« Il arrive que des éducs soient débordés par des jeunes. Quand on a perdu l’autorité, que la relation est brisée, c’est compliqué. Il faut passer le relais à un autre professionnel. Tout travailleur social peut être confronté à cette situation un jour ou l’autre », témoigne sans fard Ali Ghoul, de l’association de prévention spécialisée Itinéraires à Lille. Selon lui, l’autorité se noue en partie dès les premières rencontres, déterminantes. « Ça colle ou ça ne colle pas, et le jeune s’en souviendra. Ce qui suppose, pour le professionnel, d’être dans de bonnes conditions psychologiques, prêt à accueillir. L’autorité ne se décrète pas. Mais elle s’exprime par la posture du professionnel, dans sa capacité à entrer en relation, à poser un cadre et à sécuriser la personne accompagnée. » Dans ce service, la libre adhésion demeure la règle. Ce qui n’est pas le cas dans le cadre de la prévention de la radicalisation, dont il dirige l’équipe mobile de l’association. « Le plus souvent, les parents vivent mal la conversion. Notre objectif consiste alors à apaiser les tensions familiales. L’autorité s’exerce en douceur pour maintenir le lien, en sachant que les familles nous perçoivent comme des personnes aidantes, explique Ali Ghoul. Si les parents sont eux-mêmes dans une posture radicale, notre mission est de rappeler le cadre d’exercice de leur pratique religieuse dans les valeurs de la République. »
Le lien est un des fondements de l’autorité. Educatrice spécialisée à l’association Horizon jeunesse, à Nantes, Chantal Clément en est convaincue. « Le cadre institutionnel, d’abord, pose les règles de l’accueil et la légitimité de l’intervention. L’essentiel se joue ensuite dans la rencontre. A nous de repérer la singularité du jeune, ses compétences et ses failles, pour le prendre en compte dans sa globalité, et de construire une relation fondée sur la confiance. » Le jeune cherche à éprouver le lien ? « Il faut savoir le prendre en compte, sans se lancer dans une bataille avec lui, mais en proposant des alternatives. L’idée, c’est qu’il puisse être acteur de sa vie. » Ce qui ne dispense pas de discuter les éventuels dérapages. Quitte à appliquer, en dernier recours, une sanction. « Il est important d’apporter des réponses en fonction des faits et que le jeune fasse bien le lien avec l’acte. Pour qu’elle soit comprise, la sanction doit être mise en mots et partagée avec le jeune. » Parce que l’autorité est un sport d’équipe, elle est sans cesse discutée entre les professionnels des structures, au sein des réunions éducatives et des analyses de pratique.
« La notion d’autorité trouve sa place naturellement auprès de la personne quand on est rassurant. Mais pour l’être, il faut aussi être rassuré par sa structure et son fonctionnement », explique Catherine Couvreur, de l’association des Petits Frères des pauvres. Elle intervient à la Maison Yersin, à Paris, auprès de personnes en grande exclusion. « Au moment de l’admission, on est précis et ferme sur les règles de vie, les services et la manière dont on en dispose. Lorsqu’on travaille la réinsertion, on cherche à valoriser la capacité à faire soi-même, à autonomiser la personne. L’autorité passe par une confiance mutuelle. Mais aussi par la contenance. Il ne faut pas avoir peur de fixer des limites. Le faire non pas comme un petit pouvoir, mais dans le respect d’un cadre strict, est aussi une manière de rassurer. »
A la mission locale de La Marne-aux-Bois (Seine-Saint-Denis), la conseillère en insertion sociale et professionnelle Cathie Arnould est référente du dispositif « garantie jeunes ». A ce titre, elle peut suspendre l’allocation d’une personne. Un pouvoir qu’elle exerce peu et qui ne lui fait pas perdre de vue ses missions de travailleur social. « Je suis là avant tout pour conseiller, orienter, en m’adaptant au profil de chacun. Mon rôle est aussi de ne jamais être dans la toute-puissance et de me mettre à la hauteur de la personne. »