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De vol en vol

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Au petit matin, chaque jour, la même routine. Les policiers entrent dans les campements. Bottés, gantés, masqués. Sur leurs talons, les équipes de nettoyage. Bottées, gantées, masquées.

Et elles, armées de couteaux.

Au petit matin, chaque jour, ces hommes repartent avec des tentes dans les mains.

Au petit matin, chaque jour, d’autres hommes se retrouvent dépossédés de leur seul toit.

Au petit matin, chaque jour, méthodiquement, les membres des équipes de nettoyage plongent leurs lames d’acier dans les toiles, de bas en haut et de haut en bas.

Pour les éventrer. Pour les rendre inutilisables. Pour qu’elles n’abritent plus.

A la déchetterie, elles s’entassent. Pliées, cassées, les arceaux en l’air, comme une grosse toile d’araignée.

Pour le seul mois d’août, entre Calais et Grande-Synthe, au moins 450 de ces tentes ont été saisies et prédécoupées.

« Et si, d’un vol, on passait à un autre ? »

Quand l’idée fuse, lors d’une réunion d’associations et d’artistes à Calais, Anaïs et Ludovic, de l’association Shanti, la proposent aux habitants et à certains établissements scolaires du coin.

Ce jeudi après-midi, dans une salle du Channel, théâtre et lieu culturel de Calais, des élèves d’une classe de seconde sont assis. A leurs pieds, des petits bouts de toiles des tentes éventrées, inutilisables.

Vraiment ?

Khaled Hosseini a écrit : « C’était toujours pareil avec les cerfs-volants.

Vos pensées dérivaient en même temps qu’eux »(1). Et il a raison.

Ash, Wendy, Valentin, Juliette, Léa… Ils ont 15 ans, sont nés ici. Il y a quinze ans, on tentait déjà la traversée vers l’Angleterre. « Ils sont nés avec », sourit Veronika, leur prof. Sur les toiles de tente, ils écrivent, avec leurs mots. Juliette s’applique sur son petit bout de toile. « Liberté, Egalité, Fraternité », y inscrit-elle au feutre. Elle lève la tête pour voir ça de plus loin et admet que « le cerf-volant, c’est la liberté. Et puis c’est poétique ».

Oui, et ça vole aussi haut que les rêves des types qui traversent de nuit la mer froide.

C’est un petit bout de l’enfance. Celle-là même qui a été volée par la guerre ou la foudre de la pauvreté aux mômes de leur âge qui se retrouvent ici. Qui se retrouvent ici à dormir sous des tentes. Celles-là mêmes qui serviront demain de cerfs-volants et qui étaient hier éventrées, rendues inutilisables et qui n’abritaient plus personne.

Notes

(1) Les cerfs-volants de Kaboul, K. Hosseini (éd. Belfond).

Une saison en migrations

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