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Programmation des hébergements : une bonne nouvelle, sous conditions

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Déterminer le nombre de places d’hébergement sur plusieurs années, voilà qui séduit les associations du secteur. La gestion de l’urgence céderait du terrain devant une meilleure anticipation. Un changement de paradigme, mais qui prendra du temps et nécessite de réunir certaines conditions majeures. Une approche uniquement quantitative ne satisfera pas les attentes, démontre Florian Guyot.

« “En finir avec la gestion dans l’urgence.” C’est ainsi que la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, a résumé la nouvelle stratégie pour agir contre le sans-abrisme. Elle annonçait alors l’ouverture de travaux en vue de rédiger une loi de programmation pour donner de la visibilité au secteur de l’hébergement. Voilà de quoi nous réjouir.

Jusqu’à présent, bon nombre de places d’hébergement étaient fermées à la fin de l’hiver, lorsque les températures remontaient. Au sortir de l’hiver dernier, le gouvernement a décidé de maintenir les 43 000 places d’hébergement hivernal, pour les prolonger jusqu’en mars 2022. L’annonce de la ministre revient à vouloir pérenniser cette logique de fonctionnement. C’est donc une bonne nouvelle, pour une raison simple : on prend acte que personne ne devrait être remis à la rue, quelles qu’en soient les raisons. La mise en œuvre représentera toutefois un défi, tant le changement de méthode s’avère important.

D’une logique d’urgence à une logique d’anticipation

Quatre points méritent en particulier l’attention, et seront sans aucun doute à l’ordre du jour des groupes de travail annoncés. Cela impose d’abord de passer d’une logique d’urgence à une logique d’anticipation. Programmer des places nécessite une connaissance des besoins à venir dont on déduirait ex ante les enveloppes budgétaires, tandis qu’aujourd’hui, bien souvent, ces volumes sont ajustés en fin d’année. Comment anticiper la hausse ou la baisse de la précarité, en particulier au sortir d’une crise sanitaire et d’une crise économique ? Cela requiert, d’une part, un important travail statistique, sociologique, économique. La volonté annoncée de relancer une enquête Insee sur les personnes sans abri, dix ans après la dernière édition, va de ce point de vue dans le bon sens. Mais celle-ci fournira ses résultats au mieux dans quelques années : c’est en réalité un suivi quasiment continu des besoins et de l’offre d’hébergement qu’il convient de pouvoir réaliser, en prévoyant un renouvellement tous les cinq ans a minima et en créant des observatoires dans les principales agglomérations sur le modèle des Nuits de la solidarité. Cela nécessite, d’autre part, de s’assurer que les équipes des différents 115 locaux disposent bien des moyens suffisants pour orienter les personnes, en coordination avec les acteurs de la veille sociale, de l’hébergement et du logement accompagné.

Restons par ailleurs humbles et prudents : il existera toujours des situations d’urgence. Usagers de drogue, jeunes filles soumises à des phénomènes de prostitution, femmes victimes de violences : la précarité a de multiples visages, qui changent avec le temps, et il faut pouvoir innover, comprendre et ajuster les réponses, parfois de manière très rapide. C’est tout le travail des associations œuvrant auprès des plus fragiles. Une programmation pluriannuelle, si elle permet de donner de la visibilité, doit aussi simplifier les cadres administratifs et laisser des marges de manœuvre en responsabilisant les acteurs, pour qu’ils puissent s’adapter en permanence aux situations de précarité et d’exclusion que nous rencontrons chaque jour sur le terrain.

Coordination avec les autres politiques publiques sociales

Troisièmement, la programmation doit s’accompagner d’une très forte coordination avec les autres politiques publiques sociales. Car l’objectif est avant tout que les ménages hébergés retrouvent leur autonomie. Cela commence par la création de logements abordables. On ne peut que s’étonner de voir que le nombre de places d’hébergement a été multiplié par 1,7 sur les dix dernières années, alors que la construction de logements dits “très sociaux” (les PLAI, ou prêts locatifs aidés d’intégration) est restée relativement stable et représente une part minoritaire de la production de logements sociaux chaque année. Au-delà de la production de logements, c’est aussi la prévention des expulsions qu’il convient de travailler car, souvent, l’impayé n’est qu’un symptôme de bien d’autres difficultés nécessitant un accompagnement global. On pourrait parler aussi de l’accès aux soins, en particulier psychiques. De plus en plus de personnes hébergées ou mal logées rencontrent en effet des difficultés pour se soigner ou sont confrontées à la saturation des dispositifs médicaux. Cela ne peut que freiner le parcours de la personne, son accès et son maintien dans le logement. Autre exemple : il paraît clair que toute programmation en matière d’hébergement doit tenir compte de la politique d’accès au séjour. De nombreux ménages sont actuellement hébergés car ils n’ont pas d’autre choix que de solliciter le 115. Toutes ces questions, et bien d’autres, ont un impact sur les besoins en places d’hébergement, sur les durées de séjour et sur la fluidité vers d’autres structures. On retrouve là, d’ailleurs, le fait que l’hébergement est, au fond, l’une des rares politiques publiques qui s’adresse à toutes les personnes, sans distinction, et qui apporte une réponse aux différents angles morts des politiques sociales. C’est le principe de l’inconditionnalité de l’accueil, et l’une des plus belles promesses républicaines qui existe.

Enfin, une programmation sur les questions d’hébergement ne peut se contenter d’énoncer un nombre de places : elle doit aussi s’attacher à leur qualité, et en premier lieu à celle de l’accompagnement social. Or, bien que la crise ait mis en exergue le rôle fondamental des intervenants sociaux, la faible attractivité du secteur freine les recrutements et pénalise les équipes en place, qui passent moins de temps auprès de chaque personne accompagnée. Il est extrêmement choquant de voir que, dans l’enquête publiée récemment par le magazine Challenges sur les professions que les parents souhaiteraient pour leurs enfants, le travail social apparaît en 38e position sur 40 métiers sondés. On ne peut se résoudre à une image si dégradée et une attractivité si faible pour des métiers si essentiels : un Ségur du travail social doit nécessairement accompagner une réflexion programmatique sur l’hébergement.

Ces quatre défis montrent la complexité du sujet, car celui-ci est au carrefour de nombreuses politiques publiques. Voilà bien un sujet d’importance qui mérite d’être travaillé en profondeur avec les acteurs associatifs, mais aussi avec les services déconcentrés de l’Etat, dont cela modifiera profondément les méthodes de travail. Il paraît évident que ce travail prendra du temps et, dans l’immédiat, il semblerait pertinent de maintenir toutes les places actuellement ouvertes au-delà de mars 2022. Certes, le niveau actuel, proche de 200 000 places, constitue un point haut historique. Mais, d’une part, il reste encore chaque soir des ménages qui n’ont pas trouvé de réponse via le 115, et, d’autre part, la sortie de crise prendra du temps. Rappelons que près de 2 millions de personnes attendent un logement social, dont la majorité vit en dessous du seuil de pauvreté. Pour de nombreux ménages, la crise est venue fragiliser un équilibre de vie déjà précaire, et il faut que les filets de sécurité restent solidement ancrés pour anticiper des mutations en devenir.

Ces derniers mois ont été éprouvants pour l’ensemble de la société, et particulièrement pour les plus précaires. La réflexion qui s’ouvre, et qui vise à donner de la visibilité au secteur de l’hébergement, est l’occasion de mettre l’humain au cœur de l’action publique. En cela, c’est l’occasion d’une réflexion particulièrement riche, mais aussi particulièrement exigeante. »

Contact : f.guyot@aurore.asso.fr

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