« Mettre fin aux iniquités territoriales au moyen d’un tarif socle. L’intention est louable mais en l’état, plusieurs points de vigilance se présentent.
Tout d’abord, le tarif socle à 22 € vise à augmenter les ressources des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad). Cependant, son inscription dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) conduit à une confusion entre le tarif des allocations de compensation de perte d’autonomie (allocation personnalisée d’autonomie, APA, et prestation de compensation du handicap, PCH) et la tarification horaire des services. En effet, instaurer ce tarif socle via un nouvel article (code de l’action sociale et des familles [CASF], article L. 314-2-1) placé dans la “Section 1 – Règles de compétences en matière tarifaire”, à la suite des articles sur les autorités de tarification (article L. 314-1) et sur les formes de tarification (article L. 314-2), revient à faire de l’APA et de la PCH des éléments de tarification, et donc de financement public direct des Saad, sans distinction d’habilitation. Nous perdons ainsi le sens même de ces deux allocations, visant à solvabiliser les personnes pour leur permettre d’avoir accès à un dispositif de compensation de la perte d’autonomie.
D’autre part, le chiffre de 22 € représente un montant très inférieur au coût de revient de l’heure d’intervention, que l’étude nationale des coûts puis le rapport “Libault” situaient à 24,24 € il y a deux ans. Un coût plus élevé encore aujourd’hui, surtout pour les Saad associatifs qui appliquent l’avenant 43 à la convention collective depuis le 1er octobre. Fixer un tarif national inférieur au coût réel équivaut à valider légalement la sous-tarification des services. Quelle entreprise, quel professionnel, dans tout autre domaine accepterait de travailler en dessous du coût de revient ? Rappelons qu’une heure d’intervention à domicile requiert une évaluation de la situation à domicile, une coordination avec les autres professionnels de santé (médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, hôpital…), une organisation des plannings, des temps de coordination avec le service de soins infirmiers à domicile (Ssiad). En ajoutant les coûts de structure, le prix de l’heure d’intervention à domicile n’est pas celui du seul intervenant. Les échanges tout à fait nécessaires dans le cadre de diverses plateformes de coordination sont autant de temps de travail. Il faut donc objectiver la réalité du coût d’intervention qui semble toujours trop élevé et prendre en compte tous les paramètres.
On nous objecte que c’est déjà un pas, et que pour aller au-delà, il faut trouver le financement. Certes, mais c’est bien tout l’enjeu d’une politique de l’autonomie pour laquelle une loi structurante était attendue, et dont nous avons tous regretté l’abandon. Le rapport “Vachey” de 2020, puis celui du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en mars, ont tracé des pistes de financement pour la branche “autonomie”, restées lettre morte. Revisiter les dispositifs de financement s’impose si on veut une politique permettant un véritable choix pour les personnes quant à leur lieu et leur mode de vie, avec notamment des services médico-sociaux à domicile structurés, de qualité, et solides économiquement.
De plus, le PLFSS prévoit un même tarif socle pour tous les services, habilités et tarifés ou non. Or les services non habilités auront la possibilité de facturer un reste à charge extra-légal au-delà de 22 €, ce que les services habilités et tarifés ne pourront réaliser. En d’autres termes, le Saad non tarifé aura le même financement public, mais il pourra avoir des ressources supplémentaires car il conserve sa liberté des prix. Ressource supplémentaire qui sera dynamique car évoluant selon le dispositif d’encadrement des prix de l’article L. 347-1 du CASF, contrairement au Saad habilité qui sera limité et gelé à 22 € sans aucun dispositif d’évolution. Un tel schéma ne peut qu’amener les structures à sortir de la tarification afin de pouvoir équilibrer leur budget, d’où un risque de sous-consommation des plans d’aide du fait du poids du reste à charge pour les personnes aidées. Un autre risque réside dans la possible dérégulation des politiques départementales de solidarité.
Lors de sa présentation du PLFSS, le Premier ministre a dit vouloir des Saad “viables économiquement, attractifs et accessibles financièrement”, déclaration à laquelle l’UNA souscrit pleinement. Si le tarif socle participe en partie à la viabilité économique, sous réserve des paramètres de la dotation complémentaire, si l’attractivité, nous le constatons, est une préoccupation du gouvernement, il n’en demeure pas moins qu’en maintenant Saad tarifés et non tarifés, la question de l’accessibilité financière reste entière à l’heure où, selon la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 47 % des bénéficiaires de l’APA renoncent à tout ou partie de leur plan d’aide.
Par ailleurs, l’APA étant assortie de plafonds mensuels, une augmentation du tarif horaire à 22 € entraînera mathématiquement soit la saturation des plans d’aide, soit la diminution des heures de prestation pour rester dans le même volume financier mensuel. Le rehaussement du plafond de l’APA, parfois évoqué, est sans doute nécessaire, mais nous savons aussi que, pour rester dans leur étiage budgétaire, les départements risquent de diminuer les plans d’aide, comme beaucoup l’ont fait après la loi “ASV” (adaptation de la société au vieillissement).
Certes, une “bonification qualité” est envisagée, sans que ses modalités soient précisées. Les critères évoqués (continuité de service le soir et le week-end, retours d’hospitalisation…) décrivent précisément les actions déjà réalisées par nos services médico-sociaux à domicile habilités. Il nous semble évident qu’accompagnant des personnes fragilisées par l’âge, le handicap ou la maladie, notre mission doit être de prendre en compte tous les paramètres, y compris la continuité de service. C’est la logique des Spasad aujourd’hui, celle demain des services autonomie. Il ne saurait donc être question de parler de “bonification qualité” pour ce qui est de l’ordre du fonctionnement normal des services, d’autant que le terme même de “qualité” amène une confusion avec la certification qualité, y compris pour les usagers. C’est pourquoi nous proposons que cette bonification soit intégrée au tarif socle des seuls services habilités et tarifés – comme proposé par le rapport “Libault” –, qui s’engagent de fait sur des missions de service public via les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom). Cela rétablirait un équilibre entre services tarifés et non tarifés, et corrigerait les écueils évoqués précédemment. Nous aurions ainsi deux tarifs socles : l’un à 22 € pour les services non habilités, et l’autre à 25 € pour les services habilités.
Enfin, un certain nombre de départements ont pris la mesure du coût des services, contractualisant depuis plusieurs années au-dessus de 22 €, malgré leurs contraintes budgétaires. Il est surprenant de voir le gouvernement voler au secours des départements qui n’ont jamais voulu faire d’efforts, en prenant en charge, via la branche “autonomie”, le différentiel entre leur tarif actuel et 22 €, alors que rien n’est prévu pour les départements vertueux ! Nous déplorons tous les iniquités territoriales, nous constatons combien le droit des personnes à une compensation de la perte d’autonomie et à une prise en charge de qualité diffère selon le département où elles choisissent de vivre. Ces disparités ne sont pas toujours liées à la richesse fiscale des départements, les chiffres le montrent. La volonté d’assumer pleinement la compétence de chef de file de l’autonomie, dont on sait qu’elle a sa pertinence du fait de la proximité des acteurs, conduit à des choix politiques volontaristes. Il serait regrettable que, partant de l’idée d’aider les départements, le PLFSS aboutisse à une régression des politiques les plus dynamiques.
Ainsi, certes, le tarif socle constitue-t-il un progrès, mais à condition de revoir certains articles du PLFSS pour éviter des effets contraires à l’intention du législateur. Ce tarif ne saurait révolutionner un secteur en attente d’une loi forte permettant d’avoir les moyens d’affronter les défis à venir. »
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