En finir avec la gestion dans l’urgence. Telle est l’ambition affichée par Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au logement, dans sa réponse, le 6 septembre dernier, aux propositions de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) en faveur de la mise en place d’une loi de programmation « de la rue à l’hébergement et au logement ». Parmi les annonces : la planification pluriannuelle de la gestion de l’hébergement d’urgence. Ce changement de paradigme est réclamé de longue date par les acteurs du secteur de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion (AHI)
Leur volonté ? Sortir de la gestion dite « au thermomètre » de l’ouverture et de la fermeture de places d’hébergement d’urgence en fonction de la saison, qui entraîne la remise à la rue d’une partie du public hébergé et accompagné. « Nous souhaitons nous appuyer sur l’effort réalisé par l’Etat en 2020 de pérennisation de l’ensemble des places d’hébergement ouvertes pendant les périodes de confinement et aussi à la fin de l’hiver dernier », explique Florent Guéguen, directeur général de la FAS.
Une enveloppe de 700 millions d’euros inscrite au projet de loi de finances (PLF) rectificative du printemps dernier a permis le maintien des 40 000 places supplémentaires ouvertes jusqu’au 31 mars 2022. La nouvelle posture politique rompt donc en effet avec cette logique de gestion au coup par coup. Cette rupture se matérialise aussi au travers de la première version du PLF pour 2022, qui prévoit 200 000 places pour l’ensemble du parc jusqu’au printemps prochain. L’objectif étant d’en pérenniser 190 000 à la fin de la même année.
« Il s’agit d’initiatives positives. Les ouvertures et les fermetures régulières ne permettent pas d’assurer de la continuité dans les parcours pour accompagner les personnes », explique Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. En matière de ressources humaines, l’anticipation du nombre de places d’hébergement financées pour les années à venir apparaît aussi nécessaire. « Jusqu’alors, nous embauchions des salariés en contrat à durée déterminée, nous les formions puis nous mettions fin à leur contrat pour les recontacter quelques mois plus tard, alors qu’ils ne sont plus disponibles. La visibilité permet aussi de favoriser le travail de formation continue des intervenants de ces structures », assure Thierry Couvert-Leroy, délégué national à la lutte contre les exclusions pour la Croix-Rouge française.
Pour y parvenir, la ministre déléguée au logement a demandé à la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) d’œuvrer avec la FAS et les associations du secteur de l’AHI pour poser les bases de la programmation pluriannuelle. « Il s’agira, à partir d’un consensus avec l’ensemble des acteurs, de définir notre ambition commune et de s’accorder sur ces modalités d’application. La Dihal devra me transmettre ces éléments travaillés en partenariat, pour le premier trimestre 2022 », précise Emmanuelle Wargon, dans son courrier adressé à la FAS.
Une première réunion s’est tenue le 23 septembre et de premiers éléments de réflexion doivent être rendus par les préfets, le 21 octobre. Car l’essence de la future loi de programmation tient à la mise en place de commissions territoriales sous l’impulsion des préfets. Elles permettront d’observer et de remonter les besoins réels des structures d’hébergement d’urgence en termes de nombre de places, de moyens d’accompagnement ou de profils de publics. Les acteurs de l’hébergement et de l’aide sociale, les bailleurs sociaux, les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) ou encore les collectivités territoriales, devront se mobiliser pour établir ce diagnostic.
Mais les associations restent vigilantes. La méthodologie et le périmètre de prise en compte des publics sans solution de logement pérenne questionnent. Les personnes qui téléphonent aux SIAO, celles qui habitent dans des bidonvilles ou des squats, celles à la rue qui ne demandent aucune aide… La définition est loin d’être arrêtée. « A la suite d’échanges avec les directions départementales, je n’ai pas l’impression que l’évaluation des besoins soit très claire sur les territoires. Elles ne sont pas à blâmer. Il est vrai que les outils en place ne sont pas optimaux. Et certains considèrent que les besoins correspondent au nombre de places qu’ils arrivent à financer », confie Thierry Couvert-Leroy.
Surtout, malgré la volonté conjointe des acteurs étatiques et associatifs, l’engagement d’une réforme structurelle tient aux résultats des élections présidentielle et législatives de 2022. « Il n’y a pas de place pour une loi de programmation qui soit votée dans le calendrier parlementaire. Quoi qu’il en soit, ce travail doit être mené. L’idée est que tout soit à la disposition des futurs gouvernement et Parlement », estime Sylvain Mathieu, délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement.
« Je reconnais les efforts récents, mais je n’ai pas confiance. Cela fait quarante ans que je travaille dans le secteur. Quel gouvernement souhaite vraiment s’occuper des personnes sans domicile fixe afin que leur avenir ne soit pas volé ? J’attends de voir », rétorque Yvan Grimaldi, directeur des programmes « inclusion sociale » à la fondation de l’Armée du salut.
Un scepticisme nourri par les rares données disponibles sur le nombre conséquent de personnes sans abri. En atteste le dernier décompte réalisé à Paris à l’occasion des Nuits de la solidarité. En mars 2021, 2 785 personnes sans solution d’hébergement ont été recensées. Ce qui correspond à une baisse de 23 % par rapport à 2020.
A la lumière des chiffres, les professionnels alertent : « Au-delà de la programmation des places, l’enjeu est l’accompagnement social proposé », assure Thierry Couvert-Leroy. La question de la revalorisation des prix de journée, qui tendent à stagner, voire à baisser, est inhérente à l’élaboration de la future loi. « Hors Ile-de-France, les prix se situent autour de 20 € par jour et par personne. Cela ne permet pas de mettre en œuvre les missions de base, c’est-à-dire héberger, accompagner, évaluer et nourrir. Si des solutions ne sont pas trouvées, nous allons continuer à produire des places dont les gens ne sortiront jamais », prévient Florent Guéguen. Parmi les réponses proposées par la FAS, la mise en place de tarifs planchers plutôt que les actuels tarifs plafonnés.
Autre point d’achoppement : la saturation des centres d’hébergement d’urgence dédiés aux demandeurs d’asile engorge directement les structures de droit commun (voir page 13).
Enfin, l’organisation des entrées est compromise par celles des sorties : « De nombreuses familles hébergées en centres d’hébergement d’urgence ou en centres d’hébergement et de réinsertion sociale n’y ont plus leur place depuis longtemps. Elles y sont maintenues faute de logements disponibles. S’il reste de l’accompagnement, il peut tout autant s’opérer en milieu ouvert », explique Djamel Cheridi, directeur des territoires Paris Sud Ouest-France Ouest à l’association Aurore. Le plan pour le Logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme est largement mis à mal et inefficace : « C’est l’amont sans l’aval », conclut Yvan Grimaldi.