« J’ai décidé de vous placer en détention provisoire. » C’est par ces mots que la juge des libertés et de la détention – la JLD dans le jargon – a scellé mon sort. Je ne m’y attendais pas. Elle a dit cela aussi aisément que quelqu’un qui commande une pizza quatre fromages dans un restaurant italien de quartier.
Là, dans cette pièce d’à peine 15 m2. Moi, assis sur une chaise un peu rembourrée qui lui faisait face, en contrebas d’un bureau en ébène ; elle, assise derrière sur une chaise noire, avec un dossier qui la rendait ridicule, vu sa petite taille. C’est là, dans ce tout nouveau palais de justice, que je l’ai regardée, que j’ai soutenu son regard. Et elle le mien.
Ce regard, d’ailleurs, ne m’a pas semblé désinvolte, alors que je manifestais à ce moment-là un réel désarroi. J’ai même eu l’impression – un court instant – qu’à travers notre « échange » elle s’excusait de m’envoyer en cellule. Elle avait des cheveux poivre et sel très courts, portait des chaussures de marque Parraboots qui lui forgeaient, en plus de ses cheveux, un côté « garçon manqué ».
Je me suis mis à observer la greffière, plus jeune, qui, en me regardant, a pincé ses lèvres vers l’intérieur de sa bouche, comme pour manifester son empathie tout en tamponnant deux ou trois feuilles de papier. Voilà. C’était tout. Mettre une personne en prison, ce n’était que deux ou trois feuilles à entête d’un tribunal.
« Où va-t-il ? », demanda mon avocat. « Fleury-Mérogis », répondit la greffière, sans trémolo dans la voix, sans émotion particulière. Tout le monde dans ce minuscule bureau semblait ressentir le ridicule de la situation.
Mes jambes tremblaient, et mes mains ont emboîté le pas. Je ne sentais plus mon corps, vidé comme après avoir passé une journée à se baigner dans la mer. J’étais immobile, mon cerveau ne commandait plus, comme déconnecté. Le gendarme qui m’escortait me demanda de me lever, mais cette simple action m’était impossible. La juge, impassible, m’informa qu’elle avait d’autres dossiers, d’autres personnes dont elle devait trancher le sort, prendre une décision quant à leur libération ou leur détention provisoire. Un dossier parmi d’autre. C’est là que le gendarme qui m’accompagnait a estimé nécessaire de me menotter. Les menottes étaient reliées à une chaîne qui leur servait à me garder à distance.
Nous avons marché dans le sous-sol du palais de justice, liés tous les deux, à travers de multiples couloirs froids et tristes. Le silence me perturbait et seul le bruit de la chaîne résonnait. Le gendarme s’était perdu et les murs recouverts de panneaux, parfois écrits à la craie, ne suffisaient pas à le remettre sur la bonne piste. Il m’a regardé un peu bêtement, comme si j’étais à même de l’aider. Je n’ai pas émis un son, comme si ces quelques secondes d’incertitude de sa part me donnaient un sursis. Quelques seconde de répit.