait à certaines de leurs commissions (sur les expulsions, sur les attributions de logement, etc.).”

Cette connaissance du territoire s’apparente à ce qu’Alexandre Moine et Nathalie Sorita appellent une “expertise du territoire vécu”(4). Pour eux, cette expertise portée par les travailleurs sociaux permettait une personnalisation des orientations qui réduisait les risques de ce qu’ils analysent comme une “impersonnalisation” des réponses. Ainsi, une des conséquences de la politique de logement et d’hébergement centralisée actuelle est “une tendance au développement d’une pensée technique et irréaliste du savoir territorial, c’est-à-dire une pensée qui n’intègre pas ou peu les expertises des territoires vécus”.

Le “principe de réalité” complique la conciliation entre fluidité des parcours et attachement au territoire. Ce qui peut contraindre les ménages à changer plusieurs fois de type et de lieu d’hébergement et, de fait, de commune, d’association, de travailleur social. Cela les amène à perdre leurs repères et à développer un sentiment d’“insécurité résidentielle” qui se caractérise par des parcours résidentiels jalonnés de ruptures : du territoire, des liens, des réseaux de soutien… Et, par conséquent, la possibilité d’une insertion sociale réussie s’éloigne, comme le souligne Claire Hédon, défenseure des droits : “Le droit à un logement convenable détermine souvent l’accès aux autres droits fondamentaux comme l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé. C’est un des pivots des autres droits.”

Alors que, pour les ménages aisés, les déplacements sont une richesse, pour les ménages plus fragiles, ils peuvent représenter à l’inverse un handicap à l’insertion sociale. Les conséquences de cette politique d’instabilité résidentielle sont confirmées par les résultats d’une étude de 2014 du Samusocial de Paris : “Les familles sont exposées à une forte mobilité résidentielle, souvent imposée et non préparée, qui complique considérablement leur accès aux institutions, aux services sociaux, à l’école, ou encore à la santé. Les indicateurs de santé retenus sont d’ailleurs alarmants, que l’on s’intéresse à la santé physique, à la santé mentale ou encore au recours aux soins (…). Ces premières analyses dressent donc un tableau assez sombre, qui appelle des réformes claires du système d’hébergement, au premier rang desquelles figure la limitation de l’instabilité résidentielle.”

En Europe, la Finlande semble être un exemple. Elle apparaît comme le seul pays qui réussit à réduire fortement le nombre des sans-abri. Elle a massivement construit des logements sociaux réservés en priorité aux ménages sans domicile, et complété sa stratégie en la matière par un accompagnement social soutenu et adapté. Cette politique, qui conjugue logement pérenne, sécurité résidentielle et accompagnement social, si elle était appliquée en France, aurait ainsi pour autre mérite de réellement placer les ménages sans domicile “au cœur des dispositifs”, comme le prévoit la loi n° 2002-2 rénovant l’action sociale(5). »

Notes

(1) Les noms ont été remplacés.

(2) Selon la Fondation Abbé-Pierre, le nombre de SDF a doublé depuis 2012, passant à 300 000.

(3) Les crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ont augmenté de 45 % en cinq ans et ont atteint 2,1 milliards d’euros en 2019.

(4) Travail social et territoire. Concept, méthode, outils, A. Moine et N. Sorita – Ed. Presses de l’EHESP, 2015.

(5) La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a fixé de nouvelles règles relatives aux droits des personnes. Elle réaffirme la place prépondérante des usagers, entend promouvoir l’autonomie, la protection des personnes et l’exercice de leur citoyenneté.

Contact : celinedasilvaresende@hotmail.fr

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