En sept minutes à peine, un épais brouillard blanc envahit les dunes de la Slack, à quelques kilomètres de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). A travers lui, seuls quelques faisceaux lumineux de lampes torches témoignent d’une présence humaine sur la plage. Des équipages de police et de gendarmerie, qui surveillent ces vastes bandes de sable propices au départ. Jumelles infrarouges, caméras thermiques, hélicoptères et navires : de lourds moyens ont été dépêchés cet été pour la surveillance des côtes. Au loin, la mer est calme. Si calme que l’on entend crépiter les talkies-walkies dans la nuit. Trente-trois kilomètres de mer houleuse séparent les côtes françaises du Royaume-Uni. En bateau pneumatique, la durée de la traversée avoisine les six heures et, ces derniers jours, la météo plus que favorable ouvre probablement la dernière fenêtre de l’été pour les familles qui tentent le passage. Tous les bénévoles de terrain le constatent : nombre d’entre elles ont quitté les campements ces derniers jours.
Depuis quelques semaines, les travailleurs associatifs ont priorisé la prévention. « On sait qu’ils vont passer dans tous les cas », reconnaît Anna, coordinatrice d’Utopia 56 à Grande-Synthe. Alors, pour éviter les naufrages, les bénévoles expliquent aux exilés les risques qu’ils prennent. Cette conversation, inlassablement répétée dans les campements de la Côte d’Opale, peut être aussi anodine que se transformer en question de vie ou de mort. « 112, one one two », répètent deux hommes en fermant les yeux, dans le camp « BMX » à Calais. Sans ce numéro, lors de la traversée, aucun moyen de joindre les secours. Lorsque les embarcations partent du sud-ouest de Calais, il y a du réseau, tant du côté français que du côté britannique. Mais lorsque les départs ont lieu entre Dunkerque et la frontière belge, le trajet est presque doublé : une soixantaine de kilomètres. Au large, donc, plus de réseau.
Sur des flyers rédigés en plusieurs langues, les associations expliquent point par point les dangers de la traversée et la manière de s’en prémunir. « Soyez préparés ! Prévenez une connaissance de votre départ et de votre localisation. Gardez votre téléphone au sec et chargé », peut-on lire en anglais sur l’un d’eux. Comment redémarrer un bateau qui tombe en panne ? Comment bien attacher son gilet de sauvetage ? Comment trouver sa localisation en mer et la transmettre aux secours en cas de détresse ? Autant de questions vitales pour les exilés, alors que la route maritime entre la France et le Royaume-Uni est l’une des plus fréquentées du globe, parfois par des bateaux longs de plusieurs centaines de mètres.
Avec la fin de l’été, les tentatives de traversée vont diminuer. Mais pour celles et ceux qui s’y risqueront, les dangers augmenteront. Des craintes que partagent beaucoup d’acteurs de terrain, alors que le nombre de passages depuis le début de l’année avoisine les 14 000. Quasiment le double de l’an dernier.