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Liberté de religion et laïcité dans le service public

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La loi confortant le respect des principes de la République, dite « loi contre le séparatisme », promulguée le 24 août 2021, inscrit des mesures sur la neutralité du service public. L’occasion de revenir sur les évolutions de la législation en la matière.

En France, la laïcité repose sur trois composantes consacrées par la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat : la liberté de conscience, le principe d’égalité et de neutralité et celui de la non-reconnaissance des cultes.

Les individus sont libres d’adhérer à la croyance de leur choix et d’y orienter leurs pratiques. Ils ont également le droit de faire le choix de l’athéisme. En conséquence, toute discrimination en fonction de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion est prohibée.

Les agents du service public sont tenus de respecter une stricte neutralité dans l’exercice de leur activité professionnelle. Ils ne peuvent donc aucunement manifester leur appartenance religieuse. Tout manquement à ce principe de neutralité est constitutif d’une faute pouvant engendrer des poursuites disciplinaires (CE, avis, 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux, n° 217017).

Le présent dossier reviendra sur le principe de neutralité du service public en s’intéressant, d’une part, aux personnes travaillant ou bénéficiant d’un service public et, d’autre part, aux lieux accueillant un service public, et rappellera les principes de la laïcité dans les structures de droit privé.

I. Dates clés autour de la laïcité

Les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ont mis en place les principes fondateurs de notre République laïque. En effet, ils affirment que la souveraineté tire son origine de la Nation et non de Dieu. Les lois « Jules Ferry » de 1881 et 1882 instaurent ensuite un enseignement primaire obligatoire, laïque et gratuit pour toutes les filles et tous les garçons de 6 à 13 ans.

En 1905, le Parlement vote la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, pierre angulaire de la laïcité. A compter de ce texte, la France ne possède donc plus de religion officielle. De plus, il n’y a plus aucune immixtion entre l’Etat et les Eglises et l’Eglise n’a plus aucune légitimité à s’immiscer dans les affaires de l’Etat.

A noter : Cette loi ne s’applique pas à l’ensemble du territoire français. En effet, les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle sont soumis au régime concordataire dans la mesure où, en 1905, ces départements appartenaient à l’Empire allemand. La loi du 17 octobre 1919 organisant le retour de ces territoires à la France a maintenu l’ancien régime du concordat. Le Conseil constitutionnel a reconnu la constitutionnalité de ce régime particulier en 2013 (Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013). De surcroît, cette loi ne s’applique également pas dans les territoires d’outre-mer.

A la fin du XXe siècle, les autorités s’intéressent de près au phénomène des sectes. Le rapport parlementaire « Guyard » de 1995 préconise l’adoption d’un régime juridique qui protège la liberté de religion mais donnant la possibilité de réprimer les abus sectaires. Les parlementaires adoptent ainsi une loi le 12 juin 2001. Elle permet notamment de dissoudre les mouvements sectaires lorsque la personne morale ou les dirigeants ont été condamnés pénalement. L’année suivante, les autorités créent la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Mivilud).

Quelques années plus tard, le législateur intervient de nouveau pour encadrer le fonctionnement des espaces publics au nom du principe de laïcité. Ainsi, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics est interdit à compter de 2004(1). De plus, depuis l’année 2010, la dissimulation du visage dans l’espace public est prohibée.

Plus récemment, la loi confortant le respect des principes de la République, dite « loi contre le séparatisme », est promulguée le 24 août 2021. Elle vise à lutter contre le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté (voir encadré page 21).

II. La neutralité des personnes travaillant ou bénéficiant d’un service public

A. Agents du service public

Un service public est communément défini comme une activité d’intérêt général prise en charge par une personne publique. Il convient donc de réunir deux critères :

• un critère matériel : activité d’intérêt général ;

• un critère organique : prise en charge par une personne publique.

Les agents publics sont soumis au principe de neutralité. Dans l’exercice de leurs fonctions, ils ne peuvent porter de signes religieux. Cette neutralité s’impose aussi bien aux fonctionnaires qu’aux agents contractuels de droit public. Selon la Cour de cassation, elle concerne également les salariés de droit privé employés dans un service public géré par une personne de droit privé même s’ils ne sont pas en contact avec le public (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 12-11690). En l’espèce, il s’agissait d’une technicienne travaillant au sein d’une caisse d’assurance maladie qui portait un foulard islamique.

A noter : Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics, le personnel est également soumis à cette obligation de neutralité.

B. Élèves des institutions publiques

Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves « manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » dans les écoles, collèges et lycées publics (code de l’éducation [C. éduc.], art. L. 141-5-1). Le port de signes religieux « discrets » n’est donc pas prohibé.

En outre, les étudiants de l’enseignement supérieur public ne sont pas soumis à cette interdiction.

C. Usagers des services publics

Les usagers du service public sont libres de porter des signes religieux s’ils le souhaitent. En revanche, ils ne peuvent dissimuler leur visage dans l’espace public conformément à la loi du 11 octobre 2010(1).

En conséquence, un justiciable est en droit de porter un signe religieux comme une kippa ou un foulard dans l’enceinte d’un tribunal (voir notamment CEDH, 18 septembre 2018, Mme Lachiri c/ Belgique, n° 3413/09).

D. Parents d’élèves

La situation des parents d’élèves n’est pas réglementée par la loi. Toutefois, des précisions ont été apportées par les autorités et les juridictions.

Une circulaire en date du 27 mars 2012 précisait que les parents d’élèves qui accompagnent les sorties scolaires ne pouvaient manifester leurs convictions religieuses. Néanmoins, l’année suivante, le Conseil d’Etat a affirmé que les parents d’élèves n’étaient pas soumis au principe de neutralité. Le tribunal administratif de Nice a ainsi annulé une décision qui refusait à un parent d’élève portant le voile d’accompagner une sortie scolaire (TA Nice, 9 juin 2015, Mme D., n° 1305386).

Plus récemment, la cour d’appel administrative de Lyon a toutefois appliqué le principe de neutralité aux parents qui « participent à des activités qui se déroulent à l’intérieur des classes et dans le cadre desquelles ils exercent des fonctions similaires à celles des enseignants » (CAA Lyon, 23 juillet 2019, n° 17LY04351).

III. La neutralité des lieux accueillant un service public

Conformément à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

A. Établissements d’enseignement privés

Les établissements privés sous contrat sont tenus de dispenser un enseignement « dans le respect total de la liberté de croyance » (C. éduc., art. L. 442-1). Ainsi, tous les enfants peuvent accéder à ces établissements quelles que soient leur origine, leur opinion ou leurs croyances.

De surcroît, ils ne sont pas soumis à la loi du 15 mars 2004 qui interdit le port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse qui concerne seulement les établissements publics.

En conséquence, ce type d’établissement qui participe au service public de l’éducation est en droit de manifester son appartenance à une religion. En revanche, il ne peut porter atteinte à la liberté de conscience de ses élèves.

B. Crèches de noël

L’installation de crèches de Noël dans les lieux publics a posé de nombreuses problématiques au cours de l’année 2016. Le Conseil d’Etat a ainsi eu à se prononcer sur ces questions.

Il constate que ces installations peuvent avoir une signification religieuse ou simplement constituer une décoration traditionnelle des fêtes de Noël. En conséquence, l’installation est légale si elle présente un caractère festif et décoratif mais elle est au contraire illégale lorsqu’elle a un caractère religieux.

Afin de déterminer la signification donnée, il convient de se référer au contexte, aux conditions d’installation, à l’existence éventuelle d’usages locaux ou encore au lieu d’installation.

Le lieu d’installation de la crèche constitue un élément important que la Haute Juridiction est venue préciser. De cette façon :

• « Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.

• A l’inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique, l’installation à cette occasion d’une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse. »

Employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public

Qu’en est-il des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ? La chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public » (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28845).

Néanmoins, les employeurs peuvent introduire une clause de neutralité dans leur règlement intérieur sous certaines conditions très strictes.

Conformément aux articles L. 1121-1 et L. 1321-2-1 du code du travail, la clause de neutralité doit être justifiée par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et proportionnée au but recherché.

Les juridictions nationales et européennes ont été saisies de nombreux litiges dans ce domaine au cours des dernières années. Elles sont venues préciser les modalités d’appréciation des conditions légales mais également les compléter.

Dans son arrêt « Baby Loup », l’assemblée plénière de la Cour de cassation a indiqué que la justification de la cause doit être appréciée de manière concrète en tenant compte des conditions de fonctionnement et notamment de la taille de la structure ou de l’objet de l’activité (Cass. ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28369).

Plus récemment, la chambre sociale a précisé que la clause de neutralité doit être générale et indifférenciée de sorte qu’elle doit interdire sur le lieu de travail le port de tout signe religieux, politique et philosophique sans effectuer de distinction (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19855). Il n’est donc pas possible de prévoir par exemple une clause qui viendrait réglementer seulement le port d’un signe religieux. De surcroît, la clause n’est valable que si elle est appliquée uniquement aux salariés se trouvant en contact avec les clients de la structure (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19855).

Par ailleurs, cette dernière ne doit créer aucune discrimination qu’elle soit directe ou indirecte. En ce sens, la Cour de justice de l’Union européenne retient l’existence d’une discrimination indirecte « s’il est établi que l’obligation en apparence neutre entraîne, en fait un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires » (CJUE, 14 mars 2017, n° C-157/15).

Principales mesures de la « loi contre le séparatisme »

La loi confortant le respect des principes de la République, dite « loi contre le séparatisme » du 24 août 2021, contient une série de mesures sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, la protection des fonctionnaires et des enseignants.

Principes de laïcité et de neutralité

Les salariés des organismes de droit public ou de droit privé chargés de réaliser un service public comme la SNCF, la RATP ou encore les titulaires de contrats de marché public sont tenus d’appliquer les principes de laïcité et de neutralité.

De surcroît, les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics doivent désigner un référent « laïcité ». Ce dernier sera chargé d’apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité et d’organiser la journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année.

Délit de séparatisme

Le texte met également en place un délit de séparatisme pour sanctionner « le fait d’user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation à l’égard de toute personne participant à l’exécution d’une mission de service public, afin d’obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ». Ce nouveau délit est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.

Entrave à la fonction d’enseignant

Suite à l’assassinat du professeur Samuel Paty, les parlementaires ont créé un délit d’entrave à la fonction d’enseignant. Ainsi, « le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la fonction d’enseignant est puni de 1 an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». De plus, la loi complète les dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. Ainsi, « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer » est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Instruction des enfants

La scolarisation dans un établissement scolaire est désormais obligatoire à partir de l’âge de 3 ans tout en préservant la possibilité pour les parents de procéder eux-mêmes à l’éducation de leurs enfants. Toutefois, les dérogations sont rares (santé de l’enfant, l’itinérance de la famille ou encore la situation propre à l’enfant) et soumises à autorisation.

Contrat d’engagement républicain

Les associations et les fondations qui souhaitent bénéficier d’une subvention publique doivent s’engager, en souscrivant un contrat d’engagement républicain :

• « à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République ;

• « à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ;

• « à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public ».

Dans l’hypothèse où ces principes ne seraient pas respectés, la subvention pourrait être refusée ou retirée. De surcroît, les autorités entendent améliorer le contrôle des fonds de dotation.

Le législateur renforce également la liste des motifs de dissolution des associations. Désormais les agissements commis par les membres d’une association peuvent lui être imputables si les dirigeants, informés de ces agissements, n’ont pas pris les mesures nécessaires compte tenu des moyens dont ils disposaient pour les faire cesser.

Notes

(1) Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, J.O. du 17-03-14.

(1) Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, J.O. du 12-10-10.

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