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Le silence des adultes

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J’ai 2 ans et je ne veux pas aller chez tata Odile. Chaque matin, je me cramponne désespérément aux jambes de ma mère.

« Quel comédien cet enfant ! », dit la gentille nounou tout sourire. Et ma mère me laisse là, pleurant et hurlant.

J’ai 2 ans et plein de bleus un peu partout. « Il court partout et il tombe, c’est un vrai petit casse-cou ! », dit l’adorable tata mielleuse. Et mon père la croit, pourquoi en serait-il autrement ?

J’ai 2 ans et d’étranges marques sur les poignets et les chevilles. « Ce doit être les plis des chaussettes et les élastiques qu’il s’amuse à piquer à la petite Sophie. Quel garnement cet enfant ! », rit la parfaite nounou habituée aux mille et une bêtises des chérubins. Et mes parents partent sereins, je suis entre de bonnes mains.

J’ai 2 ans, un trauma crânien et une clavicule fracturée. La gentille nounou m’a attaché à la table de la cuisine pendant qu’elle partait faire ses courses, puis elle m’a tabassé à son retour.

« On trouvait ça bizarre que vous ayez choisi cette nounou, elle n’a pas bonne réputation », disent les collègues de mes parents.

« On entendait souvent le petit pleurer », témoignent les voisins.

« Je lui avais confié ma fille, je l’ai reprise au bout d’une semaine », se lamente une amie.

J’ai 2 ans et mes parents ouvrent enfin les yeux. Les pleurs, les bleus et les marques… Tout le monde savait, personne n’a rien dit. Mes parents font comme les autres, ils se taisent. Parce que la nounou est la femme d’un collègue. Parce qu’elle va perdre son travail. Parce qu’ils s’en veulent de n’avoir rien vu. Parce que… j’en sais rien moi, j’ai 2 ans.

J’ai 12 ans et je suis un petit gros mal dans sa peau. Au collège, la vie est dure et les insultes fusent : « Binoclard à tête de lard ! », « Grosse bulle à pustules ! »

Le p’tit gros à lunettes et à boutons est la proie idéale des ados moqueurs. Tout va crescendo. Quolibets pour commencer. Stylos cachés, livres déchirés, chaussures volées. Bousculades dans l’escalier.

J’ai 12 ans et je suis devenu le souffre-douleur de mon quartier. En principe, à ce stade de l’histoire, les adultes entrent en scène pour défendre le pauvre gosse opprimé. Pas cette fois. La journée, les parents sont au boulot. Le soir, ils boivent, et ils ne sont pas très disponibles pour écouter les « petits problèmes » du fiston. La relation parents-enfants est soluble dans le whisky, c’est ce que j’apprends assez vite.

Heureusement, il y a le prof de sport. C’est lui qui recueille mes confidences, qui me console dans le vestiaire. C’est lui aussi qui m’enlace gentiment. Trop gentiment.

J’ai 12 ans et le seul adulte en qui j’avais encore confiance vient de m’anéantir. Je n’en parle pas. Parce que je n’ai personne à qui me confier. Parce que mes parents ne me croiront pas. Parce que je ne mérite rien de mieux. Parce que… j’en sais rien moi, j’ai 12 ans.

J’ai 50 ans et je ne veux pas me cacher derrière le silence complice. Je veux et je dois être un adulte digne de ce nom. Pour ce petit de 2 ans, cet autre de 12 ans, pour moi, pour eux.

La minute de Flo

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