Environ Deux millions deux cents mille. C’est le nombre de demandeurs de logement social inscrits dans le système national d’enregistrement au 31 décembre dernier. Un chiffre en hausse de 20 % depuis 2013, tandis que le taux de croissance de la population générale s’établissait à 3 % sur la même période. Résultat : les délais d’attribution s’allongent. Ce qui pénalise une population déjà fragilisée, qui se paupérise par ailleurs. Les familles monoparentales sont surreprésentées parmi ces demandeurs, 70 % des ménages en attente d’un logement social ne comptant qu’un seul adulte, avec ou sans enfants. Trois quarts des requérants disposent de revenus qui leur permettent d’accéder à un PLAI pour les logements aux loyers les moins élevés destinés aux plus précaires (voir encadré), et plus de deux sur cinq vivent sous le seuil de pauvreté.
Face à cette demande en forte croissance, une politique de développement du logement social doit s’imposer. Représentants des bailleurs autant qu’associations partagent les mêmes constats, mais les politiques publiques qui permettraient de les dépasser restent embryonnaires. D’abord, la mise en œuvre de nouvelles constructions. On compte aujourd’hui 10 millions de Français vivant dans l’un des 4,7 millions de logements sociaux locatifs ou au sein d’un des 350 000 logements-foyers, situés pour moitié en Auvergne-Rhône-Alpes, en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France, autrement dit dans d’anciennes régions industrielles. Un tiers (30 %) sont implantés dans les quartiers prioritaires de la ville. Alors que huit demandeurs sur dix veulent rester au sein de la même agglomération, certaines zones sont en très forte tension, en particulier dans les Hauts-de-France, en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et en Ile-de-France.
Rien d’étonnant à cela : de nombreux obstacles continuent de freiner une meilleure corrélation entre offre et demande. La frilosité de certaines collectivités locales, d’abord, qui rechignent à voir des logements sociaux s’implanter sur leurs territoires, même si tous les acteurs du secteur saluent les avancées permises sur ce plan par la loi SRU de 2000. Le prix du foncier, ensuite, dissuasif dans les territoires les plus densément peuplés. Un nombre d’agréments en chute libre, enfin. Avec un chiffre de 87 501, l’année 2020 restera une année noire, bien qu’elle s’inscrive dans une décroissance régulière : 103 700 agréments ont été accordés entre 2017 et 2020, contre 114 200 entre 2014 et 2016. « En matière de logement, les postures des pouvoirs publics sont catastrophiques, commente Michel Platzer, chargé du département “logement” au sein d’ATD quart monde. Depuis une douzaine d’années, les aides de l’Etat, tant celles destinées aux personnes au travers des allocations personnalisées au logement que celles devant soutenir les bailleurs sociaux, subissent une récession systématique et de plus en plus forte. En 2010, les aides au logement représentaient 2,2 % du PIB. En 2019, restait 1,6 %. Une perte de 14 milliards d’euros. » Le seul soutien encore accordé aux bailleurs sociaux prend la forme d’une baisse de la TVA(1). Une mesure insuffisante, selon Michel Platzer, et qui les contraint à augmenter les loyers. Ce qui prive mécaniquement nombre de ménages de la possibilité de les payer, même s’ils peuvent prétendre aux loyers les moins élevés.
Insuffisante, l’offre de logements sociaux apparaît également inadaptée aux populations qui en ont besoin. « Il faut produire du PLAI de façon massive, et ce n’est pas ce qui est réalisé », observe Fabrice Moreau, président de la commission “habitat” de la Fédération des acteurs de la solidarité dans les Hauts-de-France, et responsable de l’antenne de Lille du Graal (Groupe de recherche pour l’aide et l’accès au logement). Se pose aussi la question de la qualité des propositions, et pas seulement de leur quantité, abonde Michel Platzer, d’autant que plusieurs années s’écoulent nécessairement entre des décisions prises dans ce domaine et leur concrétisation. Pour nombre de ménages, les possibilités de quitter l’hébergement d’urgence se restreignent, d’autant que les files actives regorgent de publics tous présentés comme prioritaires.
Malgré tout, les acteurs esquissent des pistes de travail pour améliorer la situation. A commencer par l’augmentation du nombre d’agréments. En plus des nouvelles constructions qu’elle espère, Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale de l’habitat, insiste sur la nécessité de réaliser des réhabilitations, en particulier pour supprimer les passoires énergétiques. Elle pointe la nécessité pour ces nouveaux logements de répondre aux moyens financiers des demandeurs. Tous les acteurs soulignent le caractère indispensable d’une programmation et d’une anticipation des besoins qui, précise Fabrice Moreau, s’opéreraient efficacement à l’échelle départementale. Un « travail dans la dentelle » d’autant plus adapté qu’il convient, ajoute-t-il, de plancher simultanément avec les collectivités locales sur les questions de transports et de mobilité afin de permettre aux personnes de vivre un peu plus à l’écart des grandes métropoles sans risquer de perdre toute possibilité d’insertion sociale et professionnelle.
Autre piste, selon lui, pour résoudre la difficile équation du logement social : présenter aux publics les solutions alternatives telles que l’intermédiation locative. Surtout, il préconise d’éviter en amont toutes les ruptures et expulsions, de tisser du lien entre bailleurs sociaux et partenaires associatifs et d’utiliser au mieux les données recueillies par les SIAO (services intégrés d’accueil et d’orientation), à ses yeux de précieux observatoires de l’offre et de la demande. « On peut produire des logements à gogo, prévient-il. Si l’on ne travaille pas sur les difficultés sociales et économiques actuelles, on ne résoudra pas le problème dans son entièreté. »
Au sein du logement social, les modes de financement des constructions déterminent le montant des loyers. Les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) financent les appartements à destination des publics les plus en difficulté. Puis viennent les habitations à loyer modéré (HLM), assurées par les prêts locatifs à usage social (Plus). Enfin, les allocataires ne pouvant prétendre à une HLM mais ne disposant pas de revenus suffisants pour être logés dans le privé peuvent demander une construction soutenue par le prêt locatif social (PLS) ou le prêt locatif intermédiaire (PLI). Dans tous les cas, les plafonds de ressources sont définis chaque année et varient selon la composition du ménage et la localisation du bien. Sont pris en compte les revenus fiscaux de référence de l’année n-2. Plus d’informations sur le site Actionlogement.fr : bit.ly/3mplaYt.
(1) Les bailleurs sociaux sollicités n’ont pas souhaité répondre à notre demande.