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Le trajet

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Il était 23 heures passées de trente minutes sur le tableau de bord de la voiture. J’étais au tribunal depuis la veille après mon déferrement à la suite de la garde à vue. Trois jours que je n’avais pas senti la chaleur d’une goutte d’eau provenant du pommeau d’une douche sur mon corps. Le policier assis à mes côtés ne cessait de chercher l’âme sœur sur Tinder. Il n’était pas très regardant sur la qualité des profils puisqu’il sélectionnait toutes les femmes dont la photographie apparaissait. Je me suis demandé s’il avait une folle envie d’être en couple ou une simple envie de s’envoyer en l’air.

Je scrutais tout ce que je voyais à travers la vitre. Les gens qui marchaient, les arbres qui dansaient avec le vent, les enseignes des magasins qui clignotaient, les conducteurs qui chantaient à tue-tête. Rien ne m’échappait. J’étais silencieux, les trois policiers aussi, tout juste entendait-on l’un d’eux mâcher son chewing-gum avec force. La radio diffusait A Sky Full of Stars de Coldplay. Ma dernière écoute de cette chanson datait d’une sortie en boîte de nuit avec des potes. Je n’arrivais même pas, même plus à me remémorer ce souvenir, ou peut-être ne le voulais-je pas. Y penser devenait une torture car c’était se souvenir de la fête, de la liberté.

« Mets le bleu ! » A l’approche d’embouteillages, l’un des policiers a rompu le silence qui régnait en maître. Son collègue qui officiait comme conducteur s’est exécuté. Gyrophare, sirène. Hors de question pour eux de patienter comme n’importe quel automobiliste. Il n’y avait là aucune urgence, sauf peut-être celle de rentrer plus rapidement chez eux. La voiture s’est frayé difficilement un chemin, ce qui a eu pour conséquence d’énerver mon escorte, qui a lancé toutes sortes de noms d’oiseaux à ceux qui ne se poussaient pas assez rapidement sur notre passage ou feignaient de ne pas nous entendre approcher.

Un premier panneau affichait « Centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis » et mon cœur s’est mis à battre de plus belle. J’ai rêvé à cet instant précis que la voiture fasse un tonneau, qu’elle se vautre quelque part pour, inexorablement, échapper à ce que je vivais.

Une longue et sinistre avenue est apparue. Elle débouchait, presque irréelle, sur un bâtiment gris entouré de lumière orange. Les premières larmes ont coulé timidement.

Les menottes me serraient et mon poignet gauche était en feu. Mes mains placées dans le dos, durant le trajet entre le palais de justice et la maison d’arrêt, ne cessaient de s’appuyer au dossier du siège à cause de la conduite exécrable du conducteur et de ses à-coups réguliers. La haute porte en fer marron était éclairée par un puissant projecteur blanc qui laissait entrevoir sur sa gauche les drapeaux français et européen. La porte s’est ouverte et le véhicule s’est glissé à l’intérieur. Nous sommes arrivés dans un sas. Mon cœur battait tellement fort.

Je ne sais pour quelle raison, le conducteur a éteint le moteur du véhicule le temps de vérifier les documents d’incarcération. Deux, peut-être trois minutes après, la voiture a redémarré et nous nous sommes rendus dans un autre bâtiment.

Et les policiers ont pris congé.

Une saison à l’ombre

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