Les constructions massives ont débuté dans la seconde moitié des années 1950. Le pic a été atteint dans les années 1970, même si les bâtiments programmés à ce moment-là ont continué de sortir de terre au début des années 1980. Quant aux publics visés, il y a toujours eu un hiatus entre les objectifs poursuivis par cette politique publique de construction et la réalité. En théorie, ces logements sociaux étaient destinés aux travailleurs, aux classes moyennes inférieures et populaires. On espérait même atteindre certaines couches sociales supérieures exerçant des professions libérales – des médecins, par exemple – que l’on souhaitait voir s’implanter dans les quartiers. Aujourd’hui, on traduit cela par l’expression « mixité sociale ». Jadis non, mais le but poursuivi demeure identique. En réalité, on y trouvait certes des ouvriers et des employés, des personnes par là même insérées, stables dans l’emploi. Les classes populaires les plus en difficulté occupaient davantage des taudis et des bidonvilles. D’autant que les bailleurs espéraient un équilibre financier, percevoir les loyers. Or, dans l’après-guerre, les tarifs de location s’avéraient trop élevés pour nombre de personnes.
Ces quartiers neufs se sont paupérisés assez précocement, dès le début des années 1970 pour les premiers construits. Principalement du fait du départ des plus favorisés. La mixité de départ a vite disparu, lorsque l’offre immobilière s’est enrichie, diversifiée. Les classes moyennes se sont alors dirigées vers des logements privés accessibles, devenus plus nombreux qu’après-guerre. La surreprésentation des classes populaires s’est donc accentuée dans les logements sociaux. Et, autre facteur d’appauvrissement, les crises économiques les ont fragilisées. Pour autant, il faut rester nuancé : les bailleurs sociaux espèrent toujours loger un ensemble de Français, des classes moyennes, et pas uniquement les plus pauvres, qui sont par ailleurs de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir accéder au logement social.
Il est demandé aux bailleurs d’accueillir les publics en voie de réinsertion. Le but : sortir les populations marginalisées des dispositifs spécifiques d’hébergement pour les aider à s’inscrire dans un parcours résidentiel ordinaire. On a pu observer cette mission nouvelle depuis le début des années 1980, au travers de l’institutionnalisation des appartements thérapeutiques. De nombreuses passerelles se développent à ce moment-là entre l’hébergement spécifique et le logement ordinaire, comme le logement accompagné, les appartements relais. Et, dans ces cadres, les travailleurs sociaux apportent l’indispensable accompagnement administratif et humain. Au départ, le logement social n’avait pas été imaginé dans ce but et les bailleurs, soucieux de leur image, ne se sont pas toujours montrés enthousiastes, surtout dans un pays où l’on valorise la propriété individuelle. D’ailleurs, le logement social permet aussi de devenir propriétaire, les opérations d’accession à la propriété s’étant multipliées depuis les années 1970. Voilà bien une manifestation du recul de la protection sociale et de l’Etat-providence : des sociologues ont montré que, depuis une vingtaine d’années, la valeur d’usage du logement a décru tandis que sa valeur financière a été revalorisée. On achète d’abord et avant tout un logement pour réaliser un placement, pour se prémunir de l’avenir. Bien entendu, cela aggrave les inégalités sociales.
Oui, mais cela ne signifie pas que le logement social soit insalubre ou indigne. Mieux vaut souvent occuper un logement social dans un quartier prioritaire que vivre dans un immeuble privé qui pourrait bien s’effondrer dans un centre-ville dégradé. Le logement social offre parfois le dernier rempart dans ces quartiers, c’est la seule institution à ne pas avoir disparu. Seuls restent parfois les éducateurs de rue et les bailleurs sociaux.