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Première nuit

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Rejoindre la section « primo-arrivants » n’a été l’affaire que de quelques mètres à parcourir. Il était tard. Dans un silence épais, même les matons se taisaient, expédiant leur travail sans excès de professionnalisme. Le couloir, propre et doté d’un lino bleu ciel et de portes vert anis, aurait pu être confondu avec celui d’un hôpital. L’absence de bruit constituait à elle seule un étonnement. Outre le paquetage déjà posé sur mes bras et m’obstruant la vue, il m’a été demandé de prendre en sus un plateau-repas déjà préparé sur un chariot à roulettes et en inox. La quasi-impossibilité de la tâche donnait à la situation un aspect grotesque. Il m’a fallu quelques secondes pour franchir le seuil de la cellule que le surveillant venait d’ouvrir.

Une fois la porte refermée et verrouillée, un lit métallique superposé blanc, un lavabo avec deux robinets, un chaud et un froid, un petit miroir, une longue table, deux chaises, une télévision à écran plat, une douche sans pommeau incrustée dans le mur à côté de laquelle se trouvent des toilettes, le tout séparé par une cloison permettant, en présence d’une autre personne, de préserver un semblant d’intimité, se proposent au regard du nouvel arrivant. Le plateau-repas déposé sur la table et le paquetage abandonné sur le lit, une irrépressible envie de sentir l’eau froide sur mon visage est montée en moi. Depuis mon arrestation, près de quatre jours se sont écoulés. Allumée, la télévision proposait de renouer virtuellement avec la société. En zappant sur les chaînes d’information, un journaliste parlerait forcément en extérieur. Sans surprise, un duplex réalisé place Beauvau, face au ministère de l’Intérieur, est devenu hypnotique. M’obstinant à scruter les voitures et les cyclistes défilant en arrière-plan, la vie s’agitait. Sans moi. Le barrage a cédé, brutalement, et le plateau-repas a été seul spectateur de pleurs anormaux.

Dans la douche, l’eau ruisselante n’a pas masqué la moisissure couvrant le sol, les murs, et peinait à s’évacuer par une canalisation visiblement bouchée. Une mare s’est ainsi formée rapidement. Le débit et la température sont incontrôlables. Il faut appuyer régulièrement sur le bouton-poussoir pour profiter d’une rare sensation de bien-être dans ce lieu si oppressif. Se sécher nécessite patience et méthode quand la seule serviette proposée est un essuie-main.

A bout de force, disposer correctement des draps sur un lit est tout simplement impossible. Je me suis allongé sur le dos, toujours habillé. La tête posée sur l’oreiller, le plafond m’a imposé cette lecture : « Ns lé soldats de daesh ns nikeron lé mécréan. »

Comment suis-je tombé si bas ? La juge au regard doux a été si injuste dans sa décision… Les paupières s’alourdissant, une interrogation m’a saisi en même temps que le sommeil : la porte d’entrée de mon appartement est-elle bien fermée à double tour ? J’ai déjà oublié où je me trouve. Et ce n’est pas plus mal.

Une saison à l’ombre

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