En France, les relations entre les employeurs et les salariés reposent sur de nombreuses sources juridiques aussi diverses que variées et en constante évolution. En effet, en pratique, le droit du travail est une matière extrêmement mouvante.
Afin de comprendre l’articulation entre ces différentes sources légales, réglementaires et jurisprudentielles, notre dossier va en dresser succinctement un panorama. Il reviendra ensuite sur l’ensemble des normes nationales et européennes afin de déterminer les modalités d’articulation spécifiques en droit social.
La Constitution du 4 octobre 1958 ne prévoit aucune disposition particulière en matière de droit social. Elle donne toutefois compétence au législateur pour fixer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale (Constitution, 4 octobre 1958, art. 34).
Contrairement à la Constitution de la Ve République, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui appartient également au bloc de constitutionnalité et dispose par là même d’une valeur constitutionnelle, met en avant plusieurs principes de droit social. Ainsi à titre d’illustration, l’alinéa 6 consacre la liberté syndicale et l’alinéa 7 s’intéresse au droit de grève.
De surcroît, les dispositions légales et réglementaires inhérentes au droit du travail sont regroupées au sein du code du travail. L’architecture de ce code a été modifiée par la loi « travail » du 8 août 2016. Cette dernière a notamment mis en place pour certains thèmes un nouveau triptyque composé de la façon suivante :
• ordre public : les règles impératives auxquelles il n’est pas possible de déroger même par accord collectif ;
• négociation collective : les dispositions qui peuvent faire l’objet d’un accord ;
• dispositions supplétives : les dispositions qui s’appliquent aux salariés en l’absence d’accord collectif.
En outre, les décisions des différentes juridictions françaises, qui forment « la jurisprudence », sont une source extrêmement présente et importante en droit du travail. La jurisprudence, notamment par la voix de la Cour de cassation, permet dans certaines situations de préciser et d’interpréter les règles de droit posées par le code du travail. Les décisions les plus importantes sont insérées au sein du code du travail en dessous des articles correspondants.
Les conventions et accords collectifs constituent également une source importante en droit du travail. Ce sont des actes négociés et conclus entre un employeur ou un groupement d’employeurs et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives de salariés qui permettent de fixer d’un commun accord des mesures en matière de droit du travail. Ils peuvent être conclus à plusieurs niveaux :
• national ;
• branche d’activité ;
• groupe ;
• unité économique et sociale ;
• interentreprises ;
• entreprise ;
• établissement.
Ces conventions et accords ont une place importante dans la hiérarchie des normes. Ils s’appliquent à l’ensemble des salariés et des employeurs qui entrent dans le champ d’application du texte, par signature, adhésion ou encore par le biais d’une organisation syndicale représentative.
Enfin, le droit du travail peut trouver sa source dans les usages et engagements unilatéraux. A le caractère d’usage, toute pratique qui est à la fois constante, générale et fixe. En d’autres termes, il s’agit d’une mesure qui octroie des droits au salarié et qui a été répétée dans le temps. Les usages peuvent exister dans les entreprises mais également dans les branches d’activité. On peut notamment prendre l’exemple d’une prime de Noël versée par un employeur qui n’est pas prévue par un accord collectif de branche ou d’entreprise et que l’employeur a mise en place de sa propre initiative.
Les usages revêtent un caractère obligatoire et s’imposent aux employeurs. En revanche, ces derniers peuvent y renoncer par le biais d’une dénonciation. La validité d’une dénonciation suppose, d’une part, d’informer les représentants du personnel, les salariés individuellement et, d’autre part, de respecter un délai de préavis raisonnable afin de laisser la possibilité éventuellement de négocier.
Les relations internationales ont connu une accélération au XXe siècle à la suite des deux conflits mondiaux, donnant notamment naissance à plusieurs organisations internationales. Ces transformations se sont observées à l’échelle mondiale avec la création en 1945 de l’Organisation des Nations unies, mais également à l’échelle continentale avec la mise en place du Conseil de l’Europe en 1949, ou encore de la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951.
Le Conseil de l’Europe comme l’Union européenne, qui a succédé à la Communauté économique européenne, partagent des valeurs fondamentales communes touchant notamment aux droits de l’Homme et à la démocratie. Ces deux entités supranationales exercent des missions distinctes qui s’avèrent parfois complémentaires. Le Conseil de l’Europe a à cœur de promouvoir les droits de l’Homme. Son action consiste à mettre en place des normes minimales dans différents domaines – comme le droit du travail – et d’en assurer la bonne application par les Etats membres. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont ainsi mis en place en 1950 la Convention européenne des droits de l’Homme.
L’Union européenne prend également comme référence les droits de l’Homme qui constituent « une composante essentielle de ses processus d’approfondissement de l’intégration politique et économique »(1). L’Union européenne s’appuie sur plusieurs outils juridiques comme les traités, les règlements ou encore les directives – l’ensemble constituant le droit communautaire, qui s’impose aux Etats membres de l’Union. Lors de leur élaboration, elle s’inspire notamment du Conseil de l’Europe.
Depuis leur création au milieu du XXe siècle, les deux organisations ont mis en place des ordres juridiques distincts qui viennent s’articuler avec l’ordre juridique interne français. L’Union européenne a ainsi confié le pouvoir de faire respecter le droit communautaire dans l’ensemble de l’Union à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), devenue, à la suite du Traité de Lisbonne de 2007, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), installée à Luxembourg. De son côté, le Conseil de l’Europe a instauré en 1959 la Cour européenne des droits de l’Homme, dont le siège est à Strasbourg. En conséquence, chacune possède ses propres normes juridiques dont le respect et les effets sont protégés par des juridictions supranationales autonomes.
Par principe, dans la hiérarchie des normes, la loi se situe au-dessus des accords collectifs. Toutefois, en pratique, on observe certaines exceptions. Il convient pour cela de distinguer l’ordre public absolu et l’ordre public social.
Certains domaines du droit du travail appartiennent à l’ordre public absolu. En d’autres termes, cela signifie que les accords collectifs ne peuvent absolument pas déroger à la loi dans ces domaines spécifiques.
A noter : Dans ces domaines, les dérogations ne sont pas possibles qu’elles soient moins favorables ou plus favorables au salarié.
A titre d’illustration, il est impossible de négocier et de déroger à la loi sur les critères de validité d’un accord d’entreprise (code du travail [C. trav.], art. L. 2232-12) ou encore sur le critère de l’audience électorale pour apprécier la représentativité d’un syndicat (C. trav., art. L. 2122-1).
L’ordre public absolu ne doit pas être confondu avec l’ordre public social qu’on appelle également « principe de faveur ». Ce dernier permet à un accord collectif de comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales (C. trav., art. L. 2251-1).
A noter : Il convient toutefois de vérifier que les domaines ne relèvent pas de l’ordre public absolu.
Un accord collectif peut donc accorder plus de 5 semaines de congés payés par an aux salariés sur le fondement du principe de faveur.
La loi du 8 août 2016 puis les ordonnances du 22 septembre 2017 ont réorganisé l’articulation entre les accords d’entreprise et les accords de branche autour de trois « blocs ».
Le législateur recense une liste de domaines, le « bloc 1 », dans lesquels l’accord de branche prévaut systématiquement. Cette liste regroupe les thèmes suivants (C. trav., art. L. 2253-1) :
• les salaires minima hiérarchiques ;
• les classifications ;
• la mutualisation des fonds de financement du paritarisme ;
• la mutualisation des fonds de la formation professionnelle ;
• les garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ;
• les mesures énoncées à l’article L. 3121-14, au 1° de l’article L. 3121-44, à l’article L. 3122-16, au premier alinéa de l’article L. 3123-19 et aux articles L. 3123-21 et L. 3123-22 du code du travail et relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires ;
• les mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire énoncées aux articles L. 1242-8, L. 1243-13, L. 1244-3, L. 1244-4, L. 1251-12, L. 1251-35, L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail ;
• les mesures relatives au contrat à durée indéterminée de chantier ou d’opération énoncées aux articles L. 1223-8 et L. 1223-9 du code du travail ;
• l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
• les conditions et les durées de renouvellement de la période d’essai mentionnées à l’article L. 1221-21 du code du travail ;
• les modalités selon lesquelles la poursuite des contrats de travail est organisée entre deux entreprises lorsque les conditions d’application de l’article L. 1224-1 ne sont pas réunies ;
• les cas de mise à disposition d’un salarié temporaire auprès d’une entreprise utilisatrice mentionnés aux 1° et 2° de l’article L. 1251-7 du code du travail ;
• la rémunération minimale du salarié porté, ainsi que le montant de l’indemnité d’apport d’affaire, mentionnée aux articles L. 1254-2 et L. 1254-9 du code du travail ;
A noter : On précisera toutefois que dans ces domaines spécifiques, il est possible de conclure un accord d’entreprise, à condition qu’il comporte « des garanties au moins équivalentes ». Afin d’apprécier l’équivalence, il convient de se rapporter à l’ensemble des garanties qui se rapportent à la même matière (C. trav., art. L. 2253-1).
De surcroît, le code du travail précise que dans les matières relevant du « bloc 2 » l’accord de branche prime uniquement si une clause expresse le prévoit. les domaines relevant de ce bloc sont les suivants (C. trav., art. L. 2253-2) :
• la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels énumérés à l’article L. 4161-1 ;
• l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ;
• l’effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés, leur nombre et la valorisation de leurs parcours syndical ;
• les primes pour travaux dangereux ou insalubres.
A noter : Comme pour le bloc 1, des accords d’entreprise peuvent être négociés dans ces domaines lorsque des garanties au moins équivalentes sont prévues.
Enfin, dans les domaines ne relevant ni du bloc 1 ni du bloc 2, que l’on appelle « bloc 3 », l’accord d’entreprise prime l’accord de branche (C. trav., art. L. 2253-3). L’accord d’entreprise peut donc mettre en place des dispositions plus ou moins favorables.
L’articulation entre un accord d’entreprise et un contrat de travail est régie par le principe de faveur. En d’autres termes, l’employeur doit appliquer au salarié la disposition la plus favorable pour lui.
A titre très exceptionnel, il convient toutefois de préciser que, via la conclusion d’un accord de performance collective, l’employeur peut de plein droit imposer des dispositions moins favorables au salarié en matière de rémunération, de durée du travail ou encore de mobilité (C. trav., art. L. 2254-2).
A noter : Les accords de performance collective sont négociés pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi.
Le dossier s’intéressera aux procédures applicables devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) puis à celles menées devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Lorsque les juridictions internes des Etats membres de l’Union européenne se trouvent confrontées à des difficultés d’interprétation ou de validité du droit européen – ou communautaire –, elles peuvent – et même dans certains cas doivent – formuler des recours préjudiciels devant la CJUE. Cette dernière procède alors à des éclaircissements pour permettre aux Etats d’appliquer correctement les normes européennes.
La recevabilité d’une question préjudicielle impose tout d’abord de remplir certaines conditions. Ce n’est que si elles sont remplies que l’Etat membre peut formuler sa demande à la Cour de justice pour qu’elle procède à l’analyse de la situation juridique.
Conformément à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), il existe deux types de renvoi préjudiciel : le recours préjudiciel en interprétation et le recours préjudiciel en validité.
• Le renvoi préjudiciel peut porter sur l’interprétation du droit de l’Union européenne. Sont alors concernés les traités fondateurs (notamment les Traités de Rome [1957], de Maastricht [1992], d’Amsterdam [1997], de Nice [2001], de Lisbonne [2007]), mais également la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Plus largement, ce recours en interprétation s’étend également aux accords internationaux auxquels l’Union européenne est partie (CJCE, 30 septembre 1987, aff. 12/86), à tous les actes appartenant au droit dérivé – règlements et directives – ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de justice.
• Le renvoi préjudiciel peut être effectué en vue de soumettre la validité d’un acte européen. Seuls les actes de droit dérivé peuvent relever de cette procédure. Ainsi ni les traités, ni les arrêts de la Cour de justice ne sont concernés (CJCE, 5 mars 1986, aff. 69/85). Il en est de même pour les actes de droit national qui relèvent directement de la compétence du juge national (CJCE, 17 juin 1999, aff. C-295/97).
Le renvoi préjudiciel en interprétation est obligatoire seulement pour les juridictions statuant en dernier ressort. En effet, « une juridiction statuant en dernier ressort constitue par définition la dernière instance devant laquelle les particuliers peuvent faire valoir les droits que le droit communautaire leur reconnaît » (CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01). Dans cette situation, l’objectif est donc d’instaurer une interprétation uniforme à l’égard de tous les ressortissants européens. Cependant, cette première obligation admet certaines exceptions très réduites. Le juge national n’est pas contraint de saisir le juge européen si ce dernier a déjà statué sur la même problématique ou lorsque sa jurisprudence permet de trancher la question (CJCE, 6 octobre 1982, aff. 283/81). Tel est également le cas quand « l’application correcte du droit communautaire s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » (CJCE, 6 octobre 1982, aff. 283/81). Dans ce cas de figure, la juridiction nationale doit « être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux juridictions des autres Etats membres et à la Cour de justice »(1) et elle est appelée à adopter le même raisonnement que la Cour en utilisant notamment sa méthode d’interprétation. Les conditions posées par le droit européen sont donc très strictes en pratique.
Par ailleurs, le renvoi préjudiciel en validation est obligatoire dès que le juge national se trouve confronté à une question de validité d’un acte européen (CJCE, 22 octobre 1987, aff. 314/85). Par conséquent, les juridictions nationales ne peuvent en aucun cas se référer à la jurisprudence constante de la Cour de justice et ne pas formuler de renvoi (CJCE, 6 décembre 2005, aff. C-461/03). Néanmoins, le renvoi ne s’impose pas automatiquement au juge national lorsqu’une partie soulève une difficulté (CJCE, 10 janvier 2006, aff. C-344/04). Ainsi, lorsqu’il n’a aucun doute raisonnable sur la validité de l’acte, le juge national peut rejeter les moyens formulés par les parties. Cette possibilité permet de proscrire toute demande dilatoire ou inutile qui viendrait engorger la Cour de justice.
Les renvois préjudiciels peuvent être effectués uniquement par des juridictions sous réserve qu’elles satisfassent à certaines conditions posées par le juge européen. Elles doivent être permanentes et indépendantes mais également d’origine légale et veiller au respect du principe du contradictoire (CJCE, 30 juin 1966, aff. 61/65). De plus, la question préjudicielle doit porter sur une affaire pendante devant la juridiction nationale et ne pas être simplement hypothétique puisque, à défaut, le juge européen pourra la déclarer irrecevable (ex. : CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-197/10). Il est également nécessaire que la problématique soit nouvelle. Enfin, conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour de justice, la demande de décision préjudicielle doit comporter « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce » et « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions ». Si tous ces critères sont remplis, l’Etat membre concerné peut ensuite procéder au recours préjudiciel.
La question préjudicielle peut résulter de la demande de l’une des parties au litige ou directement des juges nationaux. Si elle émane de l’une des parties cela constituera un incident de procédure. Dans cette hypothèse, le juge national est libre de faire droit ou non à la requête. Pour cela, il apprécie « la pertinence des questions de droit soulevées par le litige dont il se trouve saisi et la nécessité d’une décision pour être en mesure de rendre un jugement » (CJCE, 14 février 1984, aff. 278/82).
Si en revanche ce sont les juges nationaux qui ont l’initiative, avant de la poser, ils doivent se tourner vers les parties pour obtenir leurs observations. Par ailleurs, lorsqu’une question est posée, elle suspend la procédure nationale en attendant que la Cour de justice statue (statut de la Cour de justice de l’Union européenne, art. 23). Les parties peuvent également faire un recours, selon les conditions prévues par le droit interne, contre les décisions de renvoi préjudiciel (CJCE, 12 février 1978, aff. 166/73).
La procédure du renvoi préjudiciel se déroule en deux étapes distinctes. Tout d’abord, conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice, dès que la juridiction nationale a saisi les juges européens, la demande est notifiée par le greffier de la Cour « aux parties en cause, aux Etats membres et à la Commission, ainsi qu’à l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée ». A partir de cette notification, les différents acteurs concernés peuvent, s’ils le souhaitent, dans un délai de 2 mois, formuler des observations écrites. Ensuite, s’ouvre une phase orale permettant aux différentes parties de présenter leurs observations et leurs remarques. De son côté, le juge européen examine la recevabilité de la demande de renvoi. Il est ainsi en droit de s’intéresser à des éléments non évoqués par le juge national (CJCE, 4 mars 1999, aff. C-87/97). Il peut également procéder à une rectification de la problématique posée (CJCE, 6 juin 1990, aff. 342/88) ou transformer une question d’interprétation en demande de validité (CJCE, 6 avril 2000, aff. C-393/98). Le rôle de la Cour porte uniquement sur l’interprétation ou la validité d’une norme européenne. En aucun cas le juge européen ne peut appliquer le droit européen au litige puisque cela relève de la compétence du juge national (CJCE, 8 février 1990, aff. C-320/88). Pour finir, après avoir rendu sa décision, le juge national ayant eu recours au mécanisme est tenu de la faire parvenir à la juridiction européenne pour qu’elle puisse en prendre connaissance.
La décision de la Cour de justice sur renvoi préjudiciel produit des effets importants. De jurisprudence constante, la Cour de justice précise que ses décisions ont un « effet rétroactif ». Toutefois, par exception, elle reconnaît certaines nuances à ce principe et accepte de moduler dans le temps les effets à condition que la situation admette « un risque de troubles graves » et une « bonne foi des milieux intéressés » (CJCE, 18 janvier 2001, aff. C-313/05). La limitation des effets nécessite donc l’existence de situations très particulières.
De surcroît, la décision du juge européen lie non seulement la juridiction nationale ayant formulé la demande (CJCE, 3 février 1977, aff. 52/76) mais également l’ensemble des juges des Etats membres de l’Union européenne (ex. : CJCE, 13 janvier 2004, aff. C-453/00). Elle a donc une portée erga omnes. En définitive, le renvoi préjudiciel instaure « une coopération judiciaire » (CJCE, 1er décembre 1965, aff. C-458/06) entre les juges nationaux et le juge européen visant à uniformiser l’application du droit européen sur le territoire de l’ensemble des Etats membres.
Contrairement à la Cour de justice, la Cour européenne des droits de l’Homme peut être saisie par les Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme ou par les citoyens dans le cadre d’un recours individuel. Le présent dossier s’intéressera plus particulièrement à la saisine individuelle.
Le recours porté par un citoyen devant la CEDH n’est recevable que s’il remplit certaines conditions.
Tout d’abord, le requérant doit être personnellement et directement victime de la violation qu’il allègue. De surcroît, il doit avoir épuisé l’ensemble des voies de recours internes. Ce principe de subsidiarité permet à un Etat d’avoir la possibilité de redresser une situation par le biais de ses recours internes avant de devoir répondre de ses actes devant un organe judicaire ou arbitral européen ou international. Cette règle impose donc en France d’agir au préalable devant les autorités nationales compétentes qu’elles soient administratives ou judiciaires. Il convient de préciser que la Cour ne s’est pas contentée d’une règle stricte qui pouvait rendre sa saisine difficile mais l’a reformulée par le biais de sa jurisprudence en imposant un recours « effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire […] accessible, […] susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentant des perspectives raisonnables de succès » (CEDH, grande chambre, 16 septembre 1996, requête n° 21893/93, Akdivar c/ Turquie, § 68).
De plus, la saisine de la Cour doit intervenir dans un délai de 4 mois suivant la dernière décision de justice concernant l’affaire. Avant le 1er août 2021, ce délai était de 6 mois.
Enfin, le requérant est tenu de prouver qu’il a subi un « préjudice important ». Cette notion a rapidement fait l’objet d’une interprétation par la Cour. Dans l’arrêt « Korolev c/ Russie », la Cour considère que le préjudice n’est pas uniquement entendu en son sens financier. Il peut simplement résulter d’une « importante question de principe » (CEDH, 27 juillet 2010, requête n° 59498/00, Korolev). En pratique, ce critère sera intimement lié aux circonstances factuelles.
Par principe, les arrêts européens s’imposent uniquement aux parties à l’instance et sont ainsi dépourvus d’effet erga omnes. Toutefois, en pratique, conformément aux éléments doctrinaux et jurisprudentiels, il semblerait que la portée de la jurisprudence s’étende au-delà des seules parties au litige.
La chose jugée correspond à l’« autorité attachée à un acte juridictionnel qui en interdit la remise en cause en dehors des voies de recours légalement ouvertes »(1). Elle peut être relative ou absolue. L’autorité de chose jugée « relative » a pour conséquence de créer des droits et des obligations uniquement aux parties à l’instance. Par opposition, l’autorité de chose jugée « absolue » produit des effets juridiques à l’égard de tous.
Au niveau européen, les auteurs sont divisés sur la nature de l’autorité de la chose jugée. Certains estiment qu’elle serait absolue ; cependant, pour la majorité de la doctrine, elle ne serait que relative. Ces derniers s’appuient sur une solution apportée en ce sens par la Commission européenne des droits de l’Homme (Com. EDH, 8 juillet 1980, n° 8778/79). En droit français, de jurisprudence constante, les juridictions internes comme le Conseil d’Etat (CE, 24 novembre 1997, n° 171929) rappellent que l’autorité de chose jugée des arrêts européens est seulement relative.
En principe, et conformément à l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’Homme, les Etats sont contraints de se conformer aux arrêts européens dans lesquels ils sont parties au litige. Par conséquent, la jurisprudence de la CEDH serait dépourvue d’effet erga omnes. A titre d’illustration, en principe, la France n’aurait pas à se soumettre aux arrêts rendus à l’égard d’autres Etats membres même si la législation litigieuse était semblable aux dispositions françaises. Selon certains auteurs, l’absence d’effet erga omnes reposerait sur le fait que le contrôle opéré par la CEDH est effectué in concreto et non in abstracto. En effet, lors d’un litige, pour effectuer leur contrôle, les juges prennent en compte les circonstances propres de l’Etat concerné, qui est de plus le seul àpouvoir défendre sa position. Dans ces conditions, il paraît justifié que seul cet Etat soit tenu par cet arrêt. Cependant, en réalité, la thèse de l’autorité relative de la chose jugée ainsi que l’absence d’effet erga omnes sont à nuancer.
La théorie de la chose interprétée des arrêts européens consiste à établir que les Etats non partie à l’instance seraient liés, d’une part, aux solutions dégagées par la jurisprudence de la CEDH et, d’autre part, à l’interprétation faite par la CEDH des dispositions de la Convention et de ses protocoles. Bien qu’une partie de la doctrine reste réticente face à cette thèse, elle prévaut depuis la fin des années 1970 et a été affirmée à diverses reprises. Pour certains auteurs, cette théorie constituerait « l’autorité propre de la jurisprudence de la Cour en tant que celle-ci interprète les dispositions de la Convention »(2). De plus, en 1978, la Cour a affirmé que « ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les Etats, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de parties contractantes » (CEDH, 18 janvier 1978, requête n° 5310/71). Quelques années plus tard, la juridiction strasbourgeoise est venue renforcer sa position en rappelant à un Etat membre qu’elle s’était déjà prononcée sur la non-conformité d’une disposition légale reposant sur le même fondement. Ainsi il aurait dû pouvoir en tirer les conséquences et faire cesser les atteintes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales (CEDH, 22 avril 1993, aff. 15070/89). Plus récemment, lors de la Déclaration d’Interlaken en 2010, il a été rappelé que les Etats doivent « tenir compte des développements de la jurisprudence de la Cour, notamment en vue de considérer les conséquences qui s’imposent suite à un arrêt concluant à une violation de la Convention par un autre Etat partie lorsque leur ordre juridique soulève le même problème de principe ».
En France, les juridictions judiciaires comme administratives tiennent compte de cette autorité de la chose interprétée. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent « respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » (Cass. ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-17049).
Le législateur autorise les employeurs et les partenaires sociaux à conclure des accords collectifs moins favorables que la loi dans certains domaines très spécifiques. Il est par exemple possible de négocier des dispositions moins favorables en matière de repos, de congés ou de durée du travail.
A titre d’illustration, par principe, il n’est pas possible de conclure des contrats dont la durée hebdomadaire est inférieure à 24 heures. Toutefois, un accord de branche étendu peut prévoir une durée moindre. Cette particularité est par exemple prévue par la convention collective des entreprises de services à la personne.
Le code du travail fixe une organisation spécifique qui trouve son origine dans le principe hiérarchique.
Ainsi les stipulations d’un accord de groupe peuvent se substituer aux stipulations ayant le même objet des accords d’entreprise ou d’établissement sous réserve d’être expressément prévues par une clause (C. trav., art. L. 2253-5).
De même, les accords interentreprises peuvent expressément prévoir une substitution par rapport aux accords d’établissement antérieurs et postérieurs (C. trav., art. L. 2253-7).
Enfin, conformément au principe hiérarchique, les accords d’entreprise peuvent se substituer aux accords d’établissement si une clause expresse le précise (C. trav., art. L. 2253-6).
Conformément aux articles L. 1121-1 et L. 1321-2-1 du code du travail, les employeurs peuvent insérer dans leur règlement intérieur une clause de neutralité sous réserve qu’elle soit justifiée par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et proportionnée au but recherché.
Les juridictions nationales et européennes ont été saisies de nombreux litiges dans ce domaine au cours des dernières années. Elles sont venues préciser les modalités d’appréciation des conditions légales mais également les compléter.
Dans son arrêt « Baby Loup », l’assemblée plénière de la Cour de cassation a indiqué que la justification de la cause doit être appréciée de manière concrète en tenant compte des conditions de fonctionnement et notamment de la taille de la structure ou de l’objet de l’activité (Cass. ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28369). Plus récemment, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que la clause de neutralité doit être générale et indifférenciée de sorte qu’elle doit interdire sur les lieux de travail le port de tout signe religieux, politique et philosophique sans effectuer de distinction (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19855). Il n’est donc pas possible de prévoir par exemple une clause qui viendrait réglementer seulement le port d’un signe religieux. De surcroît, la clause n’est valable que si elle est appliquée uniquement aux salariés se trouvant en contact avec les clients de la structure (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19855).
Par ailleurs, après avoir été saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction belge, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a également été amenée à se positionner sur la neutralité en entreprise. Le renvoi préjudiciel portait sur la demande d’interprétation d’une directive européenne également applicable en France. Elle est venue préciser que la clause de neutralité ne doit créer aucune discrimination directe ou indirecte. En ce sens, la CJUE retient l’existence d’une discrimination indirecte « s’il est établi que l’obligation, en apparence neutre, entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires » (CJUE, 14 mars 2017, n° C-157/15).
Par un arrêt rendu le 15 juillet dernier, la CJUE a complété sa jurisprudence, précisant qu’une règle interne d’une entreprise ou d’une association interdisant les signes distinctifs religieux, politiques ou philosophiques devait générer une interdiction générale, ne pouvant se limiter au port de signes « ostentatoires ou de grande taille ».
A noter : En pratique, une telle décision doit conduire à rendre l’interdiction de signes religieux ostentatoires en école (ex. : le port du voile) discriminatoire.
L’arrêt retient également pour la première fois la faculté d’interdire le port de signes distinctifs religieux dans l’hypothèse d’une prévention de risques de conflits sociaux et pour tous les salariés de l’entreprise, sans distinction des employés en contact avec la clientèle ou non (CJUE, 15 juillet 2021, n° C-804-18 et C-341-19).
La CJUE admet toutefois pour la première fois également, une marge d’appréciation nationale au regard des règles de droit interne à chaque pays membre.
L’impact en droit français devra donc être suivi avec attention.
(1) Conseil de l’Europe – « Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne : missions différentes, valeurs communes » – Disponible sur https://www.coe.int/fr/web/portal/european-union.
(1) S. Gervasoni – « CJUE et cours suprêmes : repenser les termes du dialogue des juges ? » – AJDA 2019, p. 150.
(1) S. Guinchard et T. Debard – « Lexique des termes juridiques » – Dalloz, 2014-2015, p. 175.
(2) J. Velu et R. Ergec – « La Convention européenne des droits de l’Homme » – Bruylant, 1990, n° 1237.