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« L’intégrisme de la normalité n’efface pas les besoins particuliers »

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Les plateformes de services sont censées incarner le tournant inclusif de la politique du handicap. Très critique, Gérard Zribi, ancien conseiller ministériel, estime qu’elles ne tiennent pas compte de la multiplicité des handicaps et que les établissements spécialisés restent essentiels pour apporter des réponses adaptées.
Que vont apporter les plateformes de services dans le secteur médico-social et, particulièrement, dans le domaine du handicap ?

Elles s’inscrivent dans la philosophie globale du rapport « Piveteau » de 2014, intitulé « Zéro sans solution », que l’on pourrait résumer ainsi : « pas de places mais des solutions ». L’idée s’avère très attirante mais ne veut rien dire du tout. Il est impossible de généraliser les besoins et les réponses à mettre en place pour des enfants, des jeunes et des adultes handicapés. Quand il n’y aura pas de solutions pour la personne, on bâtira un plan d’accompagnement et on proposera des réponses modulaires, partielles, de bric et de broc. On lui trouvera trois heures dans une institution, quatre dans un accueil en foyer de jour, deux ou trois séances chez le kinésithérapeute libéral et, le reste du temps, ce sera aux parents et surtout à la mère de s’en occuper. On présente les plateformes de services comme une nouveauté. En réalité, elles constituent un retour aux années 1960-1970, quand on manquait plus encore de places en établissement. Le débat consiste à savoir quelle politique sociale on souhaite. Celle-ci va-t-elle favoriser l’approche fondée sur l’individu via Sérafin-PH, qui modifie le financement des structures sociales et médico-sociales en reconvertissant leurs moyens pour payer l’accès au milieu ordinaire ? Ou bien va-t-on s’appuyer sur les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), dans lesquels la prise en charge individuelle, la technicité et les droits des usagers sont, quoi qu’on en dise, de plus en plus importants ? Le risque est que, sous couvert d’émancipation des personnes handicapées, la protection sociale régresse et, avec elle, la solidarité.

Dans ce contexte, l’existence des institutions spécialisées est-elle menacée ?

Une réforme d’ampleur s’annonce. La centralisation des ressources par les pouvoirs publics transformerait les associations et les professionnels en prestataires de services. La logique des plateformes veut que l’usager soit responsable de lui-même et décide pour lui-même, qu’il soit consommateur de prestations en quelque sorte. Selon la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, les services et institutions médico-sociales spécifiques aux handicapés constituent des lieux ségrégatifs, enfermants, dévalorisants. C’est oublier que leur construction relève en grande partie des familles afin que leurs enfants, à l’époque, puissent avoir accès à l’exercice de leurs droits. Les institutions spécialisées n’ont pas été créées pour rejeter et marginaliser des populations très vulnérables mais bien pour les accueillir de manière structurée. Plutôt que de vouloir faire table rase, pourquoi ne pas s’appuyer sur elles pour aller plus loin et élever les compétences ? L’intégrisme de la normalité à tout prix n’efface pas le caractère incompressible des besoins particuliers et des empêchements plus ou moins invalidants.

En même temps, la France a été épinglée par l’ONU pour négligences et maltraitances…

Bien sûr qu’il y en a et qu’il faut tout faire pour les empêcher avec des formations sur l’éthique, de vrais projets d’établissement, des professionnels compétents, des évaluations, des partenariats, etc. Mais l’ouverture des structures vers l’extérieur ne cesse de se développer. Leurs réponses se sont beaucoup diversifiées et assouplies. Depuis 2006, les services d’éducation spéciale et de soins à domicile, ceux d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés, ceux d’accompagnement à la vie sociale, etc., se sont multipliés. Le système a beaucoup évolué et s’est déjà désinstitutionnalisé. On entend qu’il est lourd, périmé. La méconnaissance des pouvoirs publics est renversante. Le milieu ordinaire est devenu le nouvel eldorado. Mais qu’est-ce que cela signifie pour une personne polyhandicapée, un autiste sévère ou une personne handicapée mentale vieillissante ? Va-t-on demander à leur famille de les garder à domicile moyennant quelques prestations hebdomadaires ? Les places manquent déjà en institution et les listes d’attente s’allongent. Le droit au choix de vie, légitimement défendu, suppose une pluralité de possibilités et non la seule voie réalisée et fantasmée de la supposée inclusion, quels que soient les caractéristiques et les besoins personnels. Selon ce principe, tous les enfants, y compris avec un handicap sévère, doivent aller à l’école et les adultes en entreprise. Il faut renoncer à une définition binaire de l’inclusion.

Justement, quelle est votre vision ?

Je défends une inclusion génératrice de droits fondamentaux à l’éducation, au logement, au travail avec une diversité de solutions complémentaires et réversibles amenant à un vrai parcours. A défaut, l’inclusion peut générer de l’exclusion. Si un chef d’entreprise recrute directement des personnes handicapées, très bien. Mais s’il ne les embauche pas ? En Angleterre, au nom de la désinstitutionnalisation, des dizaines de milliers d’emplois protégés ont été supprimés. Aujourd’hui, les personnes qui travaillaient dans ces ateliers n’ont pas retrouvé d’activité professionnelle. Dans le même pays, une enquête a été réalisée il y a dix ans sur l’intégration dans les classes des enfants handicapés après la fermeture d’institutions spécialisées. La conclusion a été sans appel : l’inclusion non adaptée à l’école s’est apparentée à de la maltraitance, particulièrement pour les élèves handicapés mentaux. Un fossé incroyable existe entre le terrain et les discours lisses des pouvoirs publics qui veulent croire que tout est possible. Mais ils ne s’adressent qu’à une certaine classe sociale, ayant les moyens de payer des intervenants à domicile. Et font fi des inégalités et de la souffrance que vivent les personnes et leurs proches. L’accompagnement des personnes handicapées est un travail psychologique, social, humain. Que l’on soit « valide » ou non, l’appartenance à une collectivité ne relève pas d’une prescription individuelle, comme le sous-tendent les plateformes, à laquelle la société transformée en grand libre-service serait tenue de se conformer. Le manque d’écoute et d’empathie me frappe, les gens n’existent plus. Demander à une personne de choisir ce qui est bon pour elle, c’est risquer de la laisser seule face à elle-même. J’appelle ça de l’abandon social.

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