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Nommer la violence

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Mettant en lumière le caractère systémique de la pédophilie dans l’Eglise de France, le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) permet une relecture glaçante de l’histoire de cette institution depuis 1950. La volonté délibérée de cacher des actes criminels a contribué à l’invisibilisation d’une pratique trop bien installée depuis des décennies.

Très longtemps, la pédophilie n’est pas nommée, pas plus qu’elle n’est vue, d’abord, comme une agression sexuelle. Jusqu’aux années 1960, ce phénomène est avant tout lu selon une perspective morale, comme le montrent les archives judiciaires et celles de la presse. On parle d’atteinte aux mœurs, signe que la perturbation de l’ordre social paraît plus grave que le tort causé à l’enfant. Evoquer plus ou moins ouvertement ces affaires, c’est souvent condamner les victimes, notamment les jeunes filles, à vivre dans l’opprobre. Ce n’est qu’en 1994 que le code pénal évoque explicitement une agression sexuelle et adapte le régime des sanctions.

La mutation des sensibilités, comme dans de nombreux autres domaines, prend du temps. Au XVIIIe siècle, alors que le rapport à l’enfant évolue, la question du viol des mineurs émerge comme un problème, sans que des mesures soient véritablement mises en place. A partir de 1832, le code pénal sanctionne les relations entre adultes et enfants, même sans violence, partant du principe qu’un mineur ne dispose pas du discernement nécessaire pour consentir à un acte sexuel. Deux décennies plus tard, ces agressions sont plus fréquemment dénoncées, à en juger par l’augmentation significative de leur proportion dans les statistiques du ministère de la Justice. Le droit évolue lentement : à partir de 1863, il considère que l’atteinte sexuelle est aggravée dès lors qu’elle est commise par une personne qui a autorité sur le mineur : parent, religieux ou éducateur.

A la fin du XIXe siècle, moment où la protection de l’enfance se structure, la violence sur les mineurs commence à être dénoncée, sans que le caractère spécifique de l’agression sexuelle soit détaché des mauvais traitements. Dans leurs descriptions issues des examens des victimes de viol, les médecins légistes ne s’attardent d’ailleurs que sur les séquelles physiologiques. Pour eux, la souffrance psychologique n’existe pas. A la même période, l’essor de la presse permet de faire connaître certaines affaires. Ce sont surtout les journaux à scandale qui s’emparent de ces sujets, à l’instar du quotidien toulousain La Dépêche qui en 1910 relate des faits divers liés à des « attentats à la pudeur ».

La pédophilie n’existe donc que dans les non-dits et les silences. Dans les années 1970, la revendication de l’amour libre et la remise en question de l’ordre moral amènent certaines personnalités à se réclamer de cette « pratique ». D’un usage condamné, ils en font un acte de libération des corps et des désirs. Mais la parenthèse est vite refermée. A partir de la fin des années 1980, la pédophilie, phénomène médiatisé et unanimement dénoncé, apparaît même comme le crime suprême. Trente ans plus tard, le travail de la Ciase doit être une incitation pour les acteurs de la protection de l’enfance à mener leur mission avec détermination.

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