Travail social et bénévolat : vraie bonne idée ou alliance contre-nature ?

« Un débat s’ouvre dans le champ de la protection de l’enfance sur les possibilités d’“accompagner autrement” un certain nombre d’enfants qui auront un parcours long au sein de l’institution. Dans le cadre d’un dialogue avec le conseil départemental du Nord, les professionnels du pôle “protection de l’enfance” de La Sauvegarde du Nord et de l’association SPReNe se sont engagés dans la création et le développement d’un service de soutien et d’accompagnement de tiers accueillants, autrement dit des familles bénévoles qui acceptent d’accueillir et d’accompagner des enfants de 0 à 18 ans.

S’appuyer sur les compétences et l’engagement de la société civile en faveur des enfants de la protection de l’enfance pour les aider à grandir, voilà donc une nouvelle piste qui pourrait sembler polémique, mais dont La Sauvegarde du Nord fait le pari pour l’accompagnement de la petite enfance.

Dans notre pôle “protection de l’enfance”, l’ensemble des professionnels réfléchit depuis longtemps à de nouvelles formes d’accompagnement des enfants et de leurs familles. De nombreuses pistes ont été explorées comme le travail mené sur le réseau familial et social de l’enfant au travers du DSL [développement social local], la mise en place des conférences familiales et le développement du pouvoir d’agir.

S’inscrivant dans un contexte et une réflexion qui traverse le champ de la protection de l’enfance depuis de nombreuses années, ce questionnement et cette recherche quotidienne ont pris en compte le besoin de sécurité affective des enfants qui nous sont confiés pour le réfléchir autrement. Comment permettre à un enfant confié à l’aide sociale à l’enfance [ASE] de connaître un développement émotionnel et social le plus banal possible ? Comment l’aider à se construire de manière sécurisée ? Autant de questions que se posent quotidiennement les acteurs de la protection de l’enfance. En introduisant la référence aux besoins fondamentaux de l’enfant comme socle de l’action de la protection de l’enfance, la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 replace le sujet du besoin de sécurité de l’enfant (appelé par les experts le “méta besoin”, englobant notamment le besoin affectif et relationnel) au cœur de la réflexion et de l’action. L’une des solutions envisagées par les professionnels de La Sauvegarde du Nord : s’assurer de la présence d’un adulte, d’une relation affective stable, pour renforcer la sécurité intérieure de l’enfant et ainsi lui permettre de grandir, comme a pu le décrire le psychiatre et psychanalyste John Bowlby, dans sa référence au besoin de “figure d’attachement”.

Cette solution s’accompagne d’un certain nombre de questions que peuvent légitimement se poser les professionnels. Comment inclure le temps long dans l’accompagnement ? Comment permettre à des enfants qui sont habituellement suivis et accompagnés par une diversité de professionnels d’expérimenter l’autonomie dans la vie réelle ? Finalement, quelles alternatives trouver pour lutter contre les effets de l’institutionnalisation totale des enfants ?

Nous pensons que les réponses se trouvent du côté de la vie banale, du côté de la société civile sur laquelle les professionnels peuvent s’appuyer pour proposer de nouvelles modalités d’accompagnement.

Mais peut-on vraiment imaginer coopérer avec des intervenants non professionnels ? A La Sauvegarde du Nord, nous pensons que “oui”. Et nous osons explorer cette piste et ces nouvelles modalités d’accueil qui permettent aux enfants d’expérimenter la permanence du lien avec des adultes autres que les professionnels de la protection de l’enfance. Tout naturellement, s’appuyer sur des personnes ressources dans le réseau familial, amical, social de l’enfant ou sur un réseau de familles bénévoles prêtes à accueillir des enfants – comme la loi de 2016 le permet –, nous est apparu comme une réponse possible aux besoins des enfants de grandir avec le soutien d’adultes qui s’investissent de manière continue et pérenne.

La Sauvegarde du Nord s’engage donc dans la création d’un service spécifique qui pourra prendre toute sa place dans une nouvelle offre complémentaire aux côtés des acteurs institutionnels.

Aux origines de notre réflexion, un constat fondé sur notre expérience du terrain : l’accueil par les tiers dignes de confiance dans la parentèle peut, dans certaines situations, permettre à l’enfant de garder une certaine cohérence avec son histoire personnelle et ainsi constituer une forme d’accueil sécurisant – constat d’ailleurs appuyé par les conclusions d’une étude menée par Catherine Sellenet, professeure d’université en sciences de l’éducation(1).

De ce constat sont nées l’idée et la conviction que, parfois, la société civile pouvait être le meilleur endroit pour grandir quand on est un enfant, notamment quand elle lui permet de se réinscrire dans une forme de banalité en le faisant évoluer dans un seul et même environnement avec école, loisirs, sports, toutes ces activités quotidiennes par lesquelles les relations sociales se construisent, les liens d’attachement se renforcent et la confiance s’acquiert.

Toutefois, si les enfants évoluent au quotidien chez les tiers accueillants, leur parcours continue de concerner le travail social dont les professionnels accompagnent les parties prenantes dans la proximité et dans une logique de soutien et de coopération.

Au sein de ce service d’accompagnement, nous entendons procéder à une expérimentation et à une évaluation pour déterminer si cette nouvelle modalité d’accompagnement peut devenir une modalité d’accueil répondant aux besoins de certains enfants confiés à la protection de l’enfance.

Sa mission se déploiera sur plusieurs axes, qui seront ceux de la constitution d’un réseau de familles bénévoles prêtes à accueillir ces jeunes enfants, le soutien à apporter aux enfants et aux familles dans une reconnaissance de la complémentarité entre les personnes aidantes non professionnelles et les professionnels et, enfin, la volonté de faire de ce service un véritable centre de ressources qui permettra aux familles de tiers accueillants de se rencontrer, d’échanger, de s’épauler et de trouver des interlocuteurs prêts à répondre à leurs problématiques et questions.

Tout l’enjeu de cette action est donc de parvenir à se penser comme un appui à la fois pour les enfants dont les professionnels vérifient que l’accueil répond à leurs besoins et garantit leur sécurité, comme pour les tiers accueillants qui trouveront auprès des professionnels les conseils et l’aide dont ils ont besoin.

Qui sont ces bénévoles de la société civile ? Des repères stables, qui font un bout de chemin auprès des enfants et qui reconstruisent le lien affectif pérenne et sécurisant dont ces derniers ont besoin pour grandir.

L’engagement qui nous porte s’inscrit dans une logique de désinstitutionnalisation et doit être pensé dans l’objectif d’offrir à chaque enfant la meilleure réponse possible au regard de sa situation et de son intérêt supérieur en référence à la Convention internationale des droits de l’enfant. C’est en ce sens que La Sauvegarde du Nord milite pour une alliance entre l’engagement citoyen et l’action des professionnels.

Fermement convaincus que nous pouvons trouver des personnes ressources afin de déployer ces nouvelles formes d’accompagnement, nous avons fait le choix de nous appuyer sur la philosophie et les modalités d’action de la pair-aidance.

La volonté qui anime la création de notre service de tiers accueillants est donc celle de nous engager dans un projet innovant qui permettra de nourrir l’évolution des pratiques pour mieux répondre aux besoins fondamentaux de l’enfant et continuer à ouvrir notre champ d’expertise : entre le “tout parent” et le “tout placement”, d’autres solutions deviennent possibles. »