Ils n’ont pas choisi de naître en Irak ou en Syrie. Ils n’ont pas non plus choisi de grandir dans des camps au Moyen-Orient. Depuis plusieurs mois, le rapatriement des enfants de parents djihadistes fait débat en France. Cette situation inédite peut néanmoins rappeler que, tout au long du XXe siècle, des gamins nés au cours de conflits n’ont pas trouvé facilement leur place dans les sociétés d’après-guerre. Fruit de rencontres au sein de populations a priori ennemies – telles les « poussières de vie » nées entre 1960 et 1975 de Vietnamiennes et de soldats américains –, ils portent en eux la trace d’amours interdites.
Le sort des enfants nés de parents franco-allemands pendant la Seconde Guerre mondiale est révélateur de ces tabous : beaucoup ont attendu les années 2000 pour retrouver la trace de leurs familles de part et d’autre du Rhin. Cela concerne plusieurs dizaines de milliers de personnes, soit environ 5 % des naissances de la période en France. Pendant l’Occupation, malgré l’absence de près de 2 millions d’hommes français emprisonnés ou réquisitionnés pour le travail en Allemagne, la natalité n’a pas baissé dans l’Hexagone. L’explosion du nombre de naissances illégitimes dues aux contacts rapprochés entre soldats allemands et population française permet notamment de l’expliquer.
Lorsqu’une Française tombait enceinte d’un Allemand, il devenait difficile de cacher la liaison. L’avortement étant illégal, en France comme en Allemagne, une solution devait être trouvée : si l’infanticide a pu être pratiqué dans la clandestinité, nombre d’enfants ont été abandonnés ou placés en orphelinat. C’est dans ce contexte que le régime de Vichy a inventé l’accouchement sous X, institué par la loi du 2 septembre 1941. Certaines femmes, conseillées par la Ligue pour la protection des mères abandonnées, ont été orientées vers des pouponnières secrètes. Parmi elles, beaucoup furent punies à la Libération par des zélateurs qui leur ont rasé la tête. Rendue célèbre par une photographie de Robert Capa, Mlle A. a été victime de cette épuration sauvage à Chartres en août 1944 : emprisonnée pour trahison, interdite de visite, elle ne reverra son enfant que trois ans plus tard.
D’autres gosses, nés outre-Rhin à la suite de relations entre Allemandes et Français, ont fait l’objet d’une attention des autorités françaises qui souhaitaient, pour des enjeux démographiques, les rapatrier au plus vite. Une fois revenus sur le territoire national, ils furent placés en famille d’accueil ou dans des foyers de l’assistance publique. On a alors cherché à effacer toute trace de leur germanité en francisant leur nom et en leur donnant la nationalité française. Malgré tout, traités d’« enfants de boche », ils ont subi des moqueries à l’école et au sein de leurs propres familles. La prise en charge de leur souffrance psychologique a été quasi nulle. Vouloir effacer les traces laissées par les conflits est vain. Gageons que les « revenants » d’aujourd’hui puissent se construire et s’intégrer sans que ces traces ne les défigurent.