« Aujourd’hui prévaut l’idée que les ressources financières des départements seraient bientôt épuisées, ce qui justifierait la quête de financements privés (contrats à impact social, philanthropie, mécénat, etc.). Les employeurs sans marges de manœuvre budgétaires pourraient rechercher des moyens de reconnaissance qui ne passent pas par les salaires(1). Or l’actualité nous montre que peut être défendu le lien entre rémunération, reconnaissance professionnelle et qualité des interventions.
Le projet de loi relatif à la protection des enfants(2) a été adopté à l’Assemblée nationale en première lecture le 8 juillet 2021. Son article 9 entend améliorer l’exercice du métier d’assistant familial à travers une meilleure rémunération. Il y est indiqué que le montant minimal “ne peut être inférieur au salaire minimum de croissance mensuel calculé au prorata de la durée de prise en charge du ou des enfants”. Ainsi, une assistante familiale relevant de la convention collective nationale du travail du 15 mars 1966 (CCNT66) qui accueille un enfant pourrait voir son salaire évoluer de façon significative puisqu’elle aurait une augmentation de 324 € brut. Rappelons que les assistantes familiales ont intégré cette convention collective en 2007, deux ans après l’adoption de la loi relative aux assistants maternels et assistants familiaux, qui avait déjà pour ambition de rendre leurs métiers plus attractifs. Leur rémunération comprenait une part « socle » et une part variable en fonction du nombre d’enfants accueillis, que va remplacer une garantie unique ne pouvant être inférieure au Smic mensuel, au prorata de la durée de prise en charge du ou des enfants. Quel serait l’impact d’une telle mesure pour les départements ? Un tiers des départements offrant d’ores et déjà une rémunération de ce type, « le coût de la garantie mensuelle serait en moyenne de 473 010 € par an et par département », soit près de 50 millions, avec « une fourchette allant de 0 à 2 447 845 €, dépendant de la taille de la collectivité départementale » Un coût que devait avoir en tête l’Assemblée des départements de France (ADF) lorsqu’elle a commenté la publication du projet de loi : « Mais pourquoi présenter au Parlement, en urgence, un texte succinct, quand les lois récentes (en 2007 et 2016) ont déjà apporté des avancées sensibles en faveur de l’enfance ? Plus que des mesures prescriptives, les départements espèrent une intervention urgente de l’Etat. » La revalorisation des salaires des assistantes familiales ne serait pas à l’ordre du jour des départements, qui se disent volontiers au bord de l’asphyxie financière.
Se réjouissant d’une meilleure rémunération des assistantes familiales, la députée du Nord Valérie Six (UDI et indépendants) observe que « d’autres travailleurs sociaux du même champ sont complètement oubliés alors qu’ils sont épuisés. Il y a besoin de formation, de promotion du métier, de droit au répit, de logement : tout cela aurait dû être davantage abordé. » Autant de sujets que le législateur a ignorés malgré leur acuité. En mettant l’accent sur la rémunération, il a évincé la question de la formation : 240 heures d’enseignement théorique sont nécessaires pour préparer le diplôme d’Etat d’assistant familial (DEAF), contre 525 heures pour celui d’accompagnant éducatif et social (DEAES), autre diplôme de niveau V.
De même a été laissée de côté la question du logement, qui peut être un frein au recrutement, en particulier dans les métropoles, où s’exerce une forte pression immobilière. Alors que le candidat doit disposer d’un logement adapté à un accueil de qualité et être en mesure d’assurer la sécurité physique des enfants accueillis, des interprétations ont cours. Ainsi, dans tel département, il faut disposer d’un logement permettant que l’enfant accueilli ait une chambre de 10 m2 minimum, que ce soit en appartement ou en maison individuelle, en ville ou à la campagne ; alors que, dans tel autre, il n’est pas forcément nécessaire d’avoir une chambre individuelle pour chaque enfant accueilli. D’autres sujets auraient pu être abordés au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. Hormis une situation de regroupement familial, est-il raisonnable d’accueillir plus de deux enfants ? Est-il souhaitable qu’un couple d’assistants familiaux puisse disposer de six agréments ? Le législateur n’a pas cherché à explorer les motifs de ce désamour à l’égard d’un métier qui offre une stabilité et une continuité éducative que les autres dispositifs de protection de l’enfance peuvent ne plus offrir en raison d’une multiplication des professionnels et du turn-over. Phénomène encore plus fort depuis qu’il est fait appel à l’intérim pour pallier les postes non pourvus, abandonnés, voire désertés.
Le gouvernement, à l’origine de ce projet de loi, pourrait ne pas avoir pris la mesure d’une situation très inquiétante que dénoncent pourtant les professionnels de la protection de l’enfance. Tous les métiers manquent de reconnaissance et d’attractivité. Faire référence au Smic pour calculer la rémunération des assistants familiaux met en exergue une dégradation des salaires depuis une vingtaine d’années. Lorsqu’ils ont intégré en 2007 la CCNT66, les assistants familiaux accueillant un enfant ont perçu un salaire d’environ 1 100 € brut, montant correspondant à 87 % du Smic. Dix ans après, ce salaire ne représentait plus que 76 % du Smic, révélateur d’un décrochage par rapport au salaire de référence. En 2019, les assistantes familiales ont obtenu une revalorisation de l’ordre de 68 € brut. Si l’on compare la rémunération d’une assistante familiale à celle d’un éducateur spécialisé, relevant de la même convention collective, on constate que l’écart tend à se réduire du fait de mesures spécifiques en faveur de la première. Longtemps réputée favorable, la CCNT66 a perdu de son attractivité en raison d’une évolution du point qui n’a pas suivi la progression du Smic. Les départements ont imposé une rigueur budgétaire aux associations et à leurs salariés. Rappelons que le département de l’Orne avait demandé, en vain, l’annulation de l’arrêté ministériel du 10 décembre 2013 qui entérinait le passage de la valeur du point de 3,74 € à 3,76 €, soit 2 centimes d’euros après trois années sans augmentation. Depuis a été privilégiée l’augmentation du taux de l’indemnité de sujétion spéciale : une première fois en décembre 2018, quand elle est passée de 8,21 % à 8,48 % et une seconde fois, en juin 2020, quand elle a atteint 9,21 %, soit une augmentation moyenne de 8 € par mois. La valeur du point n’a pas bougé depuis qu’il a été fixé à 3,80 € le 1er février 2019 (soit en deux ans et demi). Dans son “Livre blanc sur l’attractivité des métiers du social et du médico-social”(3), le représentant des employeurs Nexem entend lui aussi “agir sur les rémunérations et le pouvoir d’achat” à travers la mise en place d’accords d’intéressement et la création d’un statut fiscal différencié pour les métiers “essentiels à la Nation”, dont bénéficient déjà les assistants familiaux. La profusion de conventions collectives, qui « bride la construction et la facilitation de parcours professionnels, pourtant indispensables », serait à l’origine de cette faible attractivité. D’où le projet de « bâtir une convention collective de l’humain » pour, est-il précisé, « garantir et améliorer les conditions de travail de nos salariés ». Pas question d’augmenter les salaires. Nexem ne partagerait-il pas le point de vue du législateur, qui voit dans une meilleure rémunération le moyen « de favoriser de nouvelles candidatures afin d’offrir un accueil de qualité aux enfants confiés » ? A la suite des assistantes familiales, tous les métiers de la protection de l’enfance et du travail social devraient être revalorisés, dans le privé et le public. Mais afin de ne pas être « oubliés » une fois de plus, ils devront faire beaucoup de bruit pour défendre à la fois de meilleurs salaires et une convention collective unique qui leur soit favorable. »
(2) Disponible sur bit.ly/3BE37Ux.
(3) Disponible sur bit.ly/3zGOXS3.
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