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Des situations disparates, des moyens insuffisants

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La Haute Autorité de santé (HAS) a publié, le 12 juillet dernier, une recommandation pour mieux accompagner le retour en famille des enfants après un placement. Objectif : éviter les échecs, destructeurs pour les familles. Des préconisations qui restent conditionnées aux moyens accordés à la protection de l’enfance et que certains professionnels appliquent déjà.

« Nous disposons de peu de données chiffrées sur les sorties de placement, mais tous les observateurs témoignent d’échecs », déclare Christiane Jean-Bart, cheffe du service « recommandations » à la direction de la qualité de l’accompagnement social et médico-social (Diqasm) de la Haute Autorité de santé. Aujourd’hui, 150 000 enfants sont placés hors du domicile familial pour les éloigner d’un danger et répondre à leurs besoins fondamentaux. Toujours décidées pour un temps limité, ces mesures d’éloignement temporaire sont réexaminées chaque année par le juge des enfants ou les services départementaux, afin d’évaluer si la mesure doit être prolongée ou si un retour au domicile est possible et le danger écarté. Un moment hautement sensible : les familles ont perdu l’habitude d’un quotidien partagé et doivent réapprendre à vivre sous le même toit, avec des angoisses qui peuvent ressurgir (reviviscence de traumatismes, crainte de ne pas être à la hauteur). Les enfants doivent aussi intégrer une « rupture » supplémentaire avec le foyer ou la famille d’accueil, et souvent avec l’école.

Or, si la loi de 2016 inscrit la nécessité d’un accompagnement des fins de placement pour éviter les échecs, elle n’en précise pas les modalités opérationnelles. Sur le terrain, les situations sont très contrastées : « L’offre de services, les parcours des enfants, la façon dont les parents sont impliqués ou non, les cultures d’équipes sont extrêmement divers d’un département, d’un foyer ou d’un assistant familial à l’autre », explique Christiane Jean-Bart. La HAS a donc élaboré, à la demande de la direction générale de la cohésion sociale, une méthodologie pratique à destination des professionnels(1), comportant trois phases : évaluation de la pertinence du retour ; préparation et construction avec l’enfant et ses parents d’objectifs clairs et précis ; sécurisation « en mobilisant notamment les interventions du milieu ouvert autant que nécessaire ». Les équipes sont incitées à « s’appuyer sur les outils existants et les leviers de réussite identifiés », comme le projet pour l’enfant (PPE).

« Nous connaissons les effets délétères des ruptures pour l’enfant, qui occasionnent de l’insécurité, du mal-être et altèrent son développement et sa santé, commente Fabienne Quiriau, présidente de la Cnape. La recommandation de la HAS s’inscrit dans ce mouvement général pour fluidifier les parcours, dans une continuité apportant de la stabilité à l’enfant. » Car, pour les travailleurs sociaux, un enfant de nouveau placé signe souvent une impréparation en amont. « Nous demandons aux professionnels d’évaluer aussi quels sont les besoins des familles pour s’impliquer, et comment y répondre », reprend Christiane Jean-Bart, dont la recommandation se nourrit d’un travail avec des familles d’ATD quart monde. Leurs témoignages rappellent que, si le lien entre pauvreté et placement des enfants est établi(2), les difficultés restent trop souvent sous-estimées par les professionnels, alors qu’elles sont à l’origine de dysfonctionnements éducatifs.

Associer les parents

Sur le terrain, l’accueil est mitigé : « Bien sûr, il est intéressant de clarifier les bonnes pratiques, comme maintenir les liens et prendre en compte l’avis de l’enfant, estime Sophie Legrand, juge des enfants et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. Encore faudrait-il pouvoir le faire. De nombreux référents ASE [aide sociale à l’enfance] ont trop peu de temps pour se rendre suffisamment chez les parents, et les éducateurs pour s’occuper à la fois de l’enfant et de sa famille. Cette recommandation ne sera applicable que si des moyens supplémentaires sont déployés. » De plus, quand la levée du placement est prononcée, le juge ou l’administration ordonne la plupart du temps une mesure de suivi à domicile (AEMO simple ou renforcée, action éducative à domicile) pour assurer une transition « sécurisée » conduisant progressivement à l’autonomie complète de la famille. « Il y a aujourd’hui six mois d’attente entre la levée du placement et le début de la mesure en milieu ouvert. Le suivi s’interrompt au moment le plus sensible », regrette Sophie Legrand. Le Syndicat de la magistrature propose, pour éviter ces écarts et le manque de prise en charge éducative, d’ajouter systématiquement à la mesure de placement une mesure en milieu ouvert. Une option que les services d’AEMO, déjà surchargés, pourront difficilement assurer en l’état.

Dans quelques départements ou établissements, la préparation au retour est déjà ancrée dans les pratiques des professionnels. Pour les enfants de la Sauvegarde de Haute-Occitanie placés en familles d’accueil, le suivi éducatif des parents est facilité : « Le travailleur social s’occupe de 20 enfants [au lieu de 30 parfois, Ndlr]. Il peut donc faire avancer les choses avec les parents, tandis que l’assistante familiale établit un lien de confiance avec eux et est associée étroitement à la préparation du départ », explique Jean-Louis Losson, directeur général.

En Loire-Atlantique, depuis 2013, davantage de moyens ont été alloués aux lieux d’accueil pour soutenir la quotidienneté du suivi de l’enfant ainsi que les liens avec les familles. De son côté, le référent ASE, désormais appelé « coordonnateur de projet », habite près du lieu de vie de la famille pour garantir l’avancée des objectifs et préparer le terrain pour le retour en lien avec l’action sociale de proximité. Les parents sont présents aux synthèses annuelles, et parfois les adolescents. Pour Marie Joyau, cheffe de service « protection de l’enfance » du département, « cette présence des parents est un des outils de l’accompagnement familial car elle nous oblige à parler le même langage qu’eux, à formuler les choses de façon à ce qu’elles soient expliquées et comprises par tous, et donc à travailler en co-éducation ». Et quand survient la possibilité d’un retour, Marie Joyau souligne l’importance d’en détailler par écrit la progressivité et d’évaluer ses conditions pratiques. Comment les parents envisagent-ils les devoirs, l’organisation de l’espace, le rythme quotidien avec le travail, les temps de ressource parentaux, le suivi médical, la gestion budgétaire ? On peut alors utiliser une « boîte à outils » de mesures, comme l’accompagnement en économie sociale et familiale (MAESF) ou d’autres dispositifs, selon les besoins. Pour aller plus loin, en fin d’année, le département lancera une expérimentation avec quatre maisons d’enfants à caractère social (Mecs). Le principe : donner les moyens au lieu d’accueil de poursuivre l’accompagnement éducatif à domicile après la levée du placement, pour une durée de six à douze mois. Ce qui, selon Marie Joyau, a plusieurs avantages : « Eviter les interruptions de suivi, assurer une transition douce et sécurisée, et permettre à l’enfant et à la famille de ne pas recommencer à zéro avec de nouveaux intervenants. »

Travail en profondeur

A la maison d’enfants Les Cèdres bleus de Pornic, cette expérience pilote serait la concrétisation de pratiques et de constats vieux de quarante ans. Fondée par une religieuse en 1852, l’objectif était dès l’origine de « prendre en compte les besoins des enfants mais aussi ceux des familles ». Depuis les années 1980, le foyer dispose d’une « référente familiale » qui développe l’accompagnement à la parentalité tout au long du placement, avec des entretiens parentaux à domicile, mais aussi des ateliers parents-enfants au sein du foyer et des groupes de paroles de parents pour éviter l’isolement et échanger sur les difficultés. « Notre objectif est que les parents se soutiennent entre eux, créent du lien social », souligne Christine Poissonneau, référente familiale. Pour Maryse Robert, directrice de la structure, « la clé du retour, c’est le travail en profondeur, la prise de conscience, la transformation, puis la consolidation. Prendre le parent là où il en est et solutionner les besoins les plus importants pour lui permettre d’accueillir son enfant ».

La référente familiale travaille ainsi avec les partenaires de droit commun, choisis à proximité du domicile parental pour assurer une continuité après le placement. L’éducateur référent de l’enfant au sein de la Mecs consacre lui aussi 15 % de son temps de travail à l’accompagnement parental. « En plus des échanges du quotidien (droits de visite, questions administratives), j’ai un rendez-vous téléphonique tous les quinze jours avec les parents », explique Margaux Grasset, éducatrice spécialisée. Quand un retour devient envisageable, la préparation psychologique des enfants est essentielle : « Certains sont très inquiets et d’autres ont tellement envie de rentrer qu’ils ne pensent pas aux difficultés. L’important est qu’ils repartent en sachant pourquoi il y a eu placement et pourquoi le danger est levé. Ils doivent aussi avoir appris ce qu’un adulte a le droit de faire ou non, et pris suffisamment confiance en eux pour savoir que le problème ne vient pas d’eux. Car beaucoup d’enfants portent la culpabilité du placement. »

En 2003, deux familles ont émis le souhait d’être suivies par l’équipe des Cèdres bleus après la sortie du foyer. Une expérience très positive, que le conseil général de l’époque a cependant refusé de pérenniser. Vingt ans plus tard, la future expérimentation pourrait leur permettre de transformer l’essai. A une réserve près, que partagent tous les professionnels interrogés : un accompagnement réussi en protection de l’enfance ne se conclut pas toujours par un retour à la maison.

Notes

(1) A ce sujet, la HAS propose aux professionnels un webinaire, à voir le 30 septembre sur : bit.ly/3nTXXjt.

(2) « L’invisibilité sociale, publics et mécanismes », P. Kertudo, R. Sécher, F. Tith – Recherche sociale 2015/4 n° 216 – A télécharger sur : bit.ly/3hOEkWb.

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