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« Savoir distinguer les situations aiguës des difficultés chroniques »

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Formés à l’utilisation d’outils standardisés d’évaluation permettant de mesurer et de visualiser les progrès et difficultés de l’enfant dans le temps, les professionnels des services de l’aide sociale à l’enfance bénéficieraient de données cliniques précieuses pour estimer la pertinence d’un retour en famille. Mais, pour Daniel Rousseau, coordonnateur du programme Pégase dans le Maine-et-Loire, la réalité est tout autre.
La réunification familiale doit-elle être pensée et travaillée dès le début du placement ?

Il y a des situations où il est impossible de déterminer à l’avance quelle solution sera la meilleure. Il faut souvent pouvoir bénéficier d’un temps long d’observation de l’enfant avec ses parents avant d’envisager la sortie, qu’elle aboutisse à la réunification familiale ou pas. En outre, les services sociaux manquent cruellement de compétences lorsqu’il s’agit de distinguer les situations aiguës des difficultés chroniques. Dans le premier cas de figure, les capacités parentales peuvent être à nouveau mobilisables si la famille est accompagnée. Dans le second cas, en revanche, on sait souvent d’emblée que la situation ne pourra pas s’arranger, même avec l’intervention d’une aide éducative. L’idéal serait donc que les équipes sociales puissent proposer tout un éventail de possibilités, parmi lesquelles la réunification familiale et l’adoption, qui sont deux options à considérer sur le même plan, parce que, à l’arrivée, on ne sait pas de quel côté les choses vont évoluer. Au Canada, par exemple, la question a été tranchée dans la loi : si, au terme de la première année de placement des enfants de moins de 5 ans (18 mois pour les plus de 5 ans), les parents n’ont pas progressé, l’enfant est adoptable. Or, en France, la loi indique qu’il faut avoir tout tenté avec les parents avant de leur retirer l’enfant et, éventuellement, d’envisager l’adoption. On ne peut que souhaiter à un enfant qu’il soit élevé par ses parents. Mais, pour les 5 % qui n’ont pas cette chance(1), il faut essayer d’être pragmatique. Et les progrès à réaliser de ce côté-là sont colossaux. Tout comme il est nécessaire d’améliorer le diagnostic et l’évaluation de départ au niveau de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Or les orientations se décident souvent par opportunité plutôt que par indication. Les services sociaux étant débordés, ils mettent les enfants là où il y a de la place, et pas toujours à l’endroit où l’enfant devrait être. Résultat : à l’adolescence, 50 % des parents ne donnent plus aucun signe de vie à leurs enfants, et seuls 10 % conservent un lien constructif.

Quelles actions mettre en place pour améliorer le diagnostic et l’évaluation cliniques ?

Aujourd’hui, les professionnels de la protection de l’enfance ne sont pas suffisamment formés à la clinique de l’observation de l’enfant. Durant leur formation, il faudrait qu’ils puissent acquérir une méthodologie et des outils d’observation validés. Ces derniers leur permettraient de s’appuyer sur des éléments objectifs concernant la santé physique et psychologique des enfants pris en charge par l’ASE, de voir leurs progrès après le retour en famille ou, à l’inverse, d’être capables de repérer les signaux d’alerte s’ils s’enfoncent. Sans ces données physiques précises, on s’expose au risque de prendre de mauvaises décisions. Pourquoi ne pourrait-on pas, comme c’est parfois mon cas, transmettre au juge la courbe de poids d’un enfant ou une échelle de développement pour lui prouver que, depuis qu’il est placé, il a progressé, et qu’un retour au domicile lui serait préjudiciable ? Nous sommes encore confrontés à des décisions de justice qui sont en totale contradiction avec les préconisations des équipes – car mal motivées et sans éléments probants –, qui laissent craindre pour la sécurité de l’enfant. Au-delà de la nécessité d’être formés, les acteurs de terrain devraient disposer des bons outils ! Dans mon département, nous utilisons depuis plusieurs années les échelles Ages and Stages Questionnaires(r) ASQ-3, ASQ-SE (Social-Emotional) et la CBCL (Child Behavior Checklist). Nous utilisons également ces outils dans le cadre du programme Pégase qui, depuis deux ans, propose des bilans standardisés et des soins psychiques précoces aux enfants protégés. Ils nous ont permis d’évaluer de façon très précise les stigmates physiques et psychiques des négligences et des maltraitances sur les enfants et les effets du placement pour eux. Pour la petite histoire, nous étions précurseurs car, au Québec, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, l’équivalent de la Haute Autorité de santé, vient de recommander ces mêmes échelles d’évaluation.

Plus le placement est long, plus le retour est-il complexe ?

Tout comme il n’y a pas d’âge idéal pour un retour en famille, la durée du placement n’est pas une indication fiable. D’autant qu’on ne dispose d’aucune étude précise sur cette question de la restitution. Et ce, même si elle est une préoccupation constante pour la protection de l’enfance. Si je me base sur mon expérience, j’ai connu des situations de placements longs pour lesquelles la restitution s’est bien passée, parce que le processus de préparation avait été bien étayé. La question de la sécurité de l’enfant était centrale et le travail engagé avec les familles pour mobiliser les compétences parentales de qualité. Je pense particulièrement à une mère malgache arrivée en France avec deux enfants en bas âge, dont l’un était aveugle. Séparée géographiquement de son mari, elle n’arrivait plus à s’occuper de ses enfants. Elle a été alors jugée inadaptée et opposante de par sa passivité. Je l’ai rencontrée peu après leur placement et j’ai compris rapidement qu’elle souffrait d’une dépression post-partum que personne n’avait repérée. Il s’est ensuivi un accompagnement personnalisé de l’ASE, tant sur le plan social notamment afin que le père puisse être muté dans la même ville, que psychologique. Au bout d’un an et demi, la mère allait mieux, elle a récupéré ses capacités parentales et par là même ses enfants. Les professionnels ont besoin de temps pour effectuer du cas par cas. Et le temps, nous savons qu’ils n’en ont pas assez. Si l’évaluation de la santé physique et du développement psychologique est une obligation légale inscrite dans la loi de 2016, elle n’est appliquée que dans 30 % des départements, et ce, uniquement sur le volet « santé ». Notre société devrait comprendre que la protection de l’enfance est une nouvelle frontière où les marges de progression sont immenses et pour laquelle les moyens engagés ne sont pas des dépenses mais un investissement pour l’avenir des enfants et de la communauté tout entière.

Notes

(1) D. Rousseau, E. Riquin, et al. – « Devenir à long terme de très jeunes enfants placés à l’aide sociale à l’enfance » – La Documentation française, 2016.

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