Comprendre et expliquer les méandres du cerveau. Si l’idée séduit, on ne sait paradoxalement que peu de choses du fonctionnement de cet organe essentiel du corps humain. Et si les neurosciences constituent un formidable progrès, leur instrumentalisation est dangereuse. Le comportement ne se réduit pas à un trouble du système nerveux détectable à l’imagerie médicale. Cela reviendrait à balayer l’histoire personnelle et familiale d’un individu, l’ensemble des ses interactions sociales. Après le « tout psychanalyse », le « tout neuronal » ! Il suffirait de s’appuyer sur les découvertes de l’exploration cérébrale pour repenser l’accompagnement et le rendre plus efficace.
Trop simple, selon Philippe Gabéran, l’invité de notre podcast SMS. Dans une société avide de performance, d’évaluation et de rentabilité, les neurosciences tombent à pic. Mais qu’apportent-elles au travail social, outre ce que les intervenants sociaux analysaient déjà empiriquement. Finalement, selon Xavier Bouchereau, chef de service en protection de l’enfance, les neurosciences mettent en exergue la justesse des constatations de terrain des professionnels (page 8).
Mais le créneau est porteur et les formations fleurissent. Quoi de plus attrayant que cette espèce de mode d’emploi du cerveau, de ses émotions, de ses blocages, de ses troubles affectifs et cognitifs ? Un revirement auquel beaucoup de travailleurs sociaux sont encore réfractaires mais qui complète leur formation initiale et facilite leurs pratiques (page 10). Gare, cependant, aux solutions prêtes à l’emploi. L’être humain est complexe, rappellent les professionnels. « La folie n’est pas seulement biologique, elle est aussi anthropologique, sociale… On est passé de la santé mentale à la santé comportementale », observe le psychiatre Patrick Landman (page 12).
L’exemple de l’autisme l’illustre. Les thérapies cognitivo-comportementales, fondées sur une rééducation intensive du cerveau, ont officiellement pris le pas sur les thérapies par la parole. A grand renfort de lobbying idéologique. A l’image de la lettre rédigée par la présidente d’Autisme France en soutien à la région Nouvelle-Aquitaine, la première à avoir mis en place des plateformes d’orientation et de coordination (POC), directement issues des neurosciences, dans les centres médico-psycho-pédagogiques précoces : « Les CMPP sont ce qui existent de pire dans le champ médico-social : sauf rares contre-exemples, leur incompétence est crasse, ils refusent de diagnostiquer, ils psychologisent tous les troubles des apprentissages, sont noyautées par la psychanalyse. » Un discours virulent teinté d’un esprit de revanche. Les neurosciences ou le nouveau credo.